mardi, janvier 31, 2006

Vérités et dérives

« Toute vérité passe par trois étapes : d'abord elle semble ridicule ; puis elle est combattue ; enfin elle est l'évidence même », disait le philosophe Arthur Schopenhauer. Aujourd'hui, pour les besoins du sujet, je feindrais de croire que nous savons bien sûr ce qu'est une vérité ; et que la réponse à cette question est l'évidence même.

J'ai choisi l'anecdote suivante pour illustrer cette citation. La dérive des continents n'est pas une théorie récente. En 1596, le géographe du roi Philippe II, Abraham Ortelius, suggéra dans son Thesaurus geographicus que les Amériques s'étaient séparées de l'Europe et de l'Afrique. Vers 1800, l'explorateur et naturaliste Humboldt supposa que les côtes de part et d'autre de l'océan Atlantique étaient autrefois jointes. En 1858, Antonio Snider-Pellegrini publia une carte montrant comment les continents avaient pu être reliés. Mais au tout début du XXème siècle, l'hypothèse géologique de la "Pomme Ratatinée" prévalait : la Terre en se refroidissant rétrécissait de diamètre ; des déformations superficielles de sa croûte naissaient les montagnes, tout comme la peau d'une vieille pomme ride en se pourrissant.

Quand le météorologue Alfred Wegener ( photo en encart ) présenta en 1912 sa théorie de la dérive des continents, elle passa à peu près inaperçue. Elle ne retint l’attention internationale qu'au début des années vingt, lorsque la troisième édition de son livre La Genèse des continents et des océans fut traduite en plusieurs langues. Pour argumenter sa thèse, Wegener avait étudié des mesures géodésiques par triangulation ainsi que les décalages des signaux TSF. Il avait calculé la vitesse d’écartement du Groenland par rapport à l’Europe. Il disposait d'exemples de mouvements globaux de la croûte terrestre, analysait la répartition des fossiles sur l’ensemble du globe et s’appuyait sur des arguments paléoclimatiques : au Carbonifère, le climat était tropical sec au Spitzberg et en Amérique du nord ; il était tropical humide en Europe et glaciaire en Afrique du Sud et en Inde.

Toutes ces preuves n'empêchèrent pas le gratin de la géologie de torpiller sa théorie. Certains s'attaquèrent à la crédibilité de l'auteur en tant que scientifique. Philip Lake : « Il ne cherche pas la vérité. Il défend une cause. » Élie Gagnebin : « Wegener n’est qu’un géologue d’occasion. » Edward Berry : c'est « une recherche sélective à travers la littérature, aveugle à la plupart des faits qui parlent contre elle, et s'achevant dans un état d'auto-intoxication tel que l'idée subjective en vient à être considérée comme un fait objectif. » Pierre Termier : « On dirait un de ces jeux d’enfant, [un puzzle] assez mal découpé et dont les morceaux ne s’ajustent pas sans un peu d’effort. » (1)

Mais le plus grand coup fut porté par un théoricien majeur de la géophysique, Harold Jeffreys. Il considéra cette idée comme «très dangereuse et susceptible de conduire à de graves erreurs ». Les couches sur lesquelles les continents flottaient étaient trop visqueuses pour permettre une dérive ; la Terre trop résistante pour qu'une telle force puisse la déformer : les montagnes s'effondreraient sous leur propre poids et le fond des océans serait plat. Il calcula que les forces supposées avaient une amplitude 2500000 fois trop faible pour espérer mouvoir et déformer les blocs continentaux.

Aussi Wegener rencontra très peu de soutien. Toutes les sommités lui étaient opposées. Leur réaction avait été tellement virulente que ses défenseurs éventuels s'effrayaient pour leur carrière. Sa théorie disparut avec lui lorsqu'il périt dans une expédition au Groenland en 1930. Pendant les quarante ans qui suivirent, ses rares partisans furent écartés avec mépris par les scientifiques du monde entier : on avait prouvé que la dérive des continents était chose impossible. Cette croyance ne sera pas ébranlée outre mesure lorsque des études sur le paléomagnétisme apportèrent en 1954 une nouvelle preuve des translations continentales ; ni en 1960, quand la découverte de l’expansion des fonds océaniques aboutit à la formulation de la tectonique des plaques.

