Elles sont trois Muses, trois soeurs se tenant par la main. L'aînée, la plus sage, penche son visage grave et pensif qui rappelle les jardins aimés autrefois ; c'est elle que l'on appelle le soir venu et qui paisiblement, quand l'auteur s'assoupit sur le texte, prend la plume à sa place et jette ces mots qu'il aura oublié au matin. La cadette, la plus riante et la plus folle, une bacchante celle-là, lui sert le vin qui l'enivre et lui donne l'étrange hallucination d'un sens et d'une importance aux feuillets envolés dans le vent. La benjamine, la plus douce mais aussi la plus effacée, relit les mots sur son épaule et chuchote à son oreille de discrets encouragements.
Deux d'entre elles m'ont quitté. La première, la Muse de l'auteur, comme les fleurs, ne s'épanouit pas sur les laves. La seconde, celle qui inspira la naissance de ce blog et en confirme aujourd'hui la disparition, s'est retirée dans un château de verre dont, tel un personnage de Kafka, je n'ai même plus le courage de demander la clef. Reste seule la troisième, la lectrice, l'unique personne qui découvrit ce blog par hasard et qui, sans qu'elle eût connu par avance l'auteur ni que rien ne l'ait prévenu favorablement pour lui, resta fidèle.
Je remercie mes trois Muses pour leur soutien constant durant ces quatorze mois et les convie solennellement à l'enterrement de ce blog. De profundis blogibus, tra la la la la, etc. - comme dit à peu près le poète.
Songes de la raison
Des songes de la raison naissent les monstres ~ Francisco de Goya y Lucientes. Où l'on prendra connaissance des interrogations futiles de Dado sur la nature ultime du monde et de la conscience ; et sur la similitude entre la raison et la folie...
mardi, décembre 05, 2006
vendredi, novembre 24, 2006
Dado, fruits et légumes
Vous avez toujours cru que 1 + 1 = 2 ? Quelle approximation ! Grâce à Dado, vous n'allez peut-être pas apprendre à mieux compter mais au moins vous désapprendrez à compter aussi mal.
Admettre que 1 + 1 = 2 est de coutume chez nous et c'est une bonne chose. Néanmoins, au pays de l'Informatique, tout habitant vous assurera avec le plus grand sérieux que 1 + 1 = 10 car il compte en binaire. Comme ce faisant, il ne songe pas à autre chose que vous, cela n'est pas si important en fin de compte...
Là où la chose se complique étrangement, c'est lorsque, tout fier de ce que vous avez appris au cours préparatoire, vous vous rendez chez votre marchand de primeurs et lui demandez avec assurance : "donnez-moi ces deux belles carottes, s'il vous plaît !" Par chance, il se trouve qu'un marchand de primeurs est rarement un très bon logicien. Il vous fournira donc ce que vous espériez obtenir. Mais si vous voulez éviter toute forme de désagrément, jamais, au grand jamais, n'entrez à l'enseigne "Dado, fruits et légumes" (1) !
En effet, dans cette boutique blanche et carrée, le gérant vous répondra l'air agacé qu'il lui semble à peu près impossible que deux carottes existent. Eventuellement une carotte ; puis une autre carotte. Mais pas deux à la fois. Devant votre air stupéfait, il vous demandera s'il vous semble possible d'additionner une tasse à café et un tournevis ; et comme vous devriez lui répondre non, j'imagine, il vous expliquera que c'est pareil pour les carottes : ce sont des objets différents, il est donc impossible de les additionner. L'une est plus grosse, l'autre plus rabougrie, elles n'ont exactement pas la même couleur, certainement pas la même forme. C'est par un intolérable flou artistique qu'elles sont désignées par le même terme.
Peut-être, levé ce matin de bonne humeur car sa femme n'avait pas la migraine, condescendra-t-il à vous concéder que, s'il ne peut toutefois se résoudre à additionner les objets que cette appellation désigne, il lui semble possible d'additionner le nom même de "carotte". Mais il ne vend pas de noms ; il vous faudra vous rendre dans un autre magasin, situé à l'autre bout de la ville.
Faut-il le préciser, la franchise "Dado, fruits et légumes" n'eut pas un franc succès. Elle a quasiment disparu de nos jours.
(1) Déjà, il refusera tout net de vous les donner : il les vend.
Admettre que 1 + 1 = 2 est de coutume chez nous et c'est une bonne chose. Néanmoins, au pays de l'Informatique, tout habitant vous assurera avec le plus grand sérieux que 1 + 1 = 10 car il compte en binaire. Comme ce faisant, il ne songe pas à autre chose que vous, cela n'est pas si important en fin de compte...
Là où la chose se complique étrangement, c'est lorsque, tout fier de ce que vous avez appris au cours préparatoire, vous vous rendez chez votre marchand de primeurs et lui demandez avec assurance : "donnez-moi ces deux belles carottes, s'il vous plaît !" Par chance, il se trouve qu'un marchand de primeurs est rarement un très bon logicien. Il vous fournira donc ce que vous espériez obtenir. Mais si vous voulez éviter toute forme de désagrément, jamais, au grand jamais, n'entrez à l'enseigne "Dado, fruits et légumes" (1) !
