lundi, octobre 31, 2005

Le ciel bas et lourd

Pour la n-ième fois, je vois que mon humeur est directement influencée par le temps qu'il fait. Aujourd'hui il pleut. Je n'arrive pas à mettre la dernière main à l'article que je préparais. Lecteur, il te faudra attendre encore quelques jours. Par chance, je n'habite pas Bruxelles.

Autre remarque : j'ai aussi noté qu'il m'est plus facile d'organiser mes idées et mettre en lumière certaines relations pendant que je les exprime verbalement à un interlocuteur. Je fonctionne à l'envers du proverbe : « ce qui se conçoit bien s'exprime clairement ». Durant mes années de collège, je ne compte plus le nombre de fois où cet argument sophistique m'a plongé dans l'exaspération.

vendredi, octobre 28, 2005

Le musée Giger à Gruyères

Le voyageur romantique se promenant dans le joli bourg de Gruyères, en Suisse, voudra admirer le pittoresque château de nuit. Il se réjouit d'avance du clair de lune qui approfondit les bosquets et bleuit les flancs des proches montagnes enneigées.

Dirigeant ses pas dans les étroites ruelles, hélas ! il se sent soudain envahi d'un sombre pressentiment. Semblable au marcheur de Coleridge qui se croit suivi par une présence invisible sur le chemin désert, il se hâte sans plus oser se retourner. La ruelle est obscure et ses pas solitaires résonnent sur le pavé. Soudain il s'arrête, sur ses gardes sans savoir pourquoi. Il a l'impression que quelqu'un - ou quelque chose, l'observe. Levant son regard inquiet vers les fenêtres, il aperçoit avec horreur dans l'ombre une forme immonde qui rampe vers lui, la tête en bas, sur le mur ! Sans demander son reste, le voyageur court à perdre haleine et rejoint sa chambre d'hôtel où il s'enferme, livide, à double tour.

Il sera passé, sans le savoir, devant le musée Giger *.

* Vous pouvez agrandir l'image en cliquant dessus.

mercredi, octobre 26, 2005

L'éternité du sentiment

Chaque moment est éternel. C'est le passage constant d'un instant immuable à un autre qui nous donne l'impression du défilement du temps. Or il advient parfois que l'on reste coincé, de manière paradoxale, dans une des ces secondes qui dure éternellement... Jusqu'à quand ?

Je dédie ce poème à Mlle Y. qui traverse aujourd'hui les mêmes plaines obscures que j'ai visitées il y a quelques années. Puisse son voyage être plus court que le mien.

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Némésis


Tu livras mon cœur effaré au tourbillon des flammes
- Chute immense dans des gouffres hideux
Qu’à jamais visitait seule la douleur.
Minute éternelle du sentiment,
Fixée pour l’immémoriale infinité dans la forme
Stable et noire d’un bloc de carbone
Cristallisé dans la gangue des laves.

Tu jetas mon âme effrayée dans l’Abîme
( Ô toi que j’aimais )
Et tu restais
Droite et blanche sur le bord du gouffre
Telle la statue divine du remords :
Inflexible Némésis dans ta robe d’angoisse,
Immobile et glaciale Némésis
Dans ta robe tissée de nuits sans sommeils.
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Un méchant peut en cacher un autre

Comme le disait Hitchcock à Truffaut, "plus le méchant est réussi, plus le film l'est aussi". Cette sentence n'a pas valeur de règle absolue : dans son splendide "les Enchaînés" ( Notorious ), le méchant, Sebastian ( Claude Rains ) ne fait pas forte impression, ce qui permet d'ailleurs la simplicité extraordinaire du dénouement. A l'inverse, le chasseur de primes joué par Lance Henriksen dans Dead Man, aussi sinistre et macabre soit il, n'ajoute pas réellement à l'intensité dramatique du film puisque le héros n'a rien à craindre : il est déjà à moitié mort.

En fait, le rôle du méchant diffère selon le type de film envisagé et cela implique qu'il faille d'abord classer les "films à méchants". Pour simplifier, je distinguerai trois grandes catégories : les films d'aventure et d'action où le héros entreprend une quête qui l'amène dans la gueule du loup ; les films de poursuite ( thrillers ) où le héros, traqué tout au long du récit, se sauve d'une cachette à une autre ; les films de revanche, fondés sur l'élimination successive des nuisibles afin de fonder un nouvel ordre social. La narratologie n'est pas une science exacte, loin s'en faut, et l'on ne m'en voudra pas si cette taxonomie est bâtarde : certains films peuvent aussi bien se classer dans une typologie que dans une autre ; enfin, la plupart des films d'action comprennent en latence ces trois épisodes ( départ en quête, poursuite et élimination ). Toutefois j'espère que cette classification nous sera momentanément utile.

