vendredi, août 18, 2006

La Science des Rêves

Entre deux valises, je me risque à glisser une critique cinématographique. A noter aussi : bientôt la sortie en salles de Nausicaä de la Vallée du Vent, un des premiers dessins animés (1984) de Hayao Miyazaki !

Dans toute l'histoire du cinéma, peu d'aventuriers posèrent le pied sur les terres mouvantes du rêve. Je ne vois que quatre films à citer : le romanesque Peter Ibbetson de Henry Hathaway, le somptueux Rêves d'Akira Kurosawa, l'énigmatique Mulholland Drive de David Lynch et, plus accessoirement, la Clinique du Dr Edwards d'Hitchcock et Dali. En conséquence, la Science des Rêves de Michel Gondry mérite déjà par son sujet qu'on y jette un oeil intéressé.

Malheureusement, je crains que ce film n'ait jamais l'occasion de rencontrer son public. La raison principale en est que, sorti en Août, il peut ne pas correspondre aux attentes de l'estivant. La seconde est que le public le plus apte à l'apprécier est, à mon avis, celui qui se déplace pour les Klapisch, les Jeunet et les Almodovar. Or la bande-annonce française fait preuve d'un exécrable ciblage en misant sur le rôle grotesque et secondaire d'Alain Chabat, ce qui est sans doute plus propre que toute autre chose à les rebuter. La troisième enfin, qu'un des deux thèmes, le retour vers la mère par absence de modèle paternel viable - bien que très contemporain comme on le constate en politique française - ne me semble pas résolu d'une manière qui satisfasse le spectateur actuel. En bref, l'oeuvre n'est pas parfaitement synchrone, peut-être à quelques mois près, avec l'époque. Cet inconvénient est souvent synonyme d'insuccès mais jamais d'absence de qualités.

La Science des Rêves est assez peu classifiable : quant au sujet, ce n'est ni juste une histoire d'amour, ni juste un délire onirique, ni juste une discrète comédie de moeurs mais le mélange baroque des trois ; quant au ton adopté, j'aurais bien du mal à le définir : quelque part au beau milieu entre les Scorsese et Godard des débuts et les Wallace et Grommit... Ce saut périlleux invraisemblable est honnêtement exécuté par l'acrobate qui parvient tant bien que mal à retomber sur ses pieds malgré la difficulté imposée. Au cheval d'arçon, rien que cela vaudrait les applaudissements.

Je trouverai de petites choses à redire à la Science des Rêves mais il me semble qu'elles relèvent surtout du goût personnel. Je n'ai pas vraiment aimé les deux personnages centraux et leurs marottes. Je ne peux sincèrement en faire le reproche car d'une part, elles sont en corrélation avec le thème infantile, d'autre part j'ai un fort a priori négatif sur ce motif récurrent du jeune cinéma français. La description du milieu professionnel me fait penser aux caricatures de Caméra Café. J'ai aussi trouvé le jeu des acteurs un peu inégal entre eux - mais en contrepartie Charlotte Gainsbourg est vibrante d'émotion intériorisée et Emma de Caunes impressionnante de naturel. Or il peut s'agir d'un part pris de Gondry d'effectuer un collage de références disparates, dans le but, comme il le fait dire au personnage de Stéphanie, de recréer le hasard. Cet effet n'est toutefois pas explicite dans le style. Si je devais donc faire une seule critique réellement fondée sur l'esthétique, je remarquerai surtout que la bande musicale ne me paraît pas nettement correspondre au sujet.

Les deux thèmes principaux, la régression vers la mère et l'histoire d'amour, lesquels sont entremêlés, sont - je trouve - écrits avec suffisamment de brio pour que je puisse supposer leur traitement conscient de la part de l'auteur. La description des psychologies est fine, l'ensemble des dialogues précis, de nombreuses situations excellentes. Plusieurs scènes sont mémorables et quelques unes approchent de la même beauté magique que l'on trouve dans la lyrosophie d'Epstein ou le réalisme poétique de Carné-Prévert.