En effet, dans cette boutique blanche et carrée, le gérant vous répondra l'air agacé qu'il lui semble à peu près impossible que deux carottes existent. Eventuellement une carotte ; puis une autre carotte. Mais pas deux à la fois. Devant votre air stupéfait, il vous demandera s'il vous semble possible d'additionner une tasse à café et un tournevis ; et comme vous devriez lui répondre non, j'imagine, il vous expliquera que c'est pareil pour les carottes : ce sont des objets différents, il est donc impossible de les additionner. L'une est plus grosse, l'autre plus rabougrie, elles n'ont exactement pas la même couleur, certainement pas la même forme. C'est par un intolérable flou artistique qu'elles sont désignées par le même terme.
Peut-être, levé ce matin de bonne humeur car sa femme n'avait pas la migraine, condescendra-t-il à vous concéder que, s'il ne peut toutefois se résoudre à additionner les objets que cette appellation désigne, il lui semble possible d'additionner le nom même de "carotte". Mais il ne vend pas de noms ; il vous faudra vous rendre dans un autre magasin, situé à l'autre bout de la ville.
Faut-il le préciser, la franchise "Dado, fruits et légumes" n'eut pas un franc succès. Elle a quasiment disparu de nos jours.
(1) Déjà, il refusera tout net de vous les donner : il les vend.
mardi, novembre 21, 2006
Blogger bêta
J'ai eu le malheur de passer de l'ancienne version de Blogger vers la nouvelle version bêta. J'ai trouvé un avantage : les images s'insèrent plus rapidement et le blog est immédiatement publié.
Par contre, parmi les différentes régressions, il y a :
- l'apparition agaçante d'un pop-up de sécurité lorsqu'on rédige un commentaire ;
- le retour de la vérification des lettres chaque fois que je veux voir l'aperçu de celui-ci ;
- je dois entrer systématiquement un nom d'utilisateur plutôt long ( puisqu'il s'agit maintenant d'une adresse mail ) chaque fois que je veux me loguer sous l'atelier d'édition car les cookies de Blogger ne sont plus acceptés (1) ;
- l'atelier d'édition, qui resta quelques jours en français, est maintenant écrit à moitié en anglais ;
- et surtout, surtout, je viens de me rendre compte que j'ai perdu mon fil RSS. J'ai pensé que l'ancien fil Feedburner entrait en conflit avec les nouveaux que Blogger insére maintenant dans le modèle et je viens de le supprimer (2). Mais ça ne marche toujours pas. J'espère que j'arriverai rapidement à résoudre ce problème.
Bien sûr, il est impossible de faire machine arrière. S'il y a donc bêta, ce n'est sans doute pas la nouvelle version mais moi pour avoir voulu y passer.
(1) Contrairement aux autres cookies de forum et sites dont je suis membre.
(2) Finalement, je l'ai remis et en s'abonnant directement avec le fil dans la petite icône, ça a l'air de remarcher...
Par contre, parmi les différentes régressions, il y a :
- l'apparition agaçante d'un pop-up de sécurité lorsqu'on rédige un commentaire ;
- le retour de la vérification des lettres chaque fois que je veux voir l'aperçu de celui-ci ;
- je dois entrer systématiquement un nom d'utilisateur plutôt long ( puisqu'il s'agit maintenant d'une adresse mail ) chaque fois que je veux me loguer sous l'atelier d'édition car les cookies de Blogger ne sont plus acceptés (1) ;
- l'atelier d'édition, qui resta quelques jours en français, est maintenant écrit à moitié en anglais ;
- et surtout, surtout, je viens de me rendre compte que j'ai perdu mon fil RSS. J'ai pensé que l'ancien fil Feedburner entrait en conflit avec les nouveaux que Blogger insére maintenant dans le modèle et je viens de le supprimer (2). Mais ça ne marche toujours pas. J'espère que j'arriverai rapidement à résoudre ce problème.
Bien sûr, il est impossible de faire machine arrière. S'il y a donc bêta, ce n'est sans doute pas la nouvelle version mais moi pour avoir voulu y passer.
(1) Contrairement aux autres cookies de forum et sites dont je suis membre.
(2) Finalement, je l'ai remis et en s'abonnant directement avec le fil dans la petite icône, ça a l'air de remarcher...
Fiabilité de la compréhension
Je profiterai des réponses à l'article précédent pour ouvrir une petite parenthèse à l'intérieur de l'exposé du point de vue d'Umberto Eco (1).
Je tenais à signaler dans ces lignes une idée qui me semble particulièrement importante pour la suite de ma présentation : une des illusions les plus remarquablement ancrées est celle de la fiabilité de la compréhension. S'il est évident à tout un chacun, par expérience, qu'autrui puisse comprendre de travers, il mettra rarement - pour ne pas dire jamais - en doute sa propre compréhension des choses ; et surtout lorsqu'elle vient juste de se produire : car c'est justement le déclic de la compréhension qui lui assure qu'une vérité vient de lui être révélée. Il lui semble que pour lui même, la compréhension est fondamentalement fiable, qu'il ne s'agit même pas d'un mécanisme mais d'une sorte de don mystérieux faisant partie de la nature extérieure du monde et qu'une fois la chose comprise, sa véracité est définitivement assurée. L'ordre est apparu sous la confusion, le secret est devenu évidence, l'obscur est devenu lumière ; il en éprouve une telle satisfaction qu'il est hors de question de remettre la nouvelle conviction en doute, encore moins le phénomène qui l'a engendrée (2).