Quelques exemples aideront sans doute à sa compréhension. Dans la première classe, on trouvera les l'Aventuriers de l'Arche perdue, l'épisode IV de la Guerre des Etoiles, Psychose, Legend, Conan, etc. Dans la seconde se rangeront les Terminator I et II, Duel ( de Spielberg ), La Mort aux Trousses ou l'épisode V de Star Wars ; dans la troisième, pas mal de films de Clint Eastwood dont l'Homme des Hautes Plaines et Pale Rider, mais aussi Blade Runner, Mars Attacks et Kill Bill.

De manière plus ou moins parallèle à cette classification, le méchant tiendra un rôle différent. On peut, je crois, discerner trois sortes de méchants : le despote, le maître des ombres et l'alter ego encombrant. Le despote, dans une position sociale ou familiale dominante, se caractérise par l'abus de pouvoir ( le Prince Jean dans Robin des Bois ) : à la fin du récit, il est remplacé par un meilleur choix ; le maître des ombres se définira par des dons mystérieux et terribles ( le T2000 ). Il peut s'agir d'un monstre, d'un démon ou d'un animal ( un dragon ) et il n'a pas de rôle social - il incarne d'ailleurs le monde informe, non socialisé - donc il n'est pas remplacé lorsque tué. L'alter ego encombrant est un personnage de rang identique à celui du héros, mais pourvu de caractéristiques négatives ( ainsi l'archéologue Belloc dans l'Arche Perdue ) : le héros prend ou retrouve son statut à sa disparition.

Ces différents méchants n'incarnent pas les mêmes symboles, ne revêtent pas la même vilenie et donnent donc l'impression d'être plus ou moins mauvais. Parfois ils sont bien distincts, parfois ce n'est pas le cas. En vérité, on se rendra compte que leurs rôles sont divisibles et interchangeables, leurs diverses caractéristiques pouvant aussi s'entremêler. Ainsi, Darth Vader cumule les fonctions de despote familial ( le père essayant d'éliminer ses enfants ), de maître des ombres pourvu de pouvoirs maléfiques et, à la longue, d'alter ego de Luke susceptible d'être remplacé auprès de l'Empereur. Lorsqu'une caractéristique d'un méchant disparaît, elle donne naissance à un nouveau méchant ( ainsi le rôle croissant de l'Empereur dans Star Wars compense celui diminuant de Darth Vader ). C'est particulièrement visible dans les séries télévisées, comme Flo l'avait déjà remarqué.

A la mort d'un personnage bénéfique répond la perte de la fonction correspondante du méchant. Ainsi, la mort de Obiwan fait passer Vader du statut de maître des ombres à celui d'alter ego encombrant. Un sort similaire advient à Tom dans le dernier tome d'Harry Potter ; et l'on découvre que le terrible Voldemort n'est finalement qu'un Harry Potter qui, parce qu'il déconsidérait ses parents et cherchait à se forger un nom, a mal tourné.

lundi, octobre 24, 2005

La confusion des valeurs

Il est assez stupéfiant de constater combien les gens prennent facilement à leur compte des opinions découlant essentiellement du marketing. Ces opinions, lorsqu'elles sont volontairement émises, sont ce que l'on appelle la propagande ; et cela nous laisse supposer que cet antique principe de tout gouvernement a encore de beaux jours devant lui, mais là n'est pas notre sujet. Parlons plutôt de cinéma.

Je discutais de films récents avec une connaissance. Cette personne affirmait que les nouveaux réalisateurs avaient tendance à estomper le manichéisme - à l'intention de mon ami Olivier, je précise qu'il s'agit de l'opposition tranchée entre bien et mal * ; et donc qu'il n'y avait plus vraiment de grands méchants, ce qui donnait lieu à des personnalités plus "réalistes". Cet avis - qui s'écarte des faits - ne fait que refléter un marketing à la mode utilisé lors du lancement de plusieurs films. Mais il est possible qu'il ait suffisamment d'impact pour influencer certains scénaristes même. En fait, la question est prise totalement à l'envers.