Mais cette fois, les "dérivistes" s'étaient organisés ; leur groupe parvînt à imposer ses idées au début des années 70. Entre temps, Harold Jeffreys avait collectionné les plus hautes distinctions honorifiques. Il avait même été anobli en 1953...

(1) Le summum du comique - et de la franchise - involontaire fut atteint dans la réponse du Pr Rollin Thomas Chamberlin : « Si nous admettons l’hypothèse de Wegener, nous devons oublier tout ce que nous avons appris dans les soixante-dix dernières années et retourner sur les bancs d’école. »

jeudi, janvier 26, 2006

Anamorphose cylindrique

J'étais en train de chercher sur Google des informations sur l'utilisation des anamorphoses coniques et cylindriques dans l'oeuvre de Salvador Dali à partir de 1940. Je suis persuadé qu'il en a fait un usage très important, en particulier dans de nombreux portraits peints aux Etats-Unis autour de 1943. A première vue, ces portraits sont tout ce qu'il y a de plus gnan-gnan, sans surréalisme aucun. Or on remarque que la forme des nuages, excessivement contournée, se retrouve d'un portrait sur l'autre et parfois inversée. Je suspecte une plaisanterie cachée. Je n'ai malheureusement rien trouvé à ce sujet.

Par contre, je suis tombé par hasard sur le site d'un artiste hongrois, Istvan Orosz, qui utilise les anamorphoses, les images doubles et les illusions d’optique à la manière d’Escher. J'apprécie extraordinairement ce paysage polaire du Sphinx des Glaces.



Quand on place un miroir cylindrique à la place de la lune, on découvre un portrait de l'auteur du roman, Jules Verne !



Dans un tout autre style, l'illustratrice Nancy Peña a ouvert un blog depuis Décembre. Pour l'instant, le blog ne donne pas la réelle mesure de son sens du grotesque, de l'étrange et du merveilleux. On pourra trouver de nombreuses autres illustrations sur son site.

mercredi, janvier 25, 2006

Naissance d'une civilisation

Au quatrième millénaire avant notre ère, entre les bras maternels du Tigre et de l'Euphrate, grandit et s'épanouit l'enfant turbulent que fut et que demeure encore - ne serait-il pas présomptueux de lui accorder sa majorité ? la civilisation urbaine. Là prit forme l'écriture ; là se bâtirent les initiales et vastes cités ; là germa l'embryon de la science ; là virent le jour les premiers infâmes formulaires administratifs.

Il y a près de six mille ans, la ville d'Uruk s'étendait sur 200 hectares. Cernée d'une muraille longue d'une dizaine kilomètres, elle comptait environ 50 000 habitants. A titre comparatif, c'est la taille de villes comme Niort, Evreux, Tarbes, Colmar, Annecy ou Ajaccio. Le chef-lieu de l'Ariège, Foix ne compte que 10000 habitants ; celui de l'Aveyron, Rodez, 26000 et il faut lui adjoindre les huit communes avoisinantes pour prétendre à la grandeur d'Uruk.

Est-ce que les Croyances, qui règnent en despotes de droit divin sur l'esprit des hommes, présidèrent à cette formidable concentration ? Ou au contraire cet amassement d'humanité engendra les idées délirantes dont les formes subsistent, à peine estompées par le temps, aujourd'hui ? Ma préférence va à la première solution.

Assurément, les Mésopotamiens ne se traçaient pas un croquis très réjouissant de l'après-vie. Tous les morts sans exception ralliaient un séjour souterrain où, couverts de plumes et grelottant de froid et de peur dans l'ombre, ils demeuraient pour l'éternité :

Il me transforma en pigeon, et mes bras,
Comme ceux de l'oiseau, furent couverts de plumes.
Il se saisit de moi et m'emporta à la Demeure obscure, la Résidence d'Irkalla,
Le lieu d'où celui qui entra ne ressortit jamais
Sur le chemin de l'aller sans retour ;
À la Demeure dont les habitants privés de lumière,
Ne se nourrissant plus que de boue,
Revêtus comme des oiseaux d'un habit de plumage,
Croupissent dans les ténèbres sans jamais voir le jour.
(1)

Quant à leurs Dieux, c'étaient des êtres à la puissance illimitée et régissant toutes choses terrestres selon un caprice incompris des humains. Doutant de tout, de la possibilité de trouver la vérité (2), de la justice, de l'utilité de la morale et même de l'efficacité des prières (3), les pauvres Mésopotamiens n'avaient pas d'alternative valable à la jouissance immédiate de l'instant présent, la quête effrénée du luxe et du confort dans des cités splendides et bien achalandées.