En ce qui concerne le sujet à proprement parler, Gondry s'attache à décrire le chaos des perceptions et l'entretissement du rêve (1), des états hypnagogiques, du dialogue intérieur et de la réalité. A ce propos, je remarque que nombre de personnes n'ont pas compris certaines situations ; on peut lire partout sur le net : "devant des caméras en carton, il s'invente une émission de télévision sur le rêve". C'est un malentendu. Le plateau de télévision en carton représente le théâtre intérieur de la pensée du héros, sur lequel il se met lui-même en scène. Il est aussi utilisé de manière rhétorique pour faire passer une base d'information. Je préfère préciser ce point. Je le crois important pour une meilleure compréhension du film.

A cause des thèmes et de leur résolution, la Science des Rêves n'est pas propre à déclencher l'enthousiasme. Mais le spectateur averti en ressortira certainement avec une très favorable impression.

(1) La Science des Rêves n'est pas un film sur le rêve lucide comme la bande-annonce me l'avait laissé supposer : la machine à détecter le sommeil REM sert en fait à induire des rêves. Le contenu onirique porte donc sur une interprétation de type analytique et ce type de rêves passifs convient plus à la mollesse et au caractère d'enfant gâté du personnage central.

mercredi, août 16, 2006

Bientôt les vacances...

Voilà bientôt un an que "Songes de la Raison" existe. C'est l'occasion de prendre quelques vacances et je me proposais justement de partir en Toscane. Il n'y aura donc pas de mise à jour pendant environ trois semaines.

A mon retour, pour le premier anniversaire du blog, je projetais de faire une liste de mes meilleurs articles. Je la mettrai en lien de sorte que les nouveaux arrivants puissent se faire rapidement une idée du contenu.

Le choix n'est pas aisé car il y a déjà 145 textes ! Et je ne peux me fier aux pages les plus populaires, telles que je les vois sous Statcounter. Par exemple, l'article le plus consulté est celui de la paralysie du sommeil ; de nombreuses personnes cherchent à se renseigner sur ce trouble et ils tombent dessus. Mais en regardant leur temps de passage, je me rends compte qu'ils ne lisent pas l'article ! Pourquoi ? C'est un des mystères de l'existence que je ne saurais certes expliquer.

En conséquence, si vous vous souvenez d'un ou de plusieurs articles qui vous ont plu, amusé, intéressé, pourriez-vous me les indiquer en commentaire ? Je les rajouterai à la liste de mes préférés.

Je souhaiterais enfin remercier les personnes qui m'ont répondu toute cette année durant et m'ont permis de ne pas avoir l'impression de parler dans le vide. D'aucuns pensent que, si l'on écrit, c'est surtout pour soi, mais ils se trompent lourdement. Merci donc à Flopinette, Kiki, Julie70, Lyrtane, Jul', John Warsen, Lds, David et Serge ainsi qu'aux commentateurs de passage. J'ai été extrêmement touché de voir que L'écrivaillonne - deux remerciements valent mieux qu'un, Kiki - In girum imus nocte et consumimur igni, Labyrinthes, Snapshots ou le Boudoir Expérimental m'ont mis en lien sur leur site, alors que je ne connaissais leurs auteurs ni d'Eve ni d'Adam - merci aussi bien sûr à la gente Dame Guenièvre. Comme il s'agit pour la plupart d'artistes ou de gens qui s'intéressent de près à la littérature, je trouve cela quelque peu rassurant...

dimanche, août 13, 2006

Facettes de la conscience

Je souhaiterai apporter une conclusion à mes deux derniers articles (1) sur le rêve lucide. Je ne l'avais pas aperçue sur le moment.

Dès lors que la description de Célia Green - le rêve lucide est un rêve où l'on sait que l'on rêve - n'est ni nécessaire, ni suffisante pour circonvenir cette expérience, elle ne peut plus être considérée comme une définition. Il ne reste que la notion de conscience dans le rêve.