Un récit, surtout quand il est construit comme un conte, ce qui est le cas de la plupart des oeuvres cinématographiques, a naturellement tendance à être moral. J'entends par là qu'il présente un problème ( familial, social, politique, environnemental, cosmologique, etc. ) et lui trouve une solution : une morale. A l'observation, on se rend compte que notre façon d'envisager les difficultés quotidiennes dépend des structures familiale et politique de la société, lesquelles se reflètent toutes deux : dans une société autoritaire aux valeurs clairement définies, la morale de l'histoire sera rigide ; dans une société où les valeurs se confondent, la morale sera laxiste. De l'intensité perçue du problème dépend la force du caractère du méchant. Ce n'est pas un hasard si la plupart des super-héros américains et leurs super-vilains associés sont nés peu de temps avant une guerre ( Superman 1938 ; Batman 1939 ; Hulk et Spiderman 1962 ; X-men et Iron Man 1963 ), période durant laquelle les points de vue sont nécessairement tranchés.

Il est vrai qu'en cette année 2005, même les films des meilleurs réalisateurs semblent ne pas savoir sur quel pied danser. La Guerre des Mondes de Spielberg n'arrivait pas à se positionner sur les thèmes du Onze Septembre et de la Guerre du Golfe et le scénario de David Koepp débouchait sur un méli-mélo de propositions contradictoires. Traitant de l'éducation, Charlie et la Chocolaterie distille une morale gâteuse ne parvenant plus à croire aux valeurs brouillées qu'elle prône. Il en va pareillement des Noces Funèbres, où les choix d'oppositions thématiques sont tellement sans substance qu'on finit par se désintéresser du destin inconséquent des fades héros. Curieusement, deux beaux films présentés simultanément à Cannes, Broken Flowers de Jim Jarmusch et Don't Come Knocking de Wim Wenders traitent exactement du même sujet - entre autres, les projections du père sur le fils ; et simultanément ils n'arrivent pas non plus à le résoudre. Je préfère toutefois au traitement de Sam Sheppard ( le scénariste de Don't Come Knocking ) qui choisit une happy-end un peu douteuse, celui de Jarmusch, qui expose finalement l'aspect illusoire de la question.

* Olivier est en fait un grand spécialiste du manichéisme : il en a inventé plusieurs définitions.

dimanche, octobre 23, 2005

Le voyage fantastique de Dado

Vendredi, l'idée m'était venue de profiter du soleil pour photographier des bosquets depuis une hauteur, lesquels pourraient servir un dessin en projet. Or les environs de Toulouse ne sont pas réputés pour leur altitude aussi pris-je le parti courageux de me diriger vers Foix. Hop ! Me voici en voiture !

Malheureusement vers Auterive, je me rendis compte que la lumière, comme souvent dans la région, était affreuse : un ramassis poussiéreux de rayons couleur de craie. Avisant quelques gros nuages d'orage vers l'est, j'espérai trouver dans cette direction des contrastes plus accentués et je m'engageai sur des routes inconnues qui serpentaient sur les collines au-delà de l'Hers. Je traversai ainsi les petits villages de Cintegabelle - célèbre pour son ancien maire - puis de Calmont. Calmont porte à moitié bien son nom car si l'endroit est excessivement calme, il n'est pas situé sur un mont. Il y avait là un joli pont où je pris cette photographie.



Du coté de Mazères, je parvins sur une route de crête qui me permit d'évaluer l'étendue de mon erreur. J'étais en pleine saison des labours ; la lumière, toujours aussi médiocre car les nuages étaient plus éloignés qu'ils ne paraissaient au premier abord, éclairait platement de vagues ondulations de molasse qui s'estompaient dans la poussière des lointains. Les mottes d'argile dans les champs chatoyaient d'une manière étrange, presque noires en contre-jour et totalement surexposées en plein soleil ; les chaumes secs, gris neutre, étaient mêlés d'herbes d'un jaune citron violent ; enfin quelques brins de blé vert saturé commençaient à poindre dans la terre sombre ; tout cela dans un désordre de variations chromatiques très désagréables à l'oeil.



C'est d'ailleurs à partir de là que tout commença à devenir bizarre. J'arrivai d'abord dans un vallon aussi étrange que son nom, le Brésil.



Puis passé le prétentieux col de Samson ( 317 grands mètres ) je redescendis vers Castelnaudary. Surprise ! je découvris ici un port dont l'existence m'avait été cachée depuis des décennies !