Mais la contrepartie de cette vision, la terreur de tout perdre dans un imminent désastre, les amena à une entreprise singulière, immense et inconsidérée : afin de prévenir les volontés fantasques des dieux, ils se mirent à répertorier tout événement curieux et sa conséquence directe, dans l'espoir qu'une même configuration produirait le même effet. L'aspect des nuages dans le ciel, le comportement insolite des moutons dans le troupeau, le changement de la couleur des fourmis dans le palais du roi pouvaient présager une catastrophe. Ils édifièrent des bibliothèques pour contenir les dizaines de milliers de tablettes en argile - un bon tiers des tablettes exhumées - qui recensaient ces observations. On considère que cette littérature considérable décrivant les organes, les plantes, les animaux, les mouvements des astres, constitue le premier balbutiement de la science.

Ainsi c'est en Mésopotamie, il y a six mille ans, que prit corps le délire qui nous emporte aujourd'hui.

(1) Epopée de Gilgamesh, tablette VII.
(2) Dans le Dialogue du pessimisme, un homme affirme des opinions que son interlocuteur approuve en invoquant des raisons pertinentes. Puis l'homme prône l'opinion contraire, à laquelle l'autre se rallie en trouvant d'autres raisons.
(3) Dialogue sur la misère humaine.

lundi, janvier 23, 2006

Le joueur d'échecs (II)

Ma réponse à un commentaire sur l'article précédent :

>> La partie d'échec est un prétexte, le vrai livre est sur l'oppression. Stephan Zweig avait certainement d'autres maux à combattre que ses défaites aux échecs. Par exemple le nazisme.

Je vois que nous sommes d'accord sur le fait que le jeu d'échecs est un prétexte dans le roman de Stefan Zweig. Toutefois, il me semble aussi juste d'affirmer que l'oppression est le thème du Joueur d'échecs que celui de Cendrillon. La pauvre petite Cendrillon, opprimée par sa marâtre et emprisonnée chez elle, développe certaines qualités qui lui permettent d'affronter ses adversaires ( ses méchantes soeurs ) à une épreuve ( le bal ) et de remporter le pompon ( un joli prince richissime ). Le héros de Stefan Zweig, un docteur opprimé par les nazis et emprisonné, développe certaines qualités qui lui permettent d'affronter un adversaire ( le champion du monde ) à une épreuve ( une partie d'échecs ) mais cette rencontre aboutit à un désastre ( il devient fou ).

Le mode de l'oppression est un des deux principes de départ de la majeure partie des récits. Soit le héros part en quête sur demande, soit il est d'abord confiné par force et s'enfuit. Je ne pense donc pas que l'on puisse dire que l'oppression soit un thème, surtout lorsqu'elle intervient au début d'une narration ; ou bien il faudrait convenir qu'elle est le thème de la moitié des histoires ! Or je ne crois pas que l'on ait jamais dit que le remariage du père soit le thème majeur des contes de Grimm, bien qu'il se rencontre si souvent, ou pour prendre un exemple plus "sérieux", que l'horreur du mariage avec un brave pharmacien soit le thème de Madame Bovary. Pourtant, il y a de forts rapports entre Madame Bovary et le Joueur d'échecs, puisqu'ils échappent à l'oppression par le fantasme ( amoureux dans le roman de Flaubert, de puissance dans le roman de Zweig ) et que la confrontation avec la réalité fait que l'histoire se termine mal pour tous deux. Donc pour moi, l'oppression est un schéma classique de début de récit, ni plus, ni moins...

