vendredi, septembre 29, 2006

Terry Miura



J'ai été très touché par les peintures de Terry Miura que j'ai découvertes hier par hasard. L'oeuvre de ce peintre américain est certainement l'une des toutes meilleures qui m'ont été données de voir sur le net. Plusieurs de ses paysages sont simplement époustouflants.

C'est toujours ainsi que j'ai rêvé de peindre la nature si j'avais été un peu plus doué avec un pinceau. Mais parmi les multiples problèmes qui m'ont arrêté - et dont certains malheureusement bien plus importants font que je ne suis pas un peintre - s'est posé le problème de la ligne. Il m'a toujours semblé à la fois vrai et faux de croire que l'impression de réalité se satisfaisait d'un contour. Souvent en regardant les nuages, il m'a semblé que l'émotion que j'éprouvais s'éteindrait si je faisais usage du dessin académique.

Certes, on peut faire des choses très brillantes en usant du contour mais je trouve que l'image obtenue se range alors auprès de l'icône, de la pièce d'orfèvrerie, du camée. Et à l'inverse, bien que je sois en admiration devant la seconde moitié de l'oeuvre de Turner, je trouve qu'il est dommage de se limiter à représenter certaines conditions atmosphériques extrêmes - brumes, pluies ou tempêtes. Je ne trouve pas non plus que le problème soit résolu dans la plupart des oeuvres impressionnistes, à l'exception peut-être de certaines de Monet, encore moins dans celle des pointillistes et de Van Gogh, car la réalité semble être vue à travers les lunettes mentales d'une trame répétitive : on sent beaucoup trop la touche. Mais peut-être que mes difficultés feraient rire tout peintre digne de ce nom.

Toujours est-il que, selon moi, Terry Miura a parfaitement résolu ce qui me semblait une énigme. Il maîtrise aussi parfaitement l'harmonie colorée. Je me désole déjà de ne jamais avoir l'occasion de voir ses toiles autrement qu'en reproduction : elles sont exposées en Californie.

I felt very impressed when I discovered Terry Miura's paintings yesterday, haphazardly. The work of this American painter is certainly one of the best which were given to me to see on the net. Several of his landscapes are purely breathtaking.

Painting the nature in such a way has always been my dream... if only I had been a little more gifted with a brush. But among the multiple problems which stopped me - and some of them, unfortunately much more important, make that I am not a painter - the problem I'm faced with concerns the line. Believing that the feeling of reality is satisfyingly resolved by the contour always seemed to me true and false at the same time. When looking at clouds, it appeared often to me that my emotion would extinguish if I made use of academic drawing.

Admittedly, very brilliant things can be done while using the contour; yet I find that the resulting image takes side with the icon, the goldsmithery and the cameo. On the contrary, although I deeply admire the second half of William Turner's work, I find it a shame to confine oneself to representing certain extreme atmospheric conditions - fogs, rains or storms. I don't find either that the problem is solved in the vast majority of impressionist works, except perhaps some by Monet; even less in the paintings of Pointillists or Van Gogh's, in which reality seems to be seen through the mental glasses of a repetitive frame: the touch is too much present. But perhaps would my difficulties make laugh any painter worthy of the name.

Anyway, in my opinion, Terry Miura solved perfectly what sounded like a enigma to me. He also has a perfect mastery of colour harmony. I am so sorry never to have the occasion to see his paintings for true: they are exhibited in California.


Terry Miura's weblog: Studio notes

Contrepoint

Je ne sais pas si c'est une coïncidence ou si Flo, après avoir lu mon dernier article, a choisi de publier ce contrepoint. Mais la chose importe très peu en fin de compte.