Je poursuivais toujours les gros nuages à l'horizon. Mais ils s'estompaient au fur et à mesure que j'avançais. Qui plus est, j'entrais maintenant dans le Lauragais, que la muse de la peinture n'a sans doute jamais frappé de l'empreinte de son pied délicat. En désespoir de cause, je m'arrêtais à Saint-Félix pour boire une menthe à l'eau. Le serveur du café, pourvu d'un accent indéfinissable et d'une combinaison de pilote de rallye, rôdait autour de ma table. Je payai d'avance. Mais il continua à me surveiller comme si j'allais me sauver avec la carafe vide. Je m'éloignai pour prendre quelques photographies sur les remparts.





Par la suite, je ne me souviens plus très bien de ce qui m'arriva. Je me rappelle d'un village au nom fort improbable, Saint-Julia-de-Gras-Capou. Il y avait près d'une fontaine une frêle jeune fille dont la magnifique chevelure noire ruisselait infiniment comme une cascade nocturne. Elle dirigea son regard vers moi. Depuis, je ne sais plus si je rêve ou si je suis éveillé. Combien de temps s'est-il passé ? Suis-je rentré chez moi ? Suis-je en train d'écrire ces lignes ? Ou suis-je encore plongé dans le songe confus d'une naïade, enchevêtré à jamais dans les lacs fascinants de ses longues mèches d’ombre, près de la fontaine de Saint-Julia ?

mercredi, octobre 19, 2005

Le Machecorne

Finalement, Emilie et Olivier n'ont pas vu le monstre dans le jardin. Par contre, Emilie a aperçu une fourmi de profil. Il faut donc croire que mon imagination était bien due aux vilaines bébêtes que je suis en train de dessiner pour une prochaine partie de jeu de rôle. Je vous présente l'une d'entre elles : le Machecorne.



Le dessin est executé au bic en trois minutes mais j'ai passé cinq heures pour l'encrage sous Photoshop. Je suis assez content de la lumière. Dessiner des monstres n'est pas trop difficile. Les erreurs ajoutent à l'effet. C'est lorsqu'on essaie de faire des sujets harmonieux que les choses se compliquent...

mardi, octobre 18, 2005

Petit exercice de réalité


Voici la réponse au quiz précédent. Si je me fie à la classification du film Ghostbusters, il doit s'agir d'un esprit glouton de classe IV. Mais on pourra aussi reconnaître un dragon. J'espère ne pas être encore le seul à le voir cette fois-ci !

Le problème, c'est que maintenant cette image a pris pour moi le pas sur le reste du décor et ma photo est fichue. C'est un peu comme dans le tableau de Dali "le Marché aux esclaves avec disparition du buste de Voltaire" : une fois qu'on a trouvé le buste, on ne voit plus que lui.

Cette persistance des images identifiées va beaucoup plus loin qu'on ne le croit. Un matin d'hiver alors que j'avais très mal dormi, j'étais allé prendre un café sur la terrasse de plain-pied située à l'arrière du bâtiment où je travaillais. C'était un endroit tranquille, séparé des champs et des friches par une grosse haie de buissons et il y avait à ma gauche un banc où je comptais m'asseoir. Mais le banc était occupé par un joli chat de gouttière. Il prenait paisiblement le soleil et je n'ai pas voulu le déranger. Je venais donc de lui jeter un coup d'oeil quand je tourne soudain la tête vers la droite... pour apercevoir un autre chat, énorme cette fois, d'environ un mètre de haut et absolument symétrique du précédent. L'hallucination disparut au bout d'une demie seconde. Il y avait en fait un arbuste de la même couleur que le chat et d'une forme vaguement similaire. Trompé par mon brusque mouvement, mon cerveau avait désespérément tenté de rétablir la continuité entre des perceptions disparates et transformé le buisson en l'animal vu à l'instant.

De fait, la construction de la réalité dépasse le seul sens donné aux formes perçues et s'applique aussi aux principes de base même de l'espace. Je vous propose ce petit exercice instructif : fermez un oeil et regardez autour de vous. Je suppose que vous continuez à voir la profondeur de la pièce qui vous entoure. Cela peut sembler une évidence mais pourtant ça ne l'est pas du tout. L'impression de profondeur découle en majeure partie de la parallaxe entre les yeux. Puisqu'un des deux est fermé, c'est donc notre cerveau qui la reconstitue artificiellement. Une personne qui perd un oeil continue à voir ainsi la profondeur pendant quelques semaines ; puis elle finit par percevoir l'espace en deux dimensions, comme un tableau plat, dressé devant son regard.

lundi, octobre 17, 2005

Le Temple de la Divine Tortilla

La paréidolie est une illusion cognitive qui amène à distinguer une image plus ou moins précise dans un ensemble de stimuli visuels aléatoires. Le plus souvent, on devine un visage, une silhouette humaine ou animale. Ce phénomène est bien sûr reconnu depuis très longtemps, comme en témoigne cette note de Léonard de Vinci : « Si tu regardes des murs souillés de beaucoup de taches ou faits de pierres multicolores avec l’idée d’imaginer quelque scène, tu y trouveras par analogie des paysages au décor de montagnes, rivières, rochers, arbres, plaines et collines de toutes sortes. Tu pourrais y voir aussi des batailles et des figures aux gestes vifs et d’étranges visages et costumes et une infinité de choses ».