Vous remarquerez d'ailleurs qu'il n'est plus question de nazis à partir de la moitié du Joueur d'échecs. Par contre, pourquoi l'auteur s'acharne-t-il sur le personnage du champion Czentovic ( un paysan hongrois, "un rustre lourdaud et taciturne", "apathique", le front "barré", les "joues rouges", "l'expression niaise", "l'oeil vide", "d'une lenteur extrême", "d'une insondable bêtise", "d'une inculture universelle" ) ? Zweig, qui se vantait d'une compréhension bienveillante de la psychologie humaine et s'est toujours montré amical pour tous ses personnages, est ici d'une férocité sans pitié. Son champion du monde, qui en devient virtuel tellement il est négatif, n'est qu'une bête. Sur ce point, je viens ce découvrir le site de Véronique Laroche, professeur de français à Lyon. Elle s'étonne également de cette exagération et une de ses réponses recoupe les miennes :

« Il permet aussi à Zweig de régler ses compte avec les échecs qu'il maîtrise très mal ; un jeu que, malgré quelques remarques laudatives qui sentent le recopié, il cherche surtout à critiquer : la spécialisation aux échecs ne peut être le fait que d'un être par ailleurs limité. Ceci pourrait se traduire par un syllogisme : les champions d'échecs ont une intelligence limitée ; or Zweig a une intelligence universelle ; donc Zweig n'est pas bon aux échecs. Ou l'inverse : or Zweig n'est pas bon aux échecs ; donc Zweig a une grande intelligence. »

Au delà de cette solution amusante et anecdotique, il reste une question plus intéressante à élucider : pourquoi le héros perd la seconde partie contre le champion ? Si vous relisez le livre, vous remarquerez qu'il y a là un point extraordinairement curieux. Le docteur s'embarque dans une variante "fantôme" et demeure persuadé qu'il a maté son adversaire alors qu'il a perdu. Un écrivain se rendra immédiatement compte que toute la difficulté de la narration, et du même coup la réussite de la nouvelle, se concentre dans le traitement de cette conclusion incroyable ; et que tout ce qui a précédé n'est que la préparation serrée permettant de donner quelque vraisemblance à cet effet final. S'il est un vrai thème dans le roman, il réside dans la réponse à cette question.

Le Joueur d'échecs est la dernière nouvelle de Stefan Zweig. Elle est particulièrement importante pour lui puisqu'il en enverra un exemplaire à son éditeur la veille de sa mort. Il faut donc y voir son testament et l'explication de son suicide. Au vu de cela, il me semble évident de réviser mon opinion : Zweig n'aurait sans doute jamais choisi de nos jours un ordinateur comme adversaire puisque son objectif était de montrer la déroute de son idéal, l'inutilité de l'intelligence, de la culture, de la délicatesse, de la créativité et de l'imagination face à la bêtise, la vulgarité et la méchanceté humaine. Le nazisme en fut certes l'illustration frappante et à grande échelle. Mais l'on en découvre malheureusement tous les jours des échantillons plus communs...

samedi, janvier 21, 2006

Le joueur d'échecs

Apparemment, il est aussi difficile pour un écrivain d'être bon joueur d'échecs que d'être peintre et les rares exceptions à cette règle n'ont pas souhaité traiter ces thèmes ardus. Aussi n'existe-t-il sur les échecs, à ma connaissance, aucun roman qui soit à la fois digne d'intérêt pour le littérateur et l'amateur du jeu.

L'ouvrage le plus connu, "Le joueur d'échecs" de Stefan Zweig, est un roman que l'on peut qualifier de fantastique, tant par l'incompréhension profonde manifestée par son auteur pour le petit théâtre des pièces en bois que par sa description psychologique du champion du monde que défie le héros dans les derniers chapitres : c'est un véritable abruti. J'ai eu l'occasion de voir Michael Adams et Etienne Bacrot, deux des meilleurs joueurs mondiaux, et autant dire qu'ils ne m'ont pas laissé cette impression. Je suspecte en vérité Stefan Zweig, qui devait être un piètre joueur, de se venger à travers son roman de défaites humiliantes subies contre des adversaires qu'il estimait bien moins intelligents que lui.

Néanmoins d'une certaine manière, je crois que l'écrivain n'a pas fondamentalement tort. L'amalgame convenu entre jeu d'échecs et intelligence est erroné. Si ce n'était pas le cas, les femmes devraient s'inquiéter qui sont souvent si mauvaises à ce jeu ! Certes l'intelligence aide, mais elle n'est pas l'atout principal. Etienne Bacrot, à onze ans, était un monstre de concentration. Je n'ai jamais vu un autre enfant qui ne se laisse distraire de rien et reste le regard et l'esprit rivés pendant quatre heures sur les figurines immobiles posées devant lui.