Je dois reconnaître que mon texte ne m'a pas beaucoup convaincu. Un premier jet avait été écrit en sortant du sommeil. Trois jours après, il ne me satisfaisait plus du tout ; c'était de l'exaltation pure. J'ai voulu le retoucher. J'ai "désaturé" mon point de vue en rajoutant des arguties sans intérêt sur Platon et Socrate. Cela n'a fait qu'embrouiller le sujet. On ne retrouve plus le texte d'origine que dans les deux derniers paragraphes. Toutefois, si je suis d'accord avec ce que je dis sur le mensonge, chose amusante, je ne le suis pas sur ce que j'affirme de la vérité. Il y a quelque chose là-dedans qui cloche et qui détone. Ce n'est pas complètement faux mais c'est très loin d'être vrai aussi.

Alors que j'étais en train de me tracasser la tête à ce propos - ce qui n'est jamais bon signe ; quand vous êtes dans le vrai, vous ne vous posez pas de question - je tombe sur le témoignage que Flo met en exergue. Pour moi, je le prends au sérieux car une part de ce sentiment m'est connue ; ou plus précisément, et c'est ce qui m'étonne, j'ai eu l'occasion d'éprouver tour à tour plusieurs aspects du sentiment qui est là décrit.

Par exemple, je sais qu'il est possible de se retrouver dans un état où le monde, avec ce qu'il compte de difformités ou peut-être justement grâce à elles, est d'une beauté parfaite. Cette impression va de pair avec la sensation que le coeur s'enflamme ; les larmes vous viennent aux yeux sans raison. Cela me semble peu différent de l'amour mis à part qu'il n'existe pas de réceptacle, pas d'objet, pas de personne aimée. C'est un état d'exaltation et je ne crois pas qu'il puisse être durable : il me semble devoir consommer beaucoup trop d'énergie. Dans mon cas, la cause en est souvent une forte émotion qui m'éjecte de ma routine. Je l'ai éprouvée deux fois durant les dernières semaines mais je n'en ai pas parlé car je répugnais à mettre des mots dessus et je ne savais pas par quel bout commencer.

Il m'est aussi arrivé de savoir intuitivement à propos des gens ou à propos des choses. Mes amis ainsi se moquent bien assez de me voir critiquer une oeuvre littéraire ou cinématographique d'après le titre uniquement. Mon souvenir le plus horrible est celui de ma visite à la petite salle des antiquités aztèques au British Muséum. Ce peuple était complètement timbré. Je ne garde pas non plus une très bonne impression de l'Egypte Ptolémaïque - très peu différente du stalinisme - ni de la Toscane médiévale. Dans la rue, je vois fréquemment sur le visage des gens le résumé de leur souffrance. Soit dit en passant, n'avez-vous d'ailleurs pas remarqué la différence frappante qui existe entre leur visage et leur corps ? Mais je pense que cette intuition est chose commune : ainsi - c'est assez drolatique - on retrouve le même sentiment dans l'autobiographie de Jacques Mesrine au moment précis où, se rendant compte de la souffrance de ses concitoyens, il prit la décision remarquable de devenir cambrioleur.

Je ne sais pas trop quoi penser de cela. Mais n'est-il pas extraordinaire que ce que certains appelleront sagesse sera considéré par le monde et ses psychiatres comme la plus évidente des folies ? Cela peut donner à réfléchir à ceux qui espèrent encore que l'être humain est seulement déraisonnable.

Je pense enfin que, lors de l'interview, la personne n'était plus dans cet état et qu'elle n'évoquait plus qu'un souvenir.

Connaissance et mensonge

Est-il vrai, comme le prétendit Platon, que nous savons tout sur toutes choses ? Je ne nie pas que nous sachions beaucoup plus que nous ne le croyons, que nous puissions découvrir beaucoup plus que nous le soupçonnons ; mais cette affirmation péremptoire paraît un brin - comment dire ? exaltée. Peut-être doit-on la ramener, en fin de compte, à la hauteur d'une conviction métaphysique sans trop de fondement.