Les exemples les plus communs de paréidolie sont les formes dans les nuages et le visage dans la Lune. Les Anglais y voient un homme avec une lanterne, poursuivi par un petit chien alors que d'autres peuples y discernent une souris. Il y a aussi le fameux sphinx sur Mars. Quelques cas sont plus drolatiques : en 1977, Maria Rubio faisait cuire une tortilla pour son mari quand elle découvrit dans les taches de brûlé le visage de Jésus Christ. La famille fit bénir l'omelette, lui construisit un petit temple et de nombreux pèlerins affluèrent de tous les Etats Unis pour être témoin du miracle.

Shrine of the Miracle Tortilla

Enfin, en Novembre 2004, une tartine vieille de dix ans, où l'on discernait un visage supposé être celui de la Vierge Marie fut vendue sur Ebay 28000 dollars ( photographie en encart). Personnellement, j'y vois plutôt Marlène Dietrich.

Columbia Daily Tribune: Virgin Mary, the grill of my dreams

Le test de Rorschach utilise cette particularité de l'esprit humain dans une perspective diagnostique. Mais plus généralement, la paréidolie permet de comprendre que toute réalité est une construction : c’est le sujet qui donne du sens aux stimuli perceptifs.

Il y a une paréidolie dans le message précédent : un monstre affreux se cache dans le jardin de ma voisine. Saurez-vous le découvrir ?

Le jardin de la voisine



Le jardin de la voisine du dessous est resté, comme elle, à l'état sauvage. Il y a une analogie secrète entre les intérieurs, les jardins et la nature féminine, analogie qui m'incite prudemment à ne pas pousser sa fréquentation au delà des banales conversations de palier échangées les rares fois où nous nous croisons.

Mais la vue de ce jardin laissé à moitié à l'abandon me procure toujours un ravissement similaire à celui d'une promenade en sous-bois. L'usage passé du vieux mur rose de droite, composé de briques cuites désagrégées et dans lequel viennent se ficher des pitons de fer rouillés, demeure un mystère. Une murette de pierre en forme de S sépare la terrasse d'argile grisée par les lichens d'une zone envahie de folles herbes et de ronces. Au printemps, on y voit surgir les clochettes blanches des narcisses et des aulx. Le tout est obscurci par l'ombre humide d'un énorme mûrier au pied duquel se terre un grillon philosophe.

Celui-ci ne m'a pas rendu visite ces derniers temps. Je suppose qu'il a commencé son hibernation.

mercredi, octobre 12, 2005

Le sens de la vie

« Qui cherche un sens à la vie est inquiet comme le lièvre d'automne. Qui aspire à un sens partagé par les dix mille êtres est timide et aisément gagné par la peur, tel le mouton avant la tonte de la laine. Qui est heureux et plein a trouvé ; lui ne cherche donc rien. Qui est sombre et vide erre en quête d'une direction. Il n'y a pas d'autre sens que celui de la transformation réciproque du plein en vide et du sombre en lumineux. La cascade de Huang Guo Shu tombe du haut vers le bas. Là est le sens ».
Dado-Tseu, philosophe taoïste, IIIème siècle av. JC.

En dépit de mes incertitudes quant à l'historicité de cette citation, je la publie malgré tout. Elle m'accordera le temps de terminer mon futur article qui, je l'espère, portera sur le sens.

mardi, octobre 11, 2005

La journée de la santé mentale


S'il l'on en croit la Wikipedia, la journée du 10 Octobre était la journée mondiale de la santé mentale, ce qui aura ravi tous les amateurs du jeu de rôle l'Appel de Cthulhu où elle est la caractéristique la plus précieuse de leurs personnages... mais aussi la plus volatile, à leur grand regret.