C'est ainsi qu'on aura peut-être remarqué que l'interprétation de l'article de Flo, une fois formulée, semble plus satisfaisante que le contenu initial ; qu'elle en devient tellement évidente qu'on se demande pourquoi on ne l'avait pas vue avant ; qu'elle remplace complètement la signification d'origine, laquelle passe alors pour une métaphore poétique quand c'est justement l'explication fausse qui est la métaphore du véritable contenu ; et qu'une fois cette compréhension opérée, il est difficile de l'effacer et de revenir en arrière.
Celui qui se confronte quotidiennement à l'exposition de ses idées se rend vite compte de ce problème. Ce qu'il croyait avoir compris, ce qui lui semblait clair et limpide devient singulièrement opaque et touffu au moment de l'expliquer. De nombreuses objections sont toujours possibles selon la perspective choisie. Il découvre que certaines de ses démonstrations reposent exclusivement sur des convictions sans fondement dans son expérience. Il aperçoit des lacunes dans son raisonnement ; certains arguments scintillent de l'éclat de faux or du sophisme mais il ne peut mettre exactement le doigt sur l'origine de ce mirage. En bref, il avait le fantasme qu'il comprenait bien mieux les choses que ce n'est le cas en réalité : les nécessités de l'explication se chargent de le détromper.
La plupart du temps, nous ne nous confrontons jamais aux contraintes d'expliquer les choses ni de mettre notre vue d'elles en pratique ; ainsi nous restons convaincus que notre compréhension est sans faille. Dans de nombreux articles, j'ai cherché à mettre en valeur ce phénomène : certaines notions communes, tellement évidentes tant que nous ne cherchons pas à les clarifier, comme la raison, l'intelligence, la conscience, le libre-arbitre, la mémoire, l'impression de réalité même ne résistent pas à une tentative d'approfondissement. En vérité, personne ne s'accorde sur ce que c'est et, comme l'horizon, leur définition semble s'éloigner au fur et à mesure qu'on s'en approche.
Mais nous avons l'impression de les comprendre, ces notions ; mieux, de les avoir toujours sues de manière naturelle. Nous rêvons que nous sommes des spécialistes de la vie et du monde, que les explications que nous fournirions seraient profondes, que notre aperçu couvrirait le moindre détail. Cette profondeur illusoire se dissipe comme celle d'un ruisseau quand, trompés par les reflets changeants de sa surface, nous plongeons le pied dans l'eau et ne rencontrons pas la profondeur que nous avions escomptée. C'est que nous ne nous sommes pas penchés sur notre compréhension ; nous n'avons pas cherché à savoir d'où nous venaient ces convictions et cette assurance.
Tout ceci pourrait encore sembler des paroles en l'air, aussi je vous renvoie à cette très récente et intéressante expérience de neurobiologie sur l'illusion de la profondeur explicative (3).
(1) Coïncidence. Je vois qu'ingirum vient de publier une critique de son dernier roman.
(2) Il semble que le phénomène de la compréhension soit associé dans le cerveau au circuit de la récompense ; c'est sans doute inné, dans le but d'accélérer l'apprentissage du réseau neuronal, mais c'est sans doute aussi renforcé par notre système d'éducation. Ainsi on peut devenir dépendant à la compréhension, quelque soit son contenu et la véracité de celui-ci, car elle provoque un plaisir.
(3) Pour ceux qui ne parlent pas anglais, en voilà le résumé succinct : on demande aux participants d'évaluer a priori leur compréhension d'un problème ou d'un mécanisme. Ils ont bonne opinion d'eux. On leur demande alors de l'expliquer. Une fois l'explication faite, on leur redemande d'estimer leur compréhension : cette nouvelle évaluation chute drastiquement, car ils se rendent compte enfin qu'ils n'avaient pas compris grand'chose. Pour illustrer l'article, l'auteur prend deux exemples amusants : le parent auquel son enfant pose une question et qui, après un premier sentiment de fierté car il se prépare à éclaircir le monde, se rend compte soudain qu'il ne sait pas vraiment y répondre et bafouille quelques approximations mal ficelées ; le scientifique qui traite d'un domaine hors de sa prédilection, persuadé que son statut de savant le rend omniscient, et dont la thèse est aux yeux des spécialistes un tissu d'âneries.
Je tenais à signaler dans ces lignes une idée qui me semble particulièrement importante pour la suite de ma présentation : une des illusions les plus remarquablement ancrées est celle de la fiabilité de la compréhension. S'il est évident à tout un chacun, par expérience, qu'autrui puisse comprendre de travers, il mettra rarement - pour ne pas dire jamais - en doute sa propre compréhension des choses ; et surtout lorsqu'elle vient juste de se produire : car c'est justement le déclic de la compréhension qui lui assure qu'une vérité vient de lui être révélée. Il lui semble que pour lui même, la compréhension est fondamentalement fiable, qu'il ne s'agit même pas d'un mécanisme mais d'une sorte de don mystérieux faisant partie de la nature extérieure du monde et qu'une fois la chose comprise, sa véracité est définitivement assurée. L'ordre est apparu sous la confusion, le secret est devenu évidence, l'obscur est devenu lumière ; il en éprouve une telle satisfaction qu'il est hors de question de remettre la nouvelle conviction en doute, encore moins le phénomène qui l'a engendrée (2).
