vendredi, septembre 30, 2005

Llanfairpwll

Il existe, quelque part sur une île au Nord du Pays de Galles, un petit village du nom de Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrnd- robwllllantysiliogogogoch'. Cette appelation charmante, qui signifie "l'Église Sainte-Marie de la Vallée du Noisetier Blanc, près du tourbillon impétueux et de la chapelle de Saint Tysilio, pas trop loin de la caverne rouge" fut votée à l'unanimité en 1860 par le conseil municipal afin d'accéder au privilège respectable de l'enseigne de gare la plus longue de Grande Bretagne.

Terrible revers du sort, ils furent bientôt battus par la station de Fairbourne, baptisée Gorsafawddacha'idraigodanheddogled- dollônpenrhynareurdraethceredigion, ce que l'on peut traduire par "La gare de Mawddach et sa dent de dragon sur la route au Nord de Penrhyn, celle-là même qui longe les sables d'or de la baie de Cardigan". Le conseil municipal déshonoré se précipita de la falaise dans les eaux glacées de la Mer d'Iroise et depuis ce jour lugubre, les habitants humiliés n'appellent plus leur village que Llanfairpwll.

jeudi, septembre 29, 2005

Les neuf visages d'Alejandro Jodorowski


Alejandro Jodorowski est avant tout un prolifique scénariste de bandes dessinées. Pour des raisons que je peine à comprendre, il est devenu pour certains une sorte de figure emblématique d'un je-ne-sais-trop-quoi aux remugles de New Age, à base de synchronicité, de symbolique jungienne, de zen et de psychologie de bazar. En vérité, il n'y est pas tout à fait pour rien et finalement c'est sa manière de gagner sa croûte. Il n'y a pas de sot métier.

Au vu des conclusions d’un petit jeu de photo-interprétation publié sur un blog cyber-voisin, j'ai décidé de montrer qu'on peut tirer un peu tout et n'importe quoi des photographies si l'on ne prend pas garde à deux points pourtant fondamentaux : les mimiques d'un acteur et bien sûr la présence d'un photographe. Pour ce faire, je suis parti de l'image que l'on peut voir en encart. C'est une photographie de Jodorowski que j'ai égalisée sous Photoshop pour décrasser les zones d'ombres. Le photographe les avait accentuées dans le but de donner un effet mystérieux.

Puis je me suis amusé aux exercices qui ont donné lieu aux quatre images suivantes. Les photos 1, 2 et 4 ont été obtenues à partir de simples réglages de niveau. La photo 3 est issue de bidouillages un peu plus complexes de luminosité et de contraste. Et voilà les résultats !


La première image révèle un mage obscur à l'énigmatique sourire de Joconde, tel qu'il pourrait être joué par Christopher Lee. Dans la photo 2, on a un sympathique mais redoutable boucanier des Mers du Sud ou bien une sorte de héros du "Vieil Homme et la Mer", version Hollywood... Dans la troisième, on perçoit le poète underground, inquiet, traqué par la bêtise du monde. Martin Landau serait parfait dans le rôle. La quatrième image montre un néo-philosophe comico-dément, délicat intermédiaire entre Arthur Schopenhauer et le clown Auguste.

J'espère avoir montré à travers ces rapides exercices combien la mise en scène de la lumière est importante dans le rendu des effets psychologiques. Ceux qui souhaiteraient compléter leur impression sur cet homme de spectacle pourront consulter avec bonheur les quatre photographies supplémentaires...

mercredi, septembre 28, 2005

Terremer

Une rumeur récente voit en Terremer le prochain film d'animation des studios Ghibli et du réalisateur Miyazaki. Ce serait certes un choix plaisant. Terremer est un très beau cycle de fantaisie de l'auteur américain Ursula K. Le Guin. Elle décrit un monde formé d'îles séparées par de vastes mers, où la magie réside dans la connaissance des noms vrais des êtres et des choses. Le héros est un enfant, Ged, qui devient apprenti magicien.

La rumeur est partie d'un blog d'un employé d'une maison d'édition à Tokyo. Il aurait appris qu'un éditeur japonais, proche de Ghibli, avait acheté une option sur les droits de reproduction cinématographiques de l'oeuvre. Qui plus est, Miyazaki avait déjà déclaré que Terremer ( Gedo Senki ou l'Epopée de Ged en japonais) était un de ses romans de fantaisie favoris.