Le jeu l'Appel de Cthulhu est inspiré de la nouvelle éponyme de l'écrivain fantastique H.P. Lovecraft (voir dessin en encart) - précisons à l'intention des béotiens que H.P. ne signifie pas "hôpital psychiatrique", mais Howard Phillips. L'imaginaire de cet auteur américain est peuplé de créatures cauchemardesques, affreux monstres surgis des tréfonds obscurs de l'espace intersidéral ou des profondeurs insondables des antiques et sournois océans ; et qui s'apprêtent, après une petite sieste de quelques millions d'années, à reprendre sur terre la place qu'une race d'êtres débiles, les humains, leur avait usurpé temporairement.

On convient d'encenser le contenu fictionnesque des récits de Lovecraft. Mais il se trouve très peu de critiques pour en relever l'aspect documentaire. Ainsi, cette curieuse nouvelle diffusée à la BBC n'a certainement pas eu la répercussion qu'elle méritait : en Juillet 2003, une chose de 12 mètres de long fut retrouvée échouée sur une plage chilienne. Cela n'était ni une baleine, ni un calmar, ni un poulpe ; et les malacologues, les teuthologues et les taxonomistes, après avoir déclaré la découverte d'une nouvelle espèce et mesuré le spécimen en long, en large puis enfin en travers, se sont empressés de l'oublier.

BBC News : Giant blob baffles marine scientists


A première vue, il devait s'agir d'un fragment d'hectocotyle de jeune cthulhu ( Cthulhus Profundus ).

Autre cas d'amnésie pareillement nébuleux, tous les biographes de Lovecraft passent sous silence sa participation à l'expédition antarctique Bonazzi-West en 1927 ( en tant que correspondant de presse pour le Boston Globe ). Il existe très peu de témoignages, à l'exception de la photographie ci-dessous, concernant cette expédition achevée de manière calamiteuse et dont les étranges trouvailles, prétendues archéologiques, ont mystérieusement disparu.


Les spécialistes se sont accordés à dire que les curieuses marques en forme de bas-relief sur la dalle levée étaient des fissurations de type cryoclastique, provoquées de façon naturelle par le gel intense sous ces latitudes. Quant aux formations rocheuses à l'arrière plan, il est probable qu'elles aient inspiré ce paragraphe de la nouvelle "Les Montagnes Hallucinées".

Curieuses formations sur les pentes des plus hautes montagnes. De grands blocs allongés aux côtés parfaitement droits, des lignes rectangulaires de remparts verticaux, peu élevés, comme ces vieux châteaux asiatiques suspendus à des montagnes abruptes dans les peintures de Roerich. Impressionnant à distance. Me suis rapproché avec l'avion de certains. Carroll a eu l'impression qu'ils étaient constitués de morceaux plus petits, mais c'est probablement l'érosion. La plupart des angles sont effrités et arrondis comme s'ils avaient été exposés aux tempêtes et aux changements de climat pendant des millions d'années.

On ne trouvera pas beaucoup plus d'informations sur ce document, si ce n'est dans les archives poussièreuses de l'Université Miskatonic à Arkham.

dimanche, octobre 09, 2005

Fleurs brisées


Que reste-t-il
De nos amours ?
Que reste-t-il
De ces beaux jours ?
Une photo,
Vieille photo
De ma jeunesse...


La chanson de Charles Trenet pourrait illustrer le dernier film de Jim Jarmusch, Broken Flowers. Don Johnston ( Bill Murray ) est amené par les circonstances a retrouver cinq femmes dont il avait croisé la route, il y a 20 ans. Que sont-elles devenues depuis ? Que reste-t-il de leur rencontre passée ? L'histoire dessine en filigrane les fortunes diverses de cinq bouquets de fleurs, apportés pour leur rendez-vous et qui seront voués, comme toute chose ici bas, à faner. Dans cette comédie nostalgique sur les amours défaites, Jim Jarmusch trace l'inanité de ces destins croisés, les ailes brûlées dans les feux vains de la sensualité, les illusions derrière lesquelles on se pare pour survivre une fois les utopies de la jeunesse trahies, les rancunes restées muettes, l'omniprésence de la décrépitude et de la mort. Don Johnston a-t-il joué un rôle dans la destinée de ces âmes perdues ? Est-ce seulement la vie aveugle qui a brisé ces fleurs sans plus y prendre garde qu'une grande rafale de vent dans un jardin ?

Jim Jarmusch n'a pas appuyé les effets de ce délicat conte philosophique, qui passe avec la fragilité éphémère du haiku et se clôt sur une question qui restera à jamais sans réponse, à la manière d'un koan zen.

vendredi, octobre 07, 2005

La raison à l'état sauvage

Il me semble comprendre, d'après ce que j'ai pu lire des psychologues et des cogniticiens, qu'ils considèrent l'activité métaphorique comme une sorte de sous-produit ou, pour être plus précis, une sorte de produit dérivé du langage. Comme si le langage était rationnel par nature et que les poètes et leur confuse Muse, le Rêve, rajoutaient une couche d'abstraction incompréhensible sur ce qui était suffisamment clair auparavant.