Or l'idée de conscience est, pour le moins que l'on puisse dire, très peu claire. Si l'on suit de près quelques blogs de neurobiologie, on s'aperçoit que personne ne sait ce que c'est. Il y a les croyants pour qui la conscience s'impose d'elle même - comme dirait Kant à propos de l'intuition, elle est donnée. Mais ils sont incapables d'en décrire le contenu. Et les incroyants qui, devant cette incapacité, affirment que la conscience n'existe pas et qu'elle est seulement le résidu de l'antique notion d'âme. Aucune de ces deux optiques n'est d'une quelconque façon satisfaisante car tous escomptent que la formule leur soit miraculeusement révélée. C'est comme si Linné s'était attendu à ce que la définition du lactaire fût inscrite entre les lamelles - ou que sa femme espérait que le champignon trouvé par son naturaliste de mari cuise dans la poêle en l'absence de feu.

Ainsi personne ne fait le moindre effort pour découvrir la teneur de la conscience ni même pour en fixer temporairement une définition. Néanmoins, comme je le disais plus bas, ce n'est pas non plus la peine de chercher à cerner ce concept si l'on n'a pas de la conscience un point de vue éloigné. De même, nul ne saura jamais si ses lunettes lui conviennent s'il n'a essayé une autre paire.

Un des moyens d'avoir une autre perspective sur la conscience est justement le rêve lucide. Selon ma compréhension, il montre que la conscience n'est pas une : le jugement, la mémoire, la personnalité, le libre-arbitre, la concentration, la qualité de l'attention - et j'en oublie - tout ce qui forme la conscience de soi et de l'environnement est non seulement fragmenté mais susceptible d'importantes variations d'un instant sur l'autre - et c'est aussi le cas de notre conscience ordinaire. Lors d'un rêve lucide, quelques unes de ces caractéristiques peuvent s'illustrer tour à tour par leur vivacité alors que les autres sont faibles, lacunaires ou absentes. Ce n'est pas celle-ci ou celle-là qui détermine l'impression de conscience dans le rêve, mais le fait que l'une ou plusieurs d'entre elles atteignent un seuil vaguement comparable à celui accessible durant la vie éveillée.

Tant que l’on ne pourra envisager de qualifier un seuil pour ces instances séparées qui constituent la conscience - et la chose paraît difficilement réalisable - il sera impossible de caractériser le rêve lucide. Nous voilà donc confrontés à un bien étrange paradoxe : le rêve lucide est une expérience qui se vit mais ne peut pas se définir.

(1) Articles précédents :
Peut-on définir le rêve lucide ? (1)
Peut-on définir le rêve lucide ? (2)

samedi, août 12, 2006

Un bug amusant de Fritz



Rien que pour les spécialistes. Je viens de trouver ce petit bug amusant dans Fritz en analysant une partie Larsen-Gheorgiu. Dans la position du diagramme, les Blancs sont au trait. Larsen joue 43.Ra4 et Gheorgiu abandonne. On se rend compte en effet que les Noirs sont dans une position rapidement perdante. Leur Fou coincé en a8 ne peut plus bouger sans être pris. Par exemple, après : 43.Ra4 Ra7 44.Ra5 Rb8 45.Rb6, les Noirs se retrouvent en zugzwang ! Ils doivent donner soit le pion g ( et le pion blanc fait Dame ) soit leur Fou. Le Roi noir ira se promener derrière ses petits pions pendant que le Roi blanc grignote le Fou et conduit le pion a6 à la Dame. Autrement dit, c'est archi cuit.

Ce n'est pas l'avis du logiciel Fritz. Il ne trouve pas la solution ( on peut agrandir l'image pour voir en bas trois lignes de jeu ). Dans les deux lignes préférentielles, les Rois tournent en rond sans qu'aucun avantage soit découvert. La bonne ligne, où l'on constate que les Noirs perdent bien leur Fou puis le pion c5 et que le pion blanc c va à la promotion, est estimée de moins en moins bonne au fur et à mesure que Fritz cherche en profondeur. Il regarde ici 26 demi-coups plus loin alors qu'au bout de six demi-coups, la ligne de jeu est gagnante. Mais il ne la jouera pas et la partie sera nulle.

Ce n'est donc pas un effet d'horizon. Je suppose que cela vient de ce bug célèbre : pour trouver plus rapidement les meilleures lignes, de nombreux logiciels donnent un demi-coup d'avance à l'adversaire. Cette heuristique ne porte pas préjudice au calcul... à moins justement que l'adversaire soit en zugzwang et n'ait aucun bon coup à jouer ! Mais que les détenteurs de Fritz se rassurent : c'est le premier bug que je découvre sur des centaines de parties analysées.

jeudi, août 10, 2006

Affaires de spécialistes

S'il est une chose dont j'ai fini par me persuader, c'est que personne n'entend rien à l'art. A maintes et maintes reprises, j'ai vérifié dans les musées que les tableaux réellement impressionnants n'attirent pas l'attention. Cela présente un aspect pratique qu'il ne faudrait pas négliger car on peut contempler la "Tempête de neige : vapeur quittant le port" de Turner au National Gallery ou l'autoportrait de Rembrandt au Musée d'Edimbourg pendant des heures sans être aucunement dérangé. Maintenant si l'on manifeste un trop vif intérêt, si l'on s'approche puis se recule tour à tour de la toile, ce remue-ménage attirera les badauds pendant quelques minutes - conséquence bien naturelle du comportement moutonnier de l'être humain. Que l'on reste calme et bientôt, n'ayant rien remarqué de spécial, ils s'éloigneront de nouveau.

Cette constatation, je l'effectuai ce Lundi encore au musée Guggenheim de Bilbao. A l'occasion de l'exposition temporaire des peintres russes, il y avait là trois tableaux qui récompensaient de la fatigue du déplacement. Le plus impressionnant est le portrait de Shishkin par Ivan Kramskoï. De lui, on peut s'écrier comme le peintre de Poe : "En vérité, c'est la Vie elle-même !" L'intensité de l'expression du visage y atteint un point que j'ai rarement eu la chance d'observer.



A coté une magnifique scène, toujours de Kramskoï, représentait une jeune fille allongée dans l'herbe. Ce tableau non plus n'intéressait personne : il fait penser à un Monet ; qui nierait en effet que la jeune fille porte une robe à faux-cul et une ombrelle ? Cependant la touche n'a rien d'impressionniste et l'oeuvre est une merveille de virtuosité. Quant au sujet, il est, je trouve, d'une nostalgie poignante parce que le point de vue du peintre stipule une position alanguie auprès du modèle - et cela j'ai mis longtemps avant de le réaliser.



Le troisième tableau est un Kuindzhi. L'effet de lumière est tel que j'avais l'impression d'un coup de poing au ventre chaque fois que je tournais mon regard vers lui.



J'ai du retravailler quatre heures sur les illustrations ci-jointes. C'est juste pour que vous sachiez ce dont il est question ; prétendre au rendu de l'oeuvre réelle est une ineptie. Ces copies sont très loin d'être parfaites - surtout le Kuindzhi - car il m'est impossible d'approcher la finesse de sensibilité de leurs auteurs. Mais quand on compare avec les photographies trouvées sur le net, on se rend compte que ceux qui les ont présentées n'ont vraiment rien compris à la peinture. Pour eux, c'est des taches de couleur qui pètent et tous les contrastes un peu fins, comme par exemple la main de la jeune fille traitée dans des teintes froides qui s'opposent aux tons de pêche du visage, ont disparu.

Qui saura distinguer la valeur de l'incompétence dans le travail d'autrui ? Cette constatation peut s'étendre à tout domaine. Je plains l'artisan boulanger s'il déplore que l'on achète le pain industriel de la boutique en face. Tout ce qui relève de la moindre finesse devient immédiatement affaire de spécialiste et l'on peut raisonnablement se demander à qui ces efforts de subtilité sont désespérément adressés.

Illustrations :
Ivan Kramskoï. Portrait du peintre Ivan Shishkin, 1880.
Ivan Kramskoï. Jeune femme à l'ombrelle - Dans l'herbe à midi, 1883.
Arkhip Kuindzhi (Kuinji). Après la tempête, 1879.

mercredi, août 02, 2006

Peut-on définir le rêve lucide ? (2)



« Un rêve lucide est un rêve dans lequel le sujet se sait en train de rêver. » En vérité la définition que donna Célia Green en 1968 n'est ni nécessaire ni suffisante pour parfaitement décrire une telle expérience. Se savoir rêver ne garantit pas un rêve différent de la normale, comme le relate Alfred Maury :

« Cet ami me rapportait notamment que, dans le moment même où il s’imaginait être de la famille des Bourbons, et qu’il distribuait à profusion les titres et les décorations, il éprouvait une conscience vague qu’il y avait là une illusion, et que tout cela n’était qu’une sorte de rêve, rêve auquel il ne pouvait pourtant s’arracher. » (1)

Le rêveur se sait rêver mais cela ne modifie en rien la nature profonde de son rêve. D'autres exemples similaires ont été fournis par des rêveurs plus aguerris.

Plus importante encore est l'objection inverse que suggère ce passage de Sylvan Muldoon. A l'âge de douze ans, il crut qu'il venait de mourir et que son âme avait quitté son corps :

« Je flottais en l'air, rigide, à l'horizontale [...] à deux mètres environ au dessus du sol. Remis sur pieds et posé debout sur le plancher de la chambre, je parvins à me retourner. Il y avait un autre "moi" allongé tranquillement sur le lit. [...] Ma première pensée fut que je venais de mourir durant mon sommeil. » (2)

Sylvan Muldoon ne savait donc pas qu'il rêvait ni même qu'il était endormi. Par contre, il avait la sensation d'être présent à l'intérieur d'un environnement et de disposer d'une certaine liberté d'action. Celui qui rejetterait cet exemple en proclamant de façon péremptoire : « ce rêve n'est pas un rêve lucide » ne serait pas très différent de Maury lorsqu'il repoussait l'opinion d'Hervey : « ces rêves ne sont pas des rêves » ; car nombreux sont les rêveurs qui reconnaîtront aisément l'expérience à laquelle ils sont accoutumés.

On comprend alors la faiblesse et la force de la définition de Célia Green. Elle est fausse puisque se savoir rêver ne permet pas de distinguer cette catégorie particulière de rêves ; le critère essentiel est le sentiment de conscience de soi, de présence, de séparation entre le moi et le décor, en bref l'impression de dualité entre le sujet et l'objet comparable à celle éprouvée dans la vie de tous les jours.

Par contre, elle constitue un critère minimal qui permet de regrouper la plupart de ces phénomènes et de fournir un socle à l'expérimentation scientifique. Il est en effet impossible d'utiliser la notion vague et subjective de conscience de soi pour caractériser ces rêves, non plus que ses succédanés le libre-arbitre, le jugement, la mémoire ou la capacité à maîtriser ses actions. Tous ces sentiments sont par ailleurs susceptibles de gradations depuis l'inexistence jusqu'à la vivacité la plus claire ; et l'observateur étranger serait incapable de différencier par son contenu le récit de Muldoon de celui d'un rêve normal. Surtout, on ne sait pas ce que la conscience est. Aussi non seulement le rêve lucide ne peut être qualifié en fonction d'elle mais bien au contraire, c'est la définition de la conscience qui devrait sortir enrichie de l'épreuve du rêve lucide.