N'en déplaise aux admirateurs de Miyazaki et de Terremer, je crains que tout ceci ne soit un doux fantasme. Adapter Terremer est une véritable gageure, à moins d'en amputer les trois-quarts et conserver seulement certains passages marquants des tomes I et III. Il semble par exemple évident de mettre en scène l'épisode avec les dragons ; or il se situe une bonne vingtaine d'années après le début ! Quant au tome II, les Tombeaux d'Atuan, il est complètement hors sujet. Je crains donc que l'achat des droits de l'oeuvre - si jamais l'information était vérifiée - n'ait d'autre but que de laisser au réalisateur les coudées franches pour l'emprunt de scènes dans des films ultérieurs ( Nausicaa en était déjà inspirée ). Ainsi, Spielberg avait acheté les droits de Tintin lors du tournage des Indiana Jones.

Si toutefois cette rumeur pouvait conduire à la réédition en France du cycle de Terremer, ce serait une bonne chose. Plusieurs tomes sont en effet introuvables et je n'ai pu les lire que parce qu'un ami me les a prêtés (1).

(1) Erratum : un commentateur émet très justement la remarque qu'il est possible de trouver le cycle de Terremer sans problème dans la collection Ailleurs et Demain de Robert Laffont. Je le remercie de cette information.

Illustration : Jackie Paternoster pour la couverture de Terremer.

Kiki la petite sorcière


J'ai revu "Kiki la petite sorcière", un dessin animé réalisé en 1986 par Hayao Miyazaki. Apparemment, ce film paraît tout à fait niais aux yeux de nombreuses personnes mais je crois bien que c'est mon préféré.

Il est de bon ton d’aduler le "Voyage de Chihiro". Dans ce très beau film, ma scène favorite est le moment où Chihiro est assise tranquillement dans ce train, glissant sur la voie ferrée recouverte par la mer, les seuls autres passagers étant quelques rares fantômes silencieux. Le sentiment profond de solitude métaphysique qui se dégage me semble très proche de celui des films de Wenders. Or si dans Chihiro cette émotion est présente dans une scène, c'est toute la première heure de Kiki qui se situe à ce niveau.

Pourtant, autant ce sentiment ne semble pas affecter les personnages de Wenders, totalement contemplatifs comme dans "Lisbon Story", autant ceux de Miyazaki semblent douloureusement coupés du monde. Ils se déplacent dans un mirage qu'ils aimeraient rejoindre mais qui leur est foncièrement étranger.

Je crois que Miyazaki ne s'en rend pas vraiment compte. Pour lui, le sujet de Kiki est « le problème de l’indépendance des jeunes filles d’aujourd’hui » et « l’absence de connexion, dans une société où chacun peut vivre en passant d'un travail temporaire à un autre, entre l'indépendance financière et l'indépendance spirituelle ».

De là découlent plusieurs contradictions qui contribuent à parasiter ses dessins animés. De toute évidence, Miyazaki essaie de traiter des sujets sociaux. Mais comment aborder un sujet social quand son point de vue réel est situé totalement au delà ? «Nous rencontrons Kiki sous la forme d'une petite fille volant à travers le ciel nocturne. Les nombreuses lumières de la ville brillent mais il n'en est pas une pour lui adresser un signe chaleureux. Elle est isolée quand elle vole dans le ciel. Habituellement, le pouvoir de voler est associé à l'impression d'être libéré de la terre, mais la liberté est accompagnée par l'angoisse et la solitude. Or notre héroïne est une fille qui a décidé de s'identifier à sa capacité de voler ».

Dans les faits, l'histoire montre que la jeune fille va perdre ses pouvoirs magiques pour s'être trop approchée du quotidien. Bien que Miyazaki ait essayé de trouver une happy end, il ne semble pas avoir réussi à résoudre son problème : « Nous espérons rendre le film suffisamment éloquent pour que le spectateur conclue à une fin heureuse, plutôt qu'il n’espère qu'elle le deviendra ».

Il n’est pas étonnant que la fin malheureusement bâclée de Kiki ne l’ait pas convaincu totalement lui-même. C’est du moins ce que j’en déduis de cette déclaration ambiguë…

lundi, septembre 26, 2005

Le cimetière des dinosaures à plumes

Depuis 1998, plusieurs dinosaures à plumes ont été découverts à Liaoning en Chine septentrionale. A l'ère secondaire, une éruption volcanique a enseveli vivants nombre de dinosaures, préservant leurs restes de la décomposition. Ainsi des fossiles de théropodes ( sauriens bipèdes à longue queue ) dont un ancêtre du Tyrannosaurus Rex purent être exhumés pourvus de leur plumage complet. L'éminent paléontologue Gareth Dyke déclara devant une assemblée attentive : "Les tyrannosaures pourraient avoir ressemblé à de gros poulets" ; et c'est pour lui l'irréfutable preuve que tous ces monstres étaient vêtus de plumes délicates et agréablement colorées.

Je prévois le jour prochain où l'image de dinosaures sans plumes rejoindra le cimetière des consensus scientifiques oubliés, entre la tombe de la théorie de la Vieille Pomme et celle de la Génération Spontanée.

Il serait hilarant de créer un site regroupant toutes ces théories, autrefois l'objet du consensus de nos têtes pensantes, aujourd'hui reléguées aux oubliettes : le cimetière des théories perdues. Je ne crois pas qu'un tel site existe car ce type d'information est naturellement occulté par notre système de valeurs. Il faudrait fouiller les vieux manuels de collège et les bulletins de sociétés savantes. La plupart des pages web touchant à l'histoire des sciences relatent essentiellement, avec une béatitude niaise, des mythes de création et les success stories de héros fondateurs comme Pasteur, Darwin, Einstein, mais s'abstiennent d'évoquer les vérités que ces individus ont contribué à renverser. Par le choix dans le temps des "grandes découvertes" et des "erreurs", elles postulent aussi implicitement que la Science apparut vers 1840, à l'époque du positivisme, car seuls les imbéciles naissaient avant cette date.

A l'opposé, les sites où l'on insiste sur les errements des savants sont les mêmes où l'on soutient quelque livre édité un jour par un dieu en manque de publicité. Les impératifs de la rhétorique requièrent alors de s'en tenir à divers apophtegmes d'ordre général et d'éviter tout exemple précis ; sans quoi on risquerait d'entrer dans des questions oiseuses ; par exemple comment, avec des théories si ineptes, on a pu marcher sur la Lune ?

Des opinions tellement tranchées de part et d'autre, des oblitérations tellement évidentes me laissent supposer que la doctrine scientifique, loin de se suffire à elle-même, fait partie d'un corpus de croyances et de valeurs bien plus vaste. Il se pourrait alors que la disjonction apparente qu'elle forme avec les dogmes religieux ne soit pas aussi claire qu'on pourrait bien le croire...


Plus d'info sur les dino à plumes ?
Dinosaurs may have been a fluffy lot
New Dinosaur Discovered: T. Rex Cousin Had Feathers

vendredi, septembre 23, 2005

Robostracisme


Je comptais publier sur ce blog quelques réflexions personnelles sur l'intelligence et en conséquence sur l'intelligence artificielle. Certainement, des robots très malins ont prévu mes intentions car parmi les commentaires reçus à ce jour, plus de la moitié d'entre eux proviennent d' "agents intelligents". J'aurais réellement apprécié que leurs remarques soient plus centrées sur le contenu de mes articles, mais ils ont préféré laisser du spam à la place. J'en suis affreusement déçu.

L'essor des intelligences artificielles nous amène à voir se développer aujourd'hui - alors qu'il y a quelques années à peine, on aurait encore classé cela dans les thèmes de science-fiction - un ostracisme envers la gent robote. Un exemple frappant nous en fut donné en Mai, quand le champion d'échecs anglais Michael Adams, 7ème joueur mondial, se fit humilier par l'ordinateur Hydra dans un match en 6 parties.

Autant les matchs nuls entre Kasparov ou Kramnik et les ordinateurs donnèrent lieu à des dizaines d'analyses, autant ce match a subi un black-out. Sur le site de Chess Base, on lit ce seul et laconique commentaire :

"Adams n'a réussi à obtenir qu'une nulle - un sauvetage inespéré dans une position perdue. Dans les autres parties, il fut atomisé par la machine. Rien n'est encore publié dans la presse concernant cette défaite sans précédent d'un des meilleurs joueurs humains contre un ordinateur. C'est sans doute du au fait que le match s'est terminé tard dans la soirée de Lundi. Aussi nous attendons des nouvelles pour Mercredi".

David Levy, président de l'International Computer Chess Association, émit cette protestation timide :

"Incidemment, les commentaires que j'ai lus concernaient tous la performance d'Adams et semblaient omettre de mentionner combien Hydra a bien joué. Selon moi, Hydra a joué comme le Bobby Fisher que nous connaissions et aimions dans les années 70. Son style fut clair comme le cristal, ses coups furent directs, dirigés droit au but et dévastateurs. Plutôt que d'émettre tant de critiques négatives, ne pourrions nous pas être fair play en faisant l'éloge du vainqueur ?"