Or il n'est rien de plus concentré qu'une machine. Un logiciel d'échecs est même si concentré sur son activité qu'il est incapable de faire quoi que ce soit d'autre. Par contre, on ne peut pas dire qu'il soit brillant ; il est besogneux ; les coups qu'il propose sont sérieux et médiocres ; il n'a aucune compréhension de la stratégie ; sans une base de données d'ouverture - l'historique des premiers coups joués par les humains, il se trouverait rapidement en position difficile. En bref, le seul et principal atout de cet esprit buté est qu'il commet rarement une erreur.

Ce ne sont donc ni le jeu d'échecs ni l'intelligence qui sont les thèmes principaux du roman de Stefan Zweig, mais le fantasme ; et il n'est peut-être pas indifférent de savoir que l'écrivain était un ami proche de Freud. On se rend finalement compte que son portrait du champion diffère assez peu de celui que je viens de tracer plus haut : ignare, vulgaire, insipide, terre-à-terre, froid, insensible, indémontable, il est le symbole du principe de réalité contre lequel vient se briser comme sur un rocher l'élan du délire du personnage principal. Peut-être, s'il avait du écrire son roman de nos jours, l'écrivain aurait-il choisi comme adversaire un ordinateur.

mardi, janvier 17, 2006

Altimétrie de l'âme

Il y a une analogie commune entre altitude et élévation spirituelle. Les ermites, les moines s'isolaient sur les hauteurs ; on pense aux lamaseries tibétaines, aux brumeux monastères chinois, à la charmante abbaye romane de Saint Martin du Canigou dans l'Aude ou même aux stylites de Syrie qui passaient leur vie au sommet de colonnes !

Mais à l'altitude zéro, les travailleurs de la mer constituent les couches ou les castes les plus basses de nombreuses sociétés ; leur vie est bien souvent misérable et leur labeur le dispute à celui d'un galérien. Par exemple, notre code du travail maritime prévoit la fréquente possibilité de dérogation à des règles déjà laxistes pendant les longs mois que dure une campagne de pêche en mer : plus de 12 heures de travail par jour, pas de congé hebdomadaire, des temps de repos en moyenne inférieurs à 4 heures. Quant aux forçats souterrains, les mineurs, leurs conditions d'existence furent purement infernales encore jusqu'à la moitié du XXème siècle en France. Il semble que, dans notre point de vue, l'esprit se dilue au fur et à mesure que l'altitude baisse jusqu'à ne plus laisser de l'humain que la bête de somme.

Etrangement, cet état de fait paraît découler d'une croyance généralisée en ce que les Dieux trônent au dessus de nous. Les Babyloniens, qui assimilaient les astres à leurs divinités et pensaient que leur ciel n'était pas si éloigné, construisaient des pyramides pour s'approcher de leur course, comme il est relaté dans le récit biblique. Sur le mont Olympe résidait la famille turbulente de Zeus ; sur le mont Sinaï l'acariâtre et solitaire Yahveh. Mais sous terre, c'était le triste séjour des morts ; et seuls certains héros, dont le destin répercutait l'écho de la morale, faite indifféremment de meurtres ou d'actes charitables, prônée par leur société, échappaient à la fatalité commune et partageaient le repas des Dieux.

Tout ceci est une généralité et souffre de bien d'exceptions ; même, un ethnologue curieux aura peut-être trouvé quelque rare tribu de sauvages où les valeurs sont inversées. Toujours est-il que sur la majeure partie des terres émergées, l'élévation est une métaphore de la réussite sociale ou spirituelle. Je pense que cette idée dérive de la gravitation, symbole de la contrainte et de la nécessité. L'effort requis pour s'en libérer est vu d'un bon oeil. Toute pierre qui roule est regardée de travers.

lundi, janvier 16, 2006

Folie d'une civilisation



Il n'est pas possible de dépeindre l'émerveillement des conquistadors d'Hernan Cortez quand ils entrèrent dans la capitale aztèque Tenochtitlán, l'actuelle Mexico. La plupart d'entre eux, des routiers aguerris, avaient traversé tous les royaumes d'Europe, admiré les villes italiennes de la Renaissance et conquis la belle et intelligente Grenade.

« Et quand, sur la chaussée rectiligne et à niveau menant à Tenochtitlán, nous vîmes toutes ces cités construits sur l'eau et d'autres grandes cités sur la terre ferme, nous fûmes abasourdis. Entre nous, nous comparions ces tours élevées, ces temples et ces édifices en pierre s'élevant des eaux de la lagune aux visions enchantées des légendes d'Amadis. Quelques-uns se demandaient si tout ce que nous voyions là n’était pas un rêve. »

Selon les dires des conquérants, Venise même ne pouvait se comparer à la splendeur de Tenochtitlán ni à sa parfaite organisation. Mais revenant cinq ans plus tard sur les lieux, le soldat Bernal Diaz del Castillo ne retrouva plus une pierre debout.

« Aujourd’hui, le changement qui s’est opéré est si grand que, si je ne l’avais vu auparavant, je ne saurais croire aujourd’hui que ce fût autrefois tel que je l’avais admiré. Tout ce qu'alors je vis est ruiné et détruit. Plus rien n'en est resté. »

Fasciné par l'érudition de son capitaine Cortez, Bernal Diaz del Castillo apprit à écrire afin de relater les merveilles vues dans sa jeunesse. Son récit, l'Histoire Véridique de la Conquête de la Nouvelle Espagne, montre que la civilisation Aztèque était une des plus brillantes que connaissait le monde en ce début du XVIème siècle. Et pourtant, cet édifice splendide avait pour fondation une véritable horreur.

« Là quelques brasiers fumaient de leur encens, le copal, dans lesquels se consumaient les coeurs de trois Indiens sacrifiés le jour même. Tout le temple ruisselait tellement de sang que les murs et le sol en étaient noirs. L'endroit puait abominablement. A gauche, une autre idole semblable à celle d'Huitzilopochtili était incrustée de pierres précieuses. Ce Tezcatlipoca, dieu de l'enfer qui avait à charge les âmes des Mexicains, était entouré de petits démons aux queues de serpent. Les murs et le plancher de ce temple baignaient dans un sang noirci et la puanteur était pire que celle de tout abattoir d'Espagne. Ils avaient offert à cette idole cinq coeurs des sacrifices de la journée. Au sommet du temple, dans une alcôve de bois finement ciselé se dressait une autre statue, mi-homme mi-lézard. Son corps, incrusté de joyaux, était à moitié couvert d'un manteau. Là aussi, tout baignait de sang, à la fois les murs et l'autel et l'odeur était telle que nous pûmes à peine nous retenir de sortir. »

En effet, le système social des Aztèques reposait sur la croyance qu'ils étaient un peuple élu, chargé de veiller à la marche du Soleil en le nourrissant de sang humain. De là des guerres perpétuelles et sophistiquées, les "guerres fleuries", dont le but n'était pas de tuer l'ennemi mais de le ligoter afin de disposer des dizaines de milliers de prisonniers sacrifiés chaque année. La victime bénéficiait d'un paradis après la mort, au contraire du citoyen commun qui croupissait dans un enfer sinistre. Aussi un fameux général captif, dont les qualités de stratège avaient impressionné l'empereur, rejeta-t-il avec dédain sa proposition de grâce. Personne ne se risquerait à ne pas voir le soleil se lever le matin.

Cette organisation sociale, comparable à celle des fabuleux Shadoks qui pompent pour éviter ce qui ne manquerait d'advenir s'ils s'arrêtaient de pomper, est exemplaire : sa mégalomanie, son délire systématisé, rationnel, auto-justifié sont les symptômes de la paranoïa. La chose qui donne à réfléchir est que les Espagnols horrifiés ne se rendirent pas compte qu'eux-mêmes pratiquaient le sacrifice humain, sous la forme de la Sainte Inquisition.

Image en encart : Tenochtitlán.

lundi, janvier 02, 2006

Feu d'artifice du Nouvel An

Pour fêter dignement ce Nouvel An, mon petit ordinateur m'a offert hier soir un joli feu d'artifice. Et en lieu et place de bûche flambée, j'ai eu droit à un condensateur flambé. J'écris ce message depuis un cybercafé. Il n'y aura pas de blog pendant une ou deux semaines.