Sources :
(1) Alfred Maury.
Le sommeil et les rêves, 1861.
(2) Sylvan Muldoon et Hereward Carrington. The Projection of the Astral Body, 1929.

Principaux articles concernant le rêve lucide sur ce blog :
Peut-on définir le rêve lucide ? (1)
Le rêve lucide.
Le rêve du papillon.
Hauteur limite.

Illustration : Le rêve, Douanier Rousseau.

mardi, août 01, 2006

Peut-on définir le rêve lucide ? (1)



La définition du "rêve lucide", c'est-à-dire "un rêve durant lequel on sait que l'on rêve", est due à la psychologue anglaise Célia Green. Avant que cette expression soit introduite en France dans les années 80, on parlait plutôt de "rêve conscient". Célia Green emprunta le terme "lucide" à l'écrivain et psychiatre néerlandais Frederik van Eeden. On trouve pour la première fois ce qualificatif dans la communication que ce dernier fit à l'intention de la Society for Psychical Research en 1913 :

« J'éviterai délibérément, autant que possible, les mots "conscience" et "inconscience" (1). S'ils peuvent d'avérer pratiques dans la conversation familière, je me vois incapable de leur attribuer un sens précis. [...]

Je sais que Mr. Havelock Ellis et plusieurs autres auteurs n'accepteront pas ma définition parce qu'ils nient la possibilité du souvenir complet, de la volition et du libre-arbitre dans le rêve. Ils diront que ce que j'appelle un rêve n'est pas un rêve mais une sorte de transe, d'hallucination ou d'extase. Les observations du marquis d'Hervey, telles qu'elles furent relatées dans son livre "Les Rêves et les moyens de les diriger"(2), recoupent les miennes et elles furent rejetées de la même façon : ces rêves ne sont pas des rêves, fit Maury. [...]

Dans ces rêves, la réintégration des fonctions psychiques est si complète que le dormeur se souvient de sa vie de tous les jours et de sa propre condition. Il atteint un stade où la conscience de l'environnement (3) est parfaite, où il est libre de diriger son attention et de faire preuve d'actes de volition. [...]

Néanmoins tout ceci n'est qu'une simple question de nomenclature. [...] Si quelqu'un refuse d'appeler cet état d'esprit un rêve, libre à lui de proposer un autre nom. Pour ma part, c'est ce type de rêves que j'appelle "rêves lucides". Ils ont déclenché mon intérêt le plus vif aussi les ai-je notés avec le plus d'attention.
» (4)

Pour la plupart des rêveurs, l'état de lucidité décrit par Frederik van Eeden fait plus partie de l'idéal que de la réalité. La prise de conscience du fait de rêver et de ses implications, la conscience de soi et sa propre continuité, la qualité de l'attention, l'impression de netteté et de vivacité du décor, la capacité à contrôler le contenu onirique varient grandement en fonction du rêve comme du rêveur et il semble qu'on puisse les considérer comme des paramètres indépendants.

On se rend compte que le rapport fondateur de Van Eeden expose déjà clairement les difficultés à circonscrire la notion de lucidité. Dans le prochain article, je m’étendrai un peu plus sur les paradoxes relatifs à ce sujet.

Notes :
(1) Les termes anglais utilisés ici sont "consciousness" et "unconsciousness". Les termes anglais "consciousness", "awareness" et "conscience" n'ont qu'un seul équivalent en français, "conscience". Le premier désigne la conscience de soi, le second la conscience de l'environnement, le troisième la conscience morale.

(2) Léon d’Hervey de Saint-Denys,
Les rêves et les moyens de les diriger, 1867.

(3) "awareness". Van Eeden n'utilise donc pas le terme "consciousness", comme il le signale au début.

(4) Frederik van Eeden.
A Study of Dreams, publié dans Proceedings of the Society for Psychical Research, 1913.

Illustration : six dessins d’images hypnagogiques, tirés du journal de rêves de Léon d’Hervey de Saint-Denys.