Or il n'y eut jamais d'éloge du vainqueur. Rien ne parut jamais le Mercredi. Il n'existe sur ces parties aucun commentaire de grand maître international. Et personne, à ma connaissance, ne signala cette grande première pour l'humanité : le tout premier cas d'ostracisme humain à l'encontre des pauvres robots.

Quant à moi, on ne m'y prendra pas à faire preuve d'une telle ségrégation ! Les robots sont mes amis ; j'ai répondu à mes visiteurs informatiques très poliment. Et pour mettre en valeur leurs compétences, au vu de leur intérêt pour mes articles, j'ai placé un des ces petits tests, prévus par Blogger, où il faut recopier un mot généré aléatoirement pour valider les commentaires. Qu'on ne se trompe pas sur mes intentions ! Ce n'est pas pour empêcher les robots de poster automatiquement mais afin que les humains me prouvent qu'ils sont toujours plus intelligents qu'eux.

mercredi, septembre 21, 2005

Jardins lointains



L'automne qui est déjà là porte un parfum frileux de fainéantise. Plutôt que de rédiger mes propres articles, je préfère présenter ce poème de Juan Ramón Jiménez, que certains d'entre vous connaissent déjà pour l'avoir lu dans "La Force du Silence" de Carlos Castaneda.

Il est intéressant de noter que Castaneda en a fait une traduction légèrement différente, privilégiant la symétrie des images et une césure plus naturelle, selon la ponctuation des phrases.

Le tableau que j'ai choisi pour illustrer ce poème est "La Terrasse" de Pierre Bonnard (1918).

---
Est-ce moi qui marche, cette nuit,
dans ma chambre, ou le mendiant
qui vaguait dans mon jardin,
à la tombée du soir ?
Je regarde
autour de moi et trouve que tout
est de même et n'est pas de même...
La fenêtre était-elle ouverte ?
Ne m'étais-je pas endormi ?
Le jardin n'était-il pas vert
de lune ? Le ciel était limpide
et bleu... Et il y a des nuages et du vent
et le jardin est assombri...

Je crois que ma barbe était
noire... J'étais vêtu
de gris... Et ma barbe est blanche
et je porte le deuil...
Est-ce là ma démarche ?
A-t-elle, cette voix
qui aujourd'hui sonne en moi, les rythmes
de la voix que j'avais ?
Est-ce moi, ou est-ce le mendiant
qui vaguait dans mon jardin,
à la tombée du soir ?
Je regarde
autour de moi... Il y a des nuages et du vent...
Le jardin est assombri...

Je vais et je viens...
Est-ce que je ne m'étais pas endormi ?
Ma barbe est blanche... et tout
est de même et n'est pas de même...
---
( extrait de "Jardins lointains", Juan Ramón Jiménez, 1904 )

lundi, septembre 19, 2005

Petit déjeuner avec vue


Ce petit matin venteux de Septembre, tandis même que je chantonnais la comptine

Le facteur n'est pas passé
A la boîte aux lettres
Il ne passera jamais
Car il est trop bête


en descendant les escaliers, j'eus la bonne surprise de découvrir une carte postale à mon intention. Elle était en provenance de Provo, Utah et représentait un méandre du canyon du Colorado.

Hélas ! Nul n'a plus pour correspondante la marquise de Sévigné et les lettres que l'on reçoit sont toujours trop courtes ! J'en lus et relus le contenu ; celui-ci épuisé, je m'en pris à l'entête de la carte et même à ma propre adresse. J'estimai bon de m'arrêter après m'être rendu compte que j'avais parcouru trois fois la mention administrative : "This area for official postal use only".

Une lumière matinale un peu froide entrait par la fenêtre. Je venais de décongeler mon croissant de superette dans mon magnifique four à micro-ondes et je m'évertuais à décapsuler le pack de jus d'orange quand je ne pus me retenir de relire une fois de plus la description du paysage :

Lake Powell, Glen Powell National Recreation Area. Le fleuve Colorado se courbe en un impressionnant lacet à travers les gorges de grès rouge du plateau Navajo. En 1776, les pères Francisco Atanasio Domínguez et Silvestre Vélez de Escalante traversèrent le Colorado à la recherche d'une route entre Santa-Fé et Monterey.