Cette vue rationaliste paraphrase en fait le texte de Maupassant cité dans l'article précédent. Je ne pense pas me tromper en affirmant que c'est aussi le sentiment de Freud, pour lequel la symbolique du rêve est le résultat des processus du refoulement. Quant aux neurobiologistes, s'ils ont tendance de nos jours à refuser la description freudienne, la plupart d'entre eux semblent tenir la métaphore pour une figure de style dont ils ne se soucieront qu'une fois résolus les mécanismes du langage "naturel".

Autant dire que je ne souscris pas à cette opinion. Pour tout dire, elle me semble conduire à une impasse, de la même manière que créer des intelligences artificielles sans leur fournir les moyens de la perception de l'univers qu'elles étaient censées décrire a abouti à un échec. Pour moi, ce jugement est la conséquence d'incroyables surestimation des capacités de la raison et méconnaissance de l'intelligence, considérées a priori comme infaillibles - sauf erreur ; et ce reliquat médiéval d'une parenté entre la souveraine intelligence divine et celle humaine me semble très douteux, comme un indice sur les connivences entre les croyances de la science et de la religion chrétienne... mais c'est là un autre sujet !

Revenons donc à nos moutons métaphoriques. La métaphore n'est pas une simple tournure d'esprit. C'est une des manières d'appréhender ce qui nous entoure, en réduisant des éléments inconnus à des éléments connus, en établissant un transfert de signification entre deux codes, deux champs sémantiques. Si la poésie use souvent de la métaphore, en vérité la métaphore affecte tous les domaines de la pensée, depuis le rêve jusqu'à la description scientifique. Ainsi, la représentation de l'atome sous la forme d'un système solaire, avec de minuscules électrons tourbillonnant autour d'un noyau comme des planètes, est une métaphore.

Le type de raisonnement métaphorique, qui se résume à « A est à B comme A' est à B' », est ce que les ethnologues ont appelé la pensée magique. Contrairement à ce que l'on veut bien croire, ce n'est pas une sous-pensée - ou bien c'est une sous-pensée dans le sens précis où elle est la base sous-jacente à la pensée, à l'intelligence et à la raison.

jeudi, octobre 06, 2005

Synesthésies II : disgression en forme d'entonnoir


« Mon monde est coloré. Les lettres et les nombres possèdent une dimension de plus par rapport à une perception auditive normale : ils ont des couleurs. Le A et le 4 sont rouges pétillants, le E est jaune citron et le R bleu noir. La surface du I est lisse et douce tandis que celle du Z est peluchée. L'année a une forme ovale et lisse et rejoint les semaines et les jours dans une forme spiralée compliquée ; chaque mois possède une couleur. Je me souviens de la couleur du nom d'une personne avant de me rappeler comment elle s'appelle: Anna est rouge et vert foncé et son anniversaire est violet blanc, ce qui ne peut être que le premier Mai.
Ce n'est que récemment que j'ai appris, avec étonnement, que les autres n'avaient pas ces mêmes perceptions et j'ai de la peine à m'imaginer un monde sans mes couleurs, tout comme un non-synesthète a de la peine à comprendre mon monde. On a tendance à assumer que la réalité est la même pour tout le monde - l'expérience de la synesthésie nous montre que cela n'est pas le cas ». - Irène Schönenberger

La synesthésie est l'association spontanée d'impressions provenant de sens différents. Pour le synesthète « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». Cette association prend d'ordinaire l’aspect d’une évocation mais certaines personnes ont des perceptions réelles - le plus souvent colorées - liées aux lettres, nombres, jours de la semaine ou notes de musique. Certains voient des couleurs en réponse aux sentiments et émotions inspirés par des personnes ou des mots. Ainsi, il est possible de dire qu'un synesthète voit les sons ou entend les couleurs.

En fait, le phénomène est curieusement méconnu. Selon les auteurs, le pourcentage d'individus percevant les synesthésies dans la population est faible : de 0,04% à 1%. Or dans la pratique, il est un des fondements de l'art pictural où les couleurs sont décrites comme "froides" ou "chaudes". De plus, si la synesthésie joue un rôle crucial en art - Beethoven décrivait le si mineur comme la "gamme noire", Schubert le mi mineur comme "une jeune fille vêtue de blanc portant un bouton de rose au corsage" ; et même le mathématicien Feynman admet voir les fonctions de Bessel en couleur ! on ne peut nier sa présence dans le langage courant, comme le montrent les expressions "une peur bleue", "voir rouge", "un vieillard encore vert", etc.

Malgré tant d'évidences, les synesthésies, peut-être parce qu'elles remettent en question notre conception d'une réalité partagée, sont encore considérées comme des aberrations. Le Pr Ramachandran, directeur du Laboratoire du cerveau à San Diego, énumère avec un brin d'humour les hypothèses scientifiques sérieuses émises à ce sujet :
1) Ils sont dingues. Le phénomène est simplement le résultat d'une imagination désordonnée.
2) Ce sont des hystériques qui essaient d'attirer l'attention sur eux.
3) Ce sont des camés qui ont abusé du LSD.
4) C’est du aux souvenirs d'enfance où on collait des lettres magnétiques colorées sur le frigo.

Si l'on peut excuser les savants de leur aveuglement, il est bien plus regrettable de voir les mêmes platitudes exposées par un artiste. Voilà ce que pensait des poèmes Voyelles et Correspondances un écrivain connu :

« C'est là une simple question de pathologie artistique bien plus que de véritable esthétique. Ne se peut-il en effet que quelques-uns de ces écrivains intéressants, névropathes par entraînement, soient arrivés à une telle excitabilité que chaque impression reçue produise en eux une sorte de concert de toutes les facultés perceptrices ? Et n'est-ce pas bien cela qu'exprime leur bizarre poésie de sons qui, tout en ayant l'air inintelligible, essaie de chanter en effet la gamme entière des sensations et de noter par les voisinages des mots, bien plus que par leur accord rationnel et leur signification connue, d'intraduisibles sens, qui sont obscurs pour nous, et clairs pour eux ? Car les artistes sont à bout de ressources, à court d'inédit, d'inconnu, d'émotion, d'images, de tout. On a cueilli depuis l'antiquité toutes les fleurs de leur champ».

Ce point de vue désolant est celui de Guy de Maupassant. Mais s'il y a une justice en ce bas monde, elle ne manque pas de s'exercer en art aussi : la Muse rancunière se vengea et envoya le raisonneur positiviste finir ses jours à la clinique psychiatrique du château Bel-Air.

Plus d'info sur les synesthésies ?
Page d'Irene Schönenberger à la Faculté de Psychologie de l'Université de Genève
Synesthesia - Perception, thought and language (fichier PDF)

mercredi, octobre 05, 2005

Synesthésies I : Kiki et Bouba

Les synesthésies sont bien connues grâce à Messieurs Lagarde et Michard, sans lesquels les poèmes « Voyelles » de Rimbaud ou « Correspondances » de Baudelaire seraient certainement tombés dans l'ignorance. En voici un autre exemple plus prosaïque.

Les petits dessins suivants ont été conçus par Köhler en 1927. Ils servent à une expérience amusante. Si vous montrez cette figure à quelqu'un en lui demandant : « dans le langage martien, l'un de ces objets est nommé kiki et l'autre bouba, saurez-vous deviner lequel ? »


95% des gens attribueront le nom de kiki à l'objet pointu et de bouba à l'objet arrondi.

Pourtant ils n'auront jamais eu l'occasion de leur rapprocher le moindre stimulus auparavant. Cette expérience suggère qu'il puisse y avoir des contraintes naturelles à la manière dont nous associons des sons aux objets et ce serait le premier indice dans la compréhension des origines du proto-langage.

lundi, octobre 03, 2005

Voyage au pays XXL


En douterait-on ? Il est plus simple de nos jours de rejoindre la Californie en partant de Santa-Fé que cela ne l'était au XVIIIème siècle ( voir l'article plus bas sur l'exploration du Grand Canyon par les pères espagnols ). L'ami qui m'avait envoyé la carte postale, de retour des USA, a mis ses photographies sur Internet. Si vous avez une bonne heure à perdre, vous pouvez voir sur ce site les très nombreuses photos, dont une bonne vingtaine de splendides, qu'il a prises lors de son parcours à travers le Grand Canyon, l'Antelope Canyon, la Monument Valley, les parcs Arches et Yosemite, la Vallée de la Mort, sa découverte de Las Vegas et finalement, les gros rouleaux de l'océan Pacifique à Frisco.

Quand je vois ces paysages gigantesques aux couleurs impossibles, je trouve que les nôtres font vraiment étriqués à coté...