C'est ainsi qu'on aura peut-être remarqué que l'interprétation de l'article de Flo, une fois formulée, semble plus satisfaisante que le contenu initial ; qu'elle en devient tellement évidente qu'on se demande pourquoi on ne l'avait pas vue avant ; qu'elle remplace complètement la signification d'origine, laquelle passe alors pour une métaphore poétique quand c'est justement l'explication fausse qui est la métaphore du véritable contenu ; et qu'une fois cette compréhension opérée, il est difficile de l'effacer et de revenir en arrière.
Celui qui se confronte quotidiennement à l'exposition de ses idées se rend vite compte de ce problème. Ce qu'il croyait avoir compris, ce qui lui semblait clair et limpide devient singulièrement opaque et touffu au moment de l'expliquer. De nombreuses objections sont toujours possibles selon la perspective choisie. Il découvre que certaines de ses démonstrations reposent exclusivement sur des convictions sans fondement dans son expérience. Il aperçoit des lacunes dans son raisonnement ; certains arguments scintillent de l'éclat de faux or du sophisme mais il ne peut mettre exactement le doigt sur l'origine de ce mirage. En bref, il avait le fantasme qu'il comprenait bien mieux les choses que ce n'est le cas en réalité : les nécessités de l'explication se chargent de le détromper.
La plupart du temps, nous ne nous confrontons jamais aux contraintes d'expliquer les choses ni de mettre notre vue d'elles en pratique ; ainsi nous restons convaincus que notre compréhension est sans faille. Dans de nombreux articles, j'ai cherché à mettre en valeur ce phénomène : certaines notions communes, tellement évidentes tant que nous ne cherchons pas à les clarifier, comme la raison, l'intelligence, la conscience, le libre-arbitre, la mémoire, l'impression de réalité même ne résistent pas à une tentative d'approfondissement. En vérité, personne ne s'accorde sur ce que c'est et, comme l'horizon, leur définition semble s'éloigner au fur et à mesure qu'on s'en approche.
Mais nous avons l'impression de les comprendre, ces notions ; mieux, de les avoir toujours sues de manière naturelle. Nous rêvons que nous sommes des spécialistes de la vie et du monde, que les explications que nous fournirions seraient profondes, que notre aperçu couvrirait le moindre détail. Cette profondeur illusoire se dissipe comme celle d'un ruisseau quand, trompés par les reflets changeants de sa surface, nous plongeons le pied dans l'eau et ne rencontrons pas la profondeur que nous avions escomptée. C'est que nous ne nous sommes pas penchés sur notre compréhension ; nous n'avons pas cherché à savoir d'où nous venaient ces convictions et cette assurance.
Tout ceci pourrait encore sembler des paroles en l'air, aussi je vous renvoie à cette très récente et intéressante expérience de neurobiologie sur l'illusion de la profondeur explicative (3).
(1) Coïncidence. Je vois qu'ingirum vient de publier une critique de son dernier roman.
(2) Il semble que le phénomène de la compréhension soit associé dans le cerveau au circuit de la récompense ; c'est sans doute inné, dans le but d'accélérer l'apprentissage du réseau neuronal, mais c'est sans doute aussi renforcé par notre système d'éducation. Ainsi on peut devenir dépendant à la compréhension, quelque soit son contenu et la véracité de celui-ci, car elle provoque un plaisir.
(3) Pour ceux qui ne parlent pas anglais, en voilà le résumé succinct : on demande aux participants d'évaluer a priori leur compréhension d'un problème ou d'un mécanisme. Ils ont bonne opinion d'eux. On leur demande alors de l'expliquer. Une fois l'explication faite, on leur redemande d'estimer leur compréhension : cette nouvelle évaluation chute drastiquement, car ils se rendent compte enfin qu'ils n'avaient pas compris grand'chose. Pour illustrer l'article, l'auteur prend deux exemples amusants : le parent auquel son enfant pose une question et qui, après un premier sentiment de fierté car il se prépare à éclaircir le monde, se rend compte soudain qu'il ne sait pas vraiment y répondre et bafouille quelques approximations mal ficelées ; le scientifique qui traite d'un domaine hors de sa prédilection, persuadé que son statut de savant le rend omniscient, et dont la thèse est aux yeux des spécialistes un tissu d'âneries.
lundi, novembre 20, 2006
Interprétations, soupçons et perroquets
Les Limites de l'interprétation d'Umberto Eco réunit plusieurs articles rédigés vers la fin des années 80. Cet ouvrage s'oppose à certaines théories linguistiques fort à la mode à cette époque, tel le déconstructivisme de Jacques Derrida, selon lesquelles l'intention du lecteur prime sur celle de l'auteur, oubliée car elle est supposée inconnue ; ces théories voient seulement dans le texte un "pique nique où l'auteur n'amène que les mots", un "univers ouvert où l'interprète peut découvrir d'infinies connexions" et l’autorisent, en fonction de l'oeil qui le lit, à revêtir des milliers de sens tous également bons - ou autrement dit n'en revêtir aucun (1).