Peut-être cette idée naît-elle de l'exagération du fait que notre intuition nous donne, parfois, un léger aperçu - comme la voix qu'entendait Socrate et qui le détournait de certains actes - des conséquences de nos prétentions, de la nature de notre entourage, des craintes, des espoirs et des motivations derrière l'apparence de beaux gestes et de grands discours entendus autour de nous ou que nous nous faisons ; qu'elle nous permet finalement de jeter un coup d'oeil furtif sur les coulisses du vain théâtre de nos mondanités. Mais si nous lui demandons de nous révéler plus sur le fondement des choses ou de nous-mêmes, quelle réponse obtiendrons-nous ? Il semble alors que la petite voix se taise. C'est le silence. Est-ce là la réponse que nous attendions ?

Peut-être. Peut-être en effet n'y a-t-il rien à savoir. Ce serait certes une énorme déconvenue pour le mystique. Mais il est vrai que - faut-il le rappeler ? la petite voix de Socrate ne lui livra jamais, à ma connaissance, de révélation fabuleuse sur la nature ultime de la conscience ou du monde ; elle lui parlait uniquement de ce qui le touchait de près ; selon ses dires, elle se manifestait dans les cas exclusifs où il allait commettre une erreur.

En vérité, il semble donc que nous soyons surtout conscients de nos petits couacs dans la mélodie, c'est-à-dire de nos actes faux, des duperies que nous faisons aux autres et à nous-mêmes. Or si c'est cela tout ce qui importe et si toute la vérité nous est connue à ce propos, pourquoi alors nous mentons-nous constamment ? Pourquoi nous raconter à longueur de journée des bobards sur notre importance, notre statut social, nos amours, notre famille, nos relations, nos biens, notre degré de connaissance, notre évolution spirituelle, nos maîtres à penser ou à prier, nos employés ou nos patrons ?

Supposons qu'une part de notre être sache tout ce qu'il faut savoir alors que l'autre part se mente. La part qui sait, sait que la vérité sera désagréable au mensonge ; elle souffrirait et ferait souffrir des conséquences de son exposition. Puis nous l'avons dit, la vérité n'a pas grand'chose à dire : la plupart du temps elle se tait. Enfin, le langage permet-il d'exprimer le vrai ?

Pour toutes ces raisons, la seule chose qui se dit et se ressasse est le mensonge. Par sa constante répétition, il s'ancre dans les esprits et devient plus évident que l'évidence. Les hâbleries se forgent en certitudes ; toute la vie se construit dans un premier temps sur ces bases fausses et dans un second elle se consume dans cet égarement. Au bout d'années d'hypocrisie, il n'est même plus question de remettre en doute l'utilité de cet édifice pour lequel nous avons dépensé tant d'efforts. Nous enseignons avec fatuité ces boniments à nos rejetons puis, fiers d'une existence consacrée exclusivement à la routine, nous attendons la récompense de l'autre coté de l'extrême-onction.

(1) "Attendu donc que l'âme est immortelle et qu'elle est maintes fois née, attendu qu'elle a contemplé toutes choses aussi bien sur terre que dans l'Hadès, elle ne peut manquer d'avoir tout appris. En sorte qu'il n'est en rien surprenant que, à propos de la vertu comme du reste, elle soit capable de se remémorer ce qu'elle en a su auparavant. Puisque la nature tout entière est homogène et que l'âme a tout appris sans exception, rien n'empêche qu'en nous souvenant de nouveau d'une seule chose, ce que précisément nous appelons apprendre, nous retrouvions tout le reste à condition d'être vaillants et de ne pas nous lasser de chercher ; car somme toute, le fait de chercher et d'apprendre ne sont qu'une remémoration." ( Socrate dans le Ménon )

Socrate attribue ces idées à "des hommes et des femmes versés dans les choses divines", prêtres, prêtresses et poètes "tout autant qu'ils sont divins". Mais dans l'Apologie, il affirme qu'il ne sait rien, que les Athéniens qu'il a rencontré, tout hommes politiques, poètes et artistes qu'ils soient, sont tous des ânes ; et qu'à la mort, soit la conscience disparaît, soit elle réside éternellement en Hadès.

mercredi, septembre 27, 2006

Le vingt-deux Septembre

Le lendemain de cet article, John Warsen m'a envoyé un mail bien amusant où il feignait de s'étonner de mon impudicité. Il me rappellait aussi fort à propos que nous étions le vingt-deux Septembre, titre d'une chanson de Georges Brassens. En vérité, je ne partage pas tout à fait le sentiment de cette chanson mais cela me donna l'envie, je ne sais pourquoi, de versificoter dans le style contourné de Voiture. Aussi je lui retourne ma réponse, à ne pas prendre au sérieux et toute rimaillée en alexandrins, comme au bon vieux temps des précieuses ridicules.

Tantôt je m'étonnai que croisant l'équinoxe,
Je me fende d'un post aussi peu orthodoxe
Et John Warsen aussi se montra fort surpris.
Il m'adresse un billet en lequel il me prie

Puisque nous sommes juste un vingt-et-deux Septembre
De me remémorer la chanson de Brassens,
Laisser les sentiments lanterner dans leur chambre

Et s'effare à mon manque impromptu de pudeur.
Tartuffe ! Crois-tu pas qu'en deçà de ce sein
Que tu ne saurais voir se dérobe mon coeur ?

Il déverse un sang lourd à rougir les rigoles.
Mais vous connaissez John : je sais bien qu'il rigole.


J'ai hésité quelques jours avant de publier ce... hum... poème ? et il n'est plus d'actualité : nous sommes le vingt-sept. J'ai finalement trouvé intéressant de le faire, d'abord afin que vous connaissiez mon don inné pour les vers de mirliton - et puis je le trouve assez drôle - enfin parce qu'il montre qu'émotion rime avec exagération.

La question philosophique du jour :
Mais comment Brassens faisait-il pour chanter la pipe au bec ?

Le fantôme du capitaine

Je viens juste d'avoir une idée bizarre et comme toutes les idées bizarres, elle ne sera pas simple à exprimer.

Il arrive - et c'est bien sûr plus lisible de l'extérieur que de l'intérieur - qu'une personne, temporairement ou de manière plus fréquente, se prenne pour une autre absente et qu'elle n'est pas. Un tel se prend pour Corto Maltese, un tel pour Saroumane, une telle pour Cendrillon ou la petite sirène ; le choix - si choix il y a - de la personne virtuelle n'est pas toujours aussi valorisant : on peut se prendre pour un clochard ou une fille de joie.

Ces exemples sont caricaturaux. En vérité la chose n'est jamais si simple. Un exemple plus réaliste est cité par Castaneda : il se rend compte un jour qu'il incarne parfois un vieux professeur de sinologie gâteux qui avait excité la dérision des étudiants.

Si la chose est tellement surprenante, c'est qu'évidemment la personnalité réelle n'a rien à voir avec celle fantasmée. L'interlocuteur, lorsqu'il se trouve confronté à ce fantôme sans consistance, ne sait plus trop sur quel pied danser. Il semble n'y avoir ni vie ni conscience dans l'automate qu'il a en face de lui. Dans un tel cas, ma réaction naturelle est, soit de m'esquiver, soit de donner mollement la réplique sans y mêler trop de conviction, soit d'essayer de remettre la personne sur un sol plus sûr et moins mouvant.

Toutefois, je ne suis pas sûr de décrire un seul et unique phénomène. Je ne sais pas non plus quelle valeur lui attribuer. Est-ce un accident temporaire de la psychologie d'autrui ou une soudaine prise de conscience de la nature réelle de la personnalité par l'observateur ?

Tout cela me rappelle une discussion sur un forum à propos des personnages que l'on rencontre en rêve lucide. Quelