lundi, juin 05, 2006

Le grillon sort de son trou

Mon grillon familier est passé hier me rendre visite à l'heure de l'apéro. Comme d'habitude, au bout de quelques verres, la discussion tourne immanquablement au vinaigre. C'est ainsi qu'après avoir longtemps parlé de pluie, de beau temps, de hauteur de gazon - toutes choses susceptibles d'intéresser un grillon - il me demanda à brûle-pourpoint où j'en étais avec mon blog. Je lui avouai n'être pas très satisfait : mes lecteurs me croyaient punk ou dépressif ; j'hésitais encore sur le ton, sur le but ; je n'avais toujours pas développé les idées directrices ; bref, je me sentais un peu égaré.

- Cela ne m'étonne pas, fait-il.

Surpris, je lui demande sèchement de développer son propos.

- Quelle idée de créer un blog sur la conscience ! Tu aurais mieux fait de raconter ton voyage en Ecosse, illustré de photographies de landes, d'herbes grasses, de cottages aux cheminées chaleureuses ; de prairies brumeuses et fantomatiques où rodent le mouton et la vache qui broutent, aveugles à l'insecte - la terreur du grillon ! Voilà un sujet réellement passionnant ! Au lieu de cela, tu discours sans savoir de quoi tu parles. Tu utilises des termes dont la définition même reste obscure : conscience, intelligence, volonté, libre-arbitre et autres...

Je lui rétorquai que si ces termes étaient en effet peu clairs, au point que personne ne s'entendait sur leur sens, cela ne m'empêchait pas d'essayer de l'élucider.

- Mon pauvre ami ! Comme le médecin de Molière, pour qui le pavot fait dormir en vertu d’une propriété dormitive, vous autres humains vous satisfaites d'explications qui n'expliquent rien. Vous vous targuez de raison sans être le moins capables de cerner cette faculté. Et d'ailleurs, fit-il en changeant brusquement de sujet, pourquoi as-tu modifié en mon absence le titre que j'avais choisi pour ton blog ? L'Homme au Chapeau, ça voulait dire quelque chose : on connaît un homme ; on connaît un chapeau. Songe ? Raison ? Qui peut dire ce que cela signifie ?

Eludant cette accusation gênante, je lui répondis que si je n'étais pas, peut-être, personnellement, capable de philosopher, il ne fallait pas pour autant généraliser à l'ensemble de l'humanité ; il existait assurément des gens plus malins, plus cultivés que moi, parfaitement au fait de ce qu'était la raison. Et c'est avec une pointe de satisfaction que je décelai une lueur d’incertitude ternir un instant son regard à facettes lorsque j'insinuai qu'il ne savait de l'humanité qu'un recoin de jardin, sa propriétaire toujours absente et moi-même, le voisin du dessus.

- Tiens par exemple, lui proposai-je, les Académiciens. Depuis bientôt quatre siècles, les plus grands penseurs, hommes de science et de lettres, philosophes, connaisseurs de la langue française se réunissent en une congrégation offrant une image fidèle du talent, de l’intelligence, de la culture, de l’imagination humaine. Ils sont habilités à être les juges éclairés du bon usage des mots. Ce serait bien le diable s'ils n'avaient pas réussi à définir, durant toutes ces longues générations de réflexion, les notions et les valeurs dont le terme « raison » est porteur.

Et nous voilà en train de chercher la définition de « raison » sur la huitième édition du Dictionnaire de l'Académie. C'est à cette occasion que je dus éprouver la plus grande honte de ma vie ; car voici ce que nous trouvâmes dans l'ouvrage immortel :

Raison. n.f. Faculté de raisonner.
Raisonner. v. intr. Se servir de sa raison.

Le petit grillon haussa les élytres et partit d'un ricanement discret et condescendant...

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