A cela, Umberto Eco oppose le bon sens et la mesure. Pour prendre un exemple dans l’actualité bloguesque récente, un lecteur saisi de délire d'interprétation pourrait supposer que, dans cet article de flopinette, il existe un second sens caché ; et qu'il faudrait remplacer "perroquets" par "humains qui répètent sans comprendre", "choses sucrées" par "phrases agréables à l'oreille" et "choses trop froides" par "l'expression trop glaciale de la vérité". Sa défiance déduirait de la suite que flo se livre à une curieuse expérimentation animale dont il est le cobaye malheureux (2). Toutefois Umberto Eco objecterait qu'avant de se pencher sur l'énigme, le lecteur aura du comprendre d'abord le sens littéral ; mais qu'il l'aura rejeté comme insuffisant. Ainsi toutes les interprétations ultérieures prendront pour parti de négliger l'intention la plus évidente de l'auteur, celle de relater une courte anecdote où il est question de nourriture pour oiseaux, dont la compréhension est fondée sur le bon sens, pour la remplacer par l'intention du lecteur soupçonneux.
Même si l'article avait été composé d'une série aléatoire de lettres et de chiffres, c'est le bon sens qui aurait affirmé : "cela ne veut rien dire !" ; c'est le syndrome du soupçon qui aurait cherché un code et une signification dissimulée.
Umberto Eco s'attache alors à montrer qu'il existe deux modèles d'interprétation différents reposant sur deux modes de pensée distincts : l'un s'appuie sur le bon sens et la recherche d'une signification économique et minimale ; l'autre sur un fonctionnement analogique très lâche, assisté d'une quelconque méthode obsessionnelle, qui n'est autre que la pensée magique - ce qu'il appelle la pensée hermétique ; et que le déconstructivisme, entre autres, n'est qu'une survivance de cette dernière. On adhère aisément à son raisonnement sensé et l'on admet vite cette distinction engageante et, disons le bien, rassurante.
Mais où le lecteur d'Umberto Eco commence à développer de paranoïaques suspicions sur l'efficacité de cette différenciation, c'est lorsqu'il constate que des noms comme Bachelard, Lévi-Strauss, Barthes ou Todorov sont associés à la pensée hermétique (3). Il se met alors à se demander quand Umberto Eco lui-même leur sera adjoint et s'il existe finalement un autre modèle d'interprétation que cette pensée hermétique là.
(1) Il est surtout question ici du chapitre "Deux modèles d'interprétation".
(2) Qui plus est, on notera le phénomène curieux qui fait qu'une fois la nouvelle explication imposée, elle paraît plus économique et satisfaisante que l'interprétation simple. C'est à rapprocher de ce que je disais dans l'article "Le déclic de la compréhension".
(3) On s'étonnera moins de trouver les noms de Spengler, Nietzsche, Chomsky, Greimas et Deleuze.
A cela, Umberto Eco oppose le bon sens et la mesure. Pour prendre un exemple dans l’actualité bloguesque récente, un lecteur saisi de délire d'interprétation pourrait supposer que, dans cet article de flopinette, il existe un second sens caché ; et qu'il faudrait remplacer "perroquets" par "humains qui répètent sans comprendre", "choses sucrées" par "phrases agréables à l'oreille" et "choses trop froides" par "l'expression trop glaciale de la vérité". Sa défiance déduirait de la suite que flo se livre à une curieuse expérimentation animale dont il est le cobaye malheureux (2). Toutefois Umberto Eco objecterait qu'avant de se pencher sur l'énigme, le lecteur aura du comprendre d'abord le sens littéral ; mais qu'il l'aura rejeté comme insuffisant. Ainsi toutes les interprétations ultérieures prendront pour parti de négliger l'intention la plus évidente de l'auteur, celle de relater une courte anecdote où il est question de nourriture pour oiseaux, dont la compréhension est fondée sur le bon sens, pour la remplacer par l'intention du lecteur soupçonneux.
Même si l'article avait été composé d'une série aléatoire de lettres et de chiffres, c'est le bon sens qui aurait affirmé : "cela ne veut rien dire !" ; c'est le syndrome du soupçon qui aurait cherché un code et une signification dissimulée.
Umberto Eco s'attache alors à montrer qu'il existe deux modèles d'interprétation différents reposant sur deux modes de pensée distincts : l'un s'appuie sur le bon sens et la recherche d'une signification économique et minimale ; l'autre sur un fonctionnement analogique très lâche, assisté d'une quelconque méthode obsessionnelle, qui n'est autre que la pensée magique - ce qu'il appelle la pensée hermétique ; et que le déconstructivisme, entre autres, n'est qu'une survivance de cette dernière. On adhère aisément à son raisonnement sensé et l'on admet vite cette distinction engageante et, disons le bien, rassurante.
Mais où le lecteur d'Umberto Eco commence à développer de paranoïaques suspicions sur l'efficacité de cette différenciation, c'est lorsqu'il constate que des noms comme Bachelard, Lévi-Strauss, Barthes ou Todorov sont associés à la pensée hermétique (3). Il se met alors à se demander quand Umberto Eco lui-même leur sera adjoint et s'il existe finalement un autre modèle d'interprétation que cette pensée hermétique là.
(1) Il est surtout question ici du chapitre "Deux modèles d'interprétation".
(2) Qui plus est, on notera le phénomène curieux qui fait qu'une fois la nouvelle explication imposée, elle paraît plus économique et satisfaisante que l'interprétation simple. C'est à rapprocher de ce que je disais dans l'article "Le déclic de la compréhension".
(3) On s'étonnera moins de trouver les noms de Spengler, Nietzsche, Chomsky, Greimas et Deleuze.
dimanche, novembre 19, 2006
Le Pendule de Foucault
Le Pendule de Foucault, de l'écrivain, sémiologue et linguiste Umberto Eco, est un best-seller qu'on ne présente plus. Il n'est donc pas question ici de faire la critique de ce roman déjà ancien ( 1988 ), encore moins d'en raconter toute l'histoire. Mais j'utiliserai les premiers chapitres dans le but d'introduire mon sujet.
Trois compères désabusés, cyniques et clownesques, Causabon, Belbo et Diotallevi travaillent de concert aux éditions Garamond. Cette maison est loin d'être honnête : le même bureau s'accède soit depuis la vitrine principale - sur un boulevard fréquenté, elle présente une maison d'édition sérieuse spécialisée dans les publications scientifiques pour étudiants - soit d'une autre façade, située dans une rue borgne - c'est alors une presse de littérature ésotérique. Les illuminés, les farfelus, les maniaques, tout ceux qui ont trouvé solution à l'énigme de l'univers, sont encouragés à publier à compte d'auteur des ouvrages qui ne seront jamais diffusés. On les convie de temps à temps à de petites réceptions afin de conforter le sentiment de leur importance. Garamond Press tire la majeure partie de son bénéfice de cette escroquerie.
L'affaire se corse véritablement lorsqu'un de ces foldingues propose à Garamond la révélation du Plan secret des Templiers. Il souhaite publier rapidement sa découverte car il se sent menacé de mort. Or il n'apportera jamais le texte ; il décède dans la semaine qui suit. Nos bien peu charitables coquins tournent l'histoire en ridicule : si sa mort était bien la preuve qu'il a découvert le secret ultime ? C'est bientôt le sujet d'une plaisanterie récurrente : chacun s'efforce d'apporter des éléments au puzzle et de reconstituer l'énigme bien étrange dont le paranoïaque avait eu l'intuition.
Très rapidement, nos amis se prennent au jeu ; leur obstination devient contagieuse ; plus aucun fait ne leur semble innocent ; bien au contraire, le soupçon enrichit leurs découvertes de coïncidences significatives. Il leur semble en fin de compte que l'ensemble puisse s'agencer en un plan cosmique : il expliquerait tout événement curieux du passé et démasquerait une antique conspiration. Pire, le complot serait toujours actif. C'est alors qu'eux-mêmes commencent à se sentir menacés...
Malheureusement le Pendule n'est pas vraiment un thriller. D'autant que je me souvienne, l'intrigue est souvent interrompue par de longues digressions historiques et encyclopédiques. Comme pour la plupart des histoires fantastiques fondées sur un indicible secret, la fin n'est pas à la hauteur du commencement. Par contre, ce qui est véritablement remarquable, c'est la manière dont Umberto Eco a montré combien le "Plan" pouvait sembler irrésistible, combien ses engrenages se mettaient en oeuvre de manière irréversible et implacable, alors que le lecteur, tout comme les trois héros, est parfaitement au courant qu'il est faux. A l'époque où j'avais lu l'ouvrage, il m'avait semblé que l'auteur avait voulu décrire l'évolution du processus de la pensée paranoïaque, démonter les mécanismes de son fonctionnement puis les reconstruire de l'intérieur de manière à piéger le lecteur et ses personnages. C'est d'une certaine manière ce à quoi s'attache tout écrivain de littérature fantastique. Mais ici les rouages sont à nu et le principe est beaucoup plus évident.
Cette impression m'a été confirmée récemment par la lecture de son ouvrage de sémiotique "Les Limites de l'interprétation". Dans des chapitres aux titres aussi révélateurs que "Secret et complot", "L'aventure hermétique", "Soupçons et gaspillage interprétatif", on se rend compte que le Pendule n'est rien d'autre que l'illustration littéraire des thèses qu'il développe à l'intention des spécialistes, et dont j'essaierai bientôt de rapporter ce que j'en ai compris.
Trois compères désabusés, cyniques et clownesques, Causabon, Belbo et Diotallevi travaillent de concert aux éditions Garamond. Cette maison est loin d'être honnête : le même bureau s'accède soit depuis la vitrine principale - sur un boulevard fréquenté, elle présente une maison d'édition sérieuse spécialisée dans les publications scientifiques pour étudiants - soit d'une autre façade, située dans une rue borgne - c'est alors une presse de littérature ésotérique. Les illuminés, les farfelus, les maniaques, tout ceux qui ont trouvé solution à l'énigme de l'univers, sont encouragés à publier à compte d'auteur des ouvrages qui ne seront jamais diffusés. On les convie de temps à temps à de petites réceptions afin de conforter le sentiment de leur importance. Garamond Press tire la majeure partie de son bénéfice de cette escroquerie.
L'affaire se corse véritablement lorsqu'un de ces foldingues propose à Garamond la révélation du Plan secret des Templiers. Il souhaite publier rapidement sa découverte car il se sent menacé de mort. Or il n'apportera jamais le texte ; il décède dans la semaine qui suit. Nos bien peu charitables coquins tournent l'histoire en ridicule : si sa mort était bien la preuve qu'il a découvert le secret ultime ? C'est bientôt le sujet d'une plaisanterie récurrente : chacun s'efforce d'apporter des éléments au puzzle et de reconstituer l'énigme bien étrange dont le paranoïaque avait eu l'intuition.
Très rapidement, nos amis se prennent au jeu ; leur obstination devient contagieuse ; plus aucun fait ne leur semble innocent ; bien au contraire, le soupçon enrichit leurs découvertes de coïncidences significatives. Il leur semble en fin de compte que l'ensemble puisse s'agencer en un plan cosmique : il expliquerait tout événement curieux du passé et démasquerait une antique conspiration. Pire, le complot serait toujours actif. C'est alors qu'eux-mêmes commencent à se sentir menacés...
Malheureusement le Pendule n'est pas vraiment un thriller. D'autant que je me souvienne, l'intrigue est souvent interrompue par de longues digressions historiques et encyclopédiques. Comme pour la plupart des histoires fantastiques fondées sur un indicible secret, la fin n'est pas à la hauteur du commencement. Par contre, ce qui est véritablement remarquable, c'est la manière dont Umberto Eco a montré combien le "Plan" pouvait sembler irrésistible, combien ses engrenages se mettaient en oeuvre de manière irréversible et implacable, alors que le lecteur, tout comme les trois héros, est parfaitement au courant qu'il est faux. A l'époque où j'avais lu l'ouvrage, il m'avait semblé que l'auteur avait voulu décrire l'évolution du processus de la pensée paranoïaque, démonter les mécanismes de son fonctionnement puis les reconstruire de l'intérieur de manière à piéger le lecteur et ses personnages. C'est d'une certaine manière ce à quoi s'attache tout écrivain de littérature fantastique. Mais ici les rouages sont à nu et le principe est beaucoup plus évident.
Cette impression m'a été confirmée récemment par la lecture de son ouvrage de sémiotique "Les Limites de l'interprétation". Dans des chapitres aux titres aussi révélateurs que "Secret et complot", "L'aventure hermétique", "Soupçons et gaspillage interprétatif", on se rend compte que le Pendule n'est rien d'autre que l'illustration littéraire des thèses qu'il développe à l'intention des spécialistes, et dont j'essaierai bientôt de rapporter ce que j'en ai compris.
vendredi, novembre 17, 2006
Croyance et souffrance
Des idées que j'ai présentées hier, sous la forme immédiate d'intuitions, pas encore complètement structurées, je pense qu'elles sont un peu bancales : les rôles précis que jouent la part conceptuelle et la part émotionnelle de la croyance - cette dernière étant une découverte récente pour moi - ne me sont pas encore clairs (1). Je remarquerais aussi que le terme croyance, tel que je l'utilise, porte les germes d'une confusion, autant pour le lecteur que pour moi-même, puisque je m'en sers à la fois pour désigner les croyances isolées et les systèmes complets.
Flopinette me demande en commentaire de l'article précédent si j'estime qu'il existerait des croyances ne débouchant pas sur une souffrance. Elle pose aussi, de manière subsidiaire, une question que je traiterai plus loin. Pour les aborder, je dois d'abord développer mon point de vue actuel :
- soit l'émotion seule donne le ton de la croyance ; auquel cas la part conceptuelle serait un épiphénomène sans importance qui ne modifierait pas l'émotion ; mais elle servirait à l'entretenir ( par identification du sujet avec le sentiment éprouvé et par sa différentiation avec l'objet de celui-ci ). Les croyances seraient alors sans effet sur la souffrance puisque c'est elle, la souffrance ( la tristesse, l'angoisse, la peur ) qui les orchestrerait comme un chef de chorale dirige les voix des chanteurs sur une mélodie ;
- soit la croyance est un masque de l'émotion : elle viserait à diminuer son effet ( lequel serait cependant toujours présent mais en sous-main ) en obnubilant l'esprit sur des détails sans importance. Alors dès que le système de croyances montre des failles ( ce qui s'avèrera toujours ), l'émotion primaire resurgit avec sa violence initiale (2) ;
- soit il peut y avoir un effet de feedback : le contenu conceptuel de la croyance pourrait modifier la substance même de l'émotion et transformerait la souffrance en plaisir. Cet étrange sadomasochisme expliquerait le point commun des grands systèmes de croyances qu'est la notion de sacrifice humain : on la retrouve toujours, bien que parfois sous les plus pauvres déguisements.
En vérité, je pense que les trois sont entremêlés.
Maintenant, en supposant que mes hypothèses sont bonnes et que je poursuis logiquement mon raisonnement, je répondrais à la question initiale comme suit : s'il existe des croyances ne débouchant pas sur la souffrance, elles impliquent le sacrifice humain. Cette conclusion particulièrement surprenante, dans l'éventualité où elle serait fausse ou très exagérée, servira au moins d'illustration à mon article où je soutiens qu'on peut vite aboutir à des systèmes de croyances monstrueux (3).
Flopinette pose aussi une autre question : "pourquoi veut-on souffrir ?" Cette interrogation ne semble tenir que par la conviction implicite qui la soutient. Personnellement, je considère que le plaisir et la souffrance sont les conséquences directes du fonctionnement cérébral : il existe des neurotransmetteurs dont l'effet s'oppose afin de maintenir le système en équilibre. Un réseau neuronal toujours satisfait serait d'emblée inopérationnel : sans feedback, il ne pourrait faire preuve ni d'apprentissage ni d'adaptation. L'individu sans souffrance n'aurait pas d'instinct animal de conservation.
Aussi sous-entendre que l'on "veut" souffrir me semble révéler une intéressante distorsion du point de vue. "L'existence passe par la souffrance, c'est obligé", comme le dit plus loin flopinette. Maintenant, confrontés à cette situation pénible, il vaut mieux éviter de se dire que c'est ainsi, que nous en bavons et que nous ne pouvons absolument rien faire pour l'éviter. La voie inverse serait le plus court chemin vers la névrose. Il se peut donc que l'être humain préfère admettre que s'il souffre, c'est une décision volontaire, qu'il y implique son libre-arbitre et adhère émotionnellement à ce choix ; que s'il peine souvent, il en retire néanmoins un bienfait supérieur ou qu'il trouve dans sa souffrance même les sources d'un plaisir inavouable et douteux.
(1) C'est à dire qu'ils ne sont pas encore devenus des évidences, ou pour dire autrement, des croyances qui me paraissent indiscutables !
(2) Un tel phénomène semble avoir été récemment mis en exergue par une expérience bizarre de neurobiologie : lorsque que de pauvres chrétiens fondamentalistes subissent le martyre de l'énoncé d'incohérences flagrantes entre les évangiles, ils se mettent à développer un grand nombre de pensées de mort.
(3) Voir l'article "L'invention de l'humain".
Illustration : le rétable d'Issenheim par Mathias Grünewald, 1512-1516, musée d'Unterlinden, Colmar.
Flopinette me demande en commentaire de l'article précédent si j'estime qu'il existerait des croyances ne débouchant pas sur une souffrance. Elle pose aussi, de manière subsidiaire, une question que je traiterai plus loin. Pour les aborder, je dois d'abord développer mon point de vue actuel :
- soit l'émotion seule donne le ton de la croyance ; auquel cas la part conceptuelle serait un épiphénomène sans importance qui ne modifierait pas l'émotion ; mais elle servirait à l'entretenir ( par identification du sujet avec le sentiment éprouvé et par sa différentiation avec l'objet de celui-ci ). Les croyances seraient alors sans effet sur la souffrance puisque c'est elle, la souffrance ( la tristesse, l'angoisse, la peur ) qui les orchestrerait comme un chef de chorale dirige les voix des chanteurs sur une mélodie ;
- soit la croyance est un masque de l'émotion : elle viserait à diminuer son effet ( lequel serait cependant toujours présent mais en sous-main ) en obnubilant l'esprit sur des détails sans importance. Alors dès que le système de croyances montre des failles ( ce qui s'avèrera toujours ), l'émotion primaire resurgit avec sa violence initiale (2) ;
- soit il peut y avoir un effet de feedback : le contenu conceptuel de la croyance pourrait modifier la substance même de l'émotion et transformerait la souffrance en plaisir. Cet étrange sadomasochisme expliquerait le point commun des grands systèmes de croyances qu'est la notion de sacrifice humain : on la retrouve toujours, bien que parfois sous les plus pauvres déguisements.
En vérité, je pense que les trois sont entremêlés.
Maintenant, en supposant que mes hypothèses sont bonnes et que je poursuis logiquement mon raisonnement, je répondrais à la question initiale comme suit : s'il existe des croyances ne débouchant pas sur la souffrance, elles impliquent le sacrifice humain. Cette conclusion particulièrement surprenante, dans l'éventualité où elle serait fausse ou très exagérée, servira au moins d'illustration à mon article où je soutiens qu'on peut vite aboutir à des systèmes de croyances monstrueux (3).
Flopinette pose aussi une autre question : "pourquoi veut-on souffrir ?" Cette interrogation ne semble tenir que par la conviction implicite qui la soutient. Personnellement, je considère que le plaisir et la souffrance sont les conséquences directes du fonctionnement cérébral : il existe des neurotransmetteurs dont l'effet s'oppose afin de maintenir le système en équilibre. Un réseau neuronal toujours satisfait serait d'emblée inopérationnel : sans feedback, il ne pourrait faire preuve ni d'apprentissage ni d'adaptation. L'individu sans souffrance n'aurait pas d'instinct animal de conservation.
Aussi sous-entendre que l'on "veut" souffrir me semble révéler une intéressante distorsion du point de vue. "L'existence passe par la souffrance, c'est obligé", comme le dit plus loin flopinette. Maintenant, confrontés à cette situation pénible, il vaut mieux éviter de se dire que c'est ainsi, que nous en bavons et que nous ne pouvons absolument rien faire pour l'éviter. La voie inverse serait le plus court chemin vers la névrose. Il se peut donc que l'être humain préfère admettre que s'il souffre, c'est une décision volontaire, qu'il y implique son libre-arbitre et adhère émotionnellement à ce choix ; que s'il peine souvent, il en retire néanmoins un bienfait supérieur ou qu'il trouve dans sa souffrance même les sources d'un plaisir inavouable et douteux.
(1) C'est à dire qu'ils ne sont pas encore devenus des évidences, ou pour dire autrement, des croyances qui me paraissent indiscutables !
(2) Un tel phénomène semble avoir été récemment mis en exergue par une expérience bizarre de neurobiologie : lorsque que de pauvres chrétiens fondamentalistes subissent le martyre de l'énoncé d'incohérences flagrantes entre les évangiles, ils se mettent à développer un grand nombre de pensées de mort.
(3) Voir l'article "L'invention de l'humain".
Illustration : le rétable d'Issenheim par Mathias Grünewald, 1512-1516, musée d'Unterlinden, Colmar.
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