Je songeai à l'émerveillement des Espagnols découvrant ce décor grandiose et inconnu. En 1540, à la recherche des sept fabuleuses Cités d'Or de Cibola, le conquistador Francisco Vasquez de Coronado avait envoyé en reconnaissance son capitaine Garcia Lopez de Cardenas et un petit groupe de soldats dans cette direction. Egarés par leurs guides Hopi qui cherchaient à les affamer, ils atteignirent les immenses falaises au sud du Grand Canyon. Ce site féerique n'était-il pas le piège idéal pour l'aventurier en quête d'un trésor inaccessible ?

Quelques heures plus tard, je dus admettre que cette impression romanesque était bien fausse. J'avais trouvé la traduction anglaise de la relation de voyage des pères Domínguez et Escalante : Itinerary and diary of Francisco Atanasio Domínguez and Francisco Silvestre Vélez de Escalante.

Loin de s'esbaudir devant la somptuosité du paysage, nos braves padres étaient surtout préoccupés par des problèmes plus essentiels, à savoir le froid qui gelait l'eau dans les gourdes, le manque de bois pour le feu, d'eau potable, de provisions et la peur ancrée au ventre de se faire massacrer par les Apaches Mescaleros. Ils s'extasiaient devant une bonne prairie grasse pour leurs mules mais quant aux escarpements vertigineux, ils leur prêtaient juste assez d'attention pour ne pas s'y rompre le cou. Assurément, l'émission Okavango n'existait pas encore et l'heure du tourisme de masse n'était pas advenue...

dimanche, septembre 18, 2005

Le chant des sirènes


Il m'advient souvent, pour le meilleur ou pour le pire, de me réveiller avec à l'esprit quelque refrain entêtant qui donnera le ton de la journée. Plusieurs fois, je me suis rendu compte que cette chanson était déjà présente dans mes rêves. Aujourd'hui, j'ai été tiré du sommeil à trois heures du matin par un couplet nostalgique et lancinant d'Enya que j'avais découvert la veille par hasard :

Who can say if your love grows
As your heart shows?
Only time

And who can say where the road goes
Where the day flows?
Only time.

Certes, des paroles d'amour et de temps qui passe ne sont pas faites pour réjouir ; certes, la mélodie est lente et sur un ton mineur ; et cependant je n'arrive pas pleinement à comprendre comment cette complainte mièvre, doucereuse et répétitive m'arrache atrocement le coeur ni pourquoi je me sens maintenant triste à mourir.

Le chant féminin m'a toujours terriblement ému ; il me semble qu'il n'est rien de plus beau, de plus mystérieux ni de plus magique qu'une mélodie chantée par une jeune voix de femme. Cette émotion est totalement dissociée de l'imagination d'un corps ou même d'un visage. La voix est naturellement pure, désincarnée, elle se suffit à elle-même et n'a pas besoin de la vue ni du toucher pour se manifester. C'est comme si l'inhumaine déesse de la beauté se révélait temporairement dans un son.

Comme la notion d'amour physique ne me semble pas véritablement présente, je me demande s'il n'y a pas un secret plus effroyable et plus funeste derrière tout cela. Le mot charme en effet - il ne s'agit pas seulement du charme personnel, mais aussi des charmes incantatoires - vient du latin carmen qui signifie chant. Il y a quelque chose du chant des sirènes là-dedans ; or on sait que les sirènes grecques étaient à l'origine des êtres psychopompes, mi-femme mi-oiseau, figurés sur les urnes funéraires. Quel lien invisible associerait la mort à la beauté du chant féminin ?

Ou bien n'est-ce pas la voix mais l'amour lui-même qui comprend un mystère terrifiant dont le chant n'est que la quintessence ? Car la femme ne représente pas seulement l'amour ; elle est aussi, pour une raison trouble, le symbole de la non-existence et de la mort. Le caveau, le cercueil, la tombe sont des images de notre demeure première, notre cher Eden perdu. Serait-il plus précis alors de dire que l'amour a deux visages, l'un insouciant et gai qui évoque les pépiements des oiseaux, les roucoulements des torrents des jours de printemps ; l'autre lourd, fascinant et funèbre qui suscite immédiatement, qu'on se le cache ou non, le masque macabre de la destruction ?

La notion, fondamentale en amour, du sacrifice pour l'être aimé ne révèle son sens qu'à travers le reflet de ce miroir obscur. Cela vaut des amours banals comme de ceux de théâtre. On pense bien sûr à la fatale Carmen ou à la triste Ophélie. De même, dans le roman du Seigneur des Anneaux, lorsque les destins de la Dame Arwen et du seigneur Aragorn se croisent sur le pont, c'est du contraste entre l'intemporalité idéale de cette rencontre et l'éphémère réel que surgit une douleur poignante. On donnerait tout pour vivre un tel instant sachant pourtant qu'il conduit à la souffrance et la folie ; et de cette certaine manière, nous partageons l'illusion terrible d'Arwen la belle dans sa décision délibérée de troquer sa jeune immortalité contre des années de tristesse et de souffrance ; car elle sait au moment de ce choix effrayant qu'elle finira sa vie, errant comme une ombre, sous les futaies désormais agonisantes et grises d'une Lothlorien désertée, folle, l'esprit égaré de désespoir par la perte de son unique amour.

jeudi, septembre 15, 2005

La BD la plus nulle du monde entier


Pour rendre hommage à mon premier visiteur qui n'est pas moins que - je vous le donne en mille ! l'auteur du célébrissime "Mégablairo, la BD la plus NULLE du monde ENTIER", je me propose de recopier sur mon blog un article posté dans son livre d'or. J'espère ainsi contribuer à la diffusion de son oeuvre remarquable. Je confesse que sous ce semblant de promotion se dissimule une sournoise fierté vis-à-vis de mon propre texte. Que voulez-vous, on a du style ou on n'en a pas !

Ces nouveaux héros qui nous font rêver


C’était un Mercredi soir du mois de septembre, le 14 pour tout dire. Un Mercredi tout ce qu’il y a de plus normal. Et pourtant ce jour-là, la galaxie du 9ème art allait s'illuminer d'un nouveau super héros au nom mystérieux, différent et dans qui tout le monde se reconnaît, Mégablairo.


Un coup de fil de Méga qui venait de lire notre publication. En plein bouclage. Avec un max de stress.
- Allô, bonjour, c’est Mégablairo, je vous appelle pour vous dire que douze lignes de critique, c’est trop.
- Méga (on l'appelle comme ça entre intimes), pourquoi tant de modestie ?
- J'y peux rien. C'est le lot quotidien de tous les super héros.
Un mec bien ce Méga.
- Mégablairo, pourquoi tant de secrets? Qui se cache derrière les yeux pétillants de ce masque sombre comme la nuit et ce costume jaune rapiécé et pourtant toujours aussi seyant ?
Il ne répond pas. Trop pour lui...
- Et là, vous êtes comment, Méga?
- Sous un figuier, près de Cherbourg.


Mégablairo, c'est des images chocs que la bédé n’a jamais montrées, un duel provoc entre le bien et le mal, une actrice qui s’est vraiment lavé les cheveux...


Et depuis ce jour-là, ce Mercredi soir banal du 14 Septembre, je me suis dit qu'on se devait de s’engager plus que jamais contre vents et marées, contre bec et ongles et parfois contre tout le monde, pour défendre un petit rien qui m'a bouleversé, comme le film "Brice de Nice" ou la bédé "Mégablairo". Rien que pour contredire ceux qui prédisent deux ou trois années de vache maigre à venir pour la bédé en France.


Mégablairo, c'est un mécanisme du rire qui s'exerce à vif. C'est un choix de fontes et de couleurs musclé qui frappe l'oeil et aussi le coeur. Mégablairo, c'est comment dire... il faut le lire pour en parler le mieux.



Retrouvez ici votre super héros favori, Mégablairo !

Pour le style "reportage coup de poing", j'admets avoir puisé mon inspiration dans les articles d'un magazine dont j'adore les critiques au dos des vidéo cassettes. Si leurs auteurs se reconnaissent, ils ne peuvent pas m'en vouloir, c'est tout en leur honneur.

mercredi, septembre 14, 2005

L'Homme au Chapeau


Hier à l'heure de l'apéro, mon ami le grillon, devant la goutte de pastis et les quelques miettes de cacahuètes que je lui avais servies sur une feuille de mûrier, était un peu bourré. Plutôt guilleret, il me dit avoir réfléchi à la question de la supériorité de l'espèce humaine sur les autres (hormis l'espèce grillonne, bien sûr). Il avait trouvé une de nos caractéristiques assez remarquable ; c'était notre aptitude à concevoir et fabriquer les coiffes les plus inutiles et invraisemblables et à nous exhiber pourvu de ces couvre-chefs sans éprouver le moindre sentiment de ridicule.

Comme je n'étais pas absolument assuré de savoir s'il plaisantait ou non, je lui rétorquai que j'avais moi aussi tourné et retourné le sujet de notre précédente discussion ( voir quelques messages plus bas ). Il me paraissait que deux de nos comportements n'avaient pas leur équivalent chez les autres espèces animales, à savoir :

- les cérémonies rituelles à l'usage des défunts ;
- l'échange d'objets présentant une valeur exclusivement symbolique ( la monnaie ).

Il me dit de ne pas me soucier de tels actes prouvant que l'intelligence dont nous nous enorgueillissions n'était qu'une forme spéciale de l'imbécillité, grâce à laquelle nous prenions constamment des vessies pour des lanternes. Je dus faire une drôle de tête car il s'excusa toute de suite de l'inconséquence de ses paroles et, changeant soudain de sujet de conversation, me demanda si j'avais trouvé un nouveau titre pour mon blog.

Plusieurs idées furent alors mises sur le tapis : "L'Epistémologie non cartésienne" que je trouvais hors sujet et trop ennuyeux ; "Critique de la Raison Pure" me plaisait bien mais il me semblait l'avoir déjà entendu quelque part ; "Entomologie humaine et zététique du quotidien" était un titre splendide, mais - chose pourtant inimaginable - il existait déjà un blog de ce nom ! Après nombre d'autres jets infructueux, mon ami le grillon me proposa "Homo cappelensis", définition selon lui de mon espèce ; mais comme l'alcool aidant nous n'étions pas très sûrs de notre latin, nous décidâmes d'un commun accord que "L'Homme au Chapeau" serait un titre plus simple et plus adéquat.

Puis la soirée se prolongeant, je raccompagnai mon ami jusqu'à son trou. Il aurait eu du mal à le retrouver tout seul !

mardi, septembre 13, 2005

Coïncidences


Il est toujours curieux de voir le même sujet traité le même jour sur d'autres sites. Alors que j'abordais le thème de la contrariété, deux des blogs que je lis parfois parlaient simultanément du jugement porté sur le monde. Quelques extraits :

Chaque jour nous sommes donc amenés à poser une succession d'actes qui renvoient à des millions d'autres effectués par autant d'individus différents. C'est un principe d'interdépendance au niveau social qui rend vaine toute prétention à vouloir se situer hors du "système", ce à quoi prétendent de plus en plus de personnes. Surtout celles qui ne posent quasiment que des actes symboliques, et sont donc plus ignorantes que les "homo faber" des implications de chaque geste. Se positionner comme sujet prétendant juger un "monde pourri" de l'extérieur est donc absurde, c'est la vaine croyance dans une individualité totalement autonome, croyance dans l'existence d'une frontière imperméable entre le monde extérieur et "soi". ( L'interdépendance et le social sur ZenBlog )

Dans l'expression selon laquelle il faut "accepter" ce qui est, il y a quelque chose qu'on voit clairement : si on refuse ou on s'oppose par principe à la réalité, on est d'emblée dans une position de dualité vis-à-vis de cette même réalité. ( Accept or not accept ? sur Blogchen )

Soit dit en passant, ce n'est pas parce que je les cite ici que je suis forcément d'accord.

lundi, septembre 12, 2005

Le monstre sur la terrasse


"Une congestion informe de bulles protoplasmiques, émanant une faible lueur, dans laquelle des myriades d'yeux temporaires s'agrégeaient et se désagrégeaient comme des pustules de lumière verdâtre..." ( Les Montagnes Hallucinées, H.P. Lovecraft ).

Je l'ai vu ! Ce matin, à moitié réveillé par le téléphone alors que j'étais dans cet état morbide du sommeil où le souvenir des rêves de la nuit se métamorphose en fantasmagories dont on ne sait plus bientôt s'il s'agit d'une pensée raisonnable, d'un rêve en train de se matérialiser ou d'un souvenir - cet état hypnopompique malsain, propre à déclarer, si l'on s'y attarde avec trop de complaisance, toutes sortes de démences et de psychoses ; ce matin - étais-je en train de dire - mon attention à demi endormie balayait négligemment le sol de la terrasse que les feuilles du grand mûrier et de la vigne vierge commencent à joncher, l'automne approchant, lorsque elle fut rivée de manière hypnotique par quelques dizaines d'yeux inhumains la fixant.

C'étaient des yeux sans iris, verts, magnifiques, doucement lumineux, fendus par une pupille verticale, phosphorescente et dorée. Leur disposition, leur taille inégale rappelaient la couronne oculaire de l'araignée. Il n'y avait pas de sentiment, en tout cas rien de connu ou de connaissable dans ce regard, rien qui puisse s'apparenter à la conscience de l'homme. Je restais là, fasciné par le monstre comme un oiseau devant le serpent, jusqu'au moment où l'intention se dégagea de prendre cet instant en photographie. Quand je revins avec l'appareil, il n'était bien sûr plus là.

J'ai tout de même pris la photo pour conserver une faible idée de cette impression. Peut-être le verrez-vous, vous aussi. Et prenez garde surtout ! Se souvenir de ses rêves est bien plus dangereux qu'il n'y paraît...

Pauvre Saint Antoine !



Mon blog n'a pas encore trouvé sa forme définitive ; et c'est certes une chance puisque le jour où il l'aura trouvé, cela signifiera assurément que je m'y ennuie et qu'il ne tardera pas à fermer. L'inexistant lecteur objectera avec raison que je me projette trop loin dans le temps et que je serai peut-être sous terre fort avant. Que répondre à une remarque si bien fondée ? Rien. Ignorons la avec dédain.

Le titre. Tout d'abord, il existe au moins trois blogs s'intitulant "le Meilleur des Mondes". Qui plus est, ce titre suggère un ton particulier que je ne me sens pas décidé de tenir. Lorsqu'on appelle son blog ainsi, on se pose dans l'attitude théatrale du prophète désabusé que tout et tout le monde contrarie. C'est quand même un comble si l'on admet que le monde est notre représentation. Imaginez seulement le quotidien de ce pauvre ermite qui s'évertue tout au long de la seconde part de sa courte existence à se dégoûter des croyances et des illusions dont il s'est convaincu durant la première. Est-ce une vie ?

C'est une expérience partagée par tout un chacun, j'imagine, que de se sentir contrarié par ce qui nous advient. Dans le fond, le seul responsable de ceci est notre faculté à nous croire tellement important que tout devrait se plier à notre désir.

Le titre du blog changera donc. Quant à son contenu, je n'en ai aucune idée. C'est peut-être de bon augure, tout compte fait...

jeudi, septembre 08, 2005

Mon ami le grillon



Hier soir même, j'ai eu une discussion soutenue avec mon grillon familier, celui-là qui réside sous le grand mûrier du jardin, à propos de la supériorité de l'espèce grillonne sur les autres espèces de la création. Il m'a été impossible - je le pleure avec amertume - de lui faire entendre raison. Sans doute, mes piètres qualités d'orateur sont à mettre en cause mais aussi mes connaissances lacunaires dans les subtilités propres à son langage. Toujours est-il que nous nous sommes quittés fort fâchés ; j'espère que nos relations ultérieures ne s'en ressentiront pas.

Mon ami orthoptère affirmait que l'être grillon est un animal à part, bénéficiant de qualités singulières lui donnant le droit de se considérer comme supérieur aux autres espèces. Déplorablement, mes considérations d'humain n'intervenaient pas dans sa ligne de compte car son critère absolu était la faculté d'émettre un chant harmonieux en mouvant l'élytre droit sur le gauche à la manière d'un archet. Il ne pouvait se montrer que laudatif vis-à-vis de l’étendue et la richesse des moyens mis à la disposition du grillon pour exprimer ses sentiments à l’auditeur, son éloquence développée au cours des millénaires et sa faculté d’adaptation étonnante face à la pensée musicale de son époque.

Confronté à une particularité tellement distinctive, je ne pouvais raisonnablement objecter des caractéristiques comme la pensée, le rêve, le rire, l'utilisation d'outils, la vie en société ; non plus que le travail collaboratif ou le suicide - sont-ce vraiment des qualités ? puisqu'elles sont partagées par d'autres espèces animales. Quant à appuyer mon argumentaire sur la croyance en une vie après la mort et les coutumes s'y rapportant, cela m'a paru si peu convaincant que je n'ai osé l'évoquer.

Piètrement je le confesse, j'ai du soutenir que l'espèce humaine était l'un des animaux les moins capables de se défendre dans la nature et qu'elle n'avait dû sa survie qu'à son intelligence. C'est une croyance communément admise... mais comment ne pas paraître ridicule en affirmant cela à un grillon ?

Premiers pas...


Me voici enfin arrivé sur ce monde étrange. Je lève le coude et hop ! je m'envoie un p'tit verre afin de me donner du courage...

Là, j'erre à travers les plaines désertes et inconnues. Le ciel est noir ; uniforme et gris le sol. A perte de vue, aucune forme de vie. J'ai pourtant été prévenu de l'existence d'entités aberrantes. Ca tombe bien, je compte récupérer quelques échantillons de monstruosité... Ca fait partie de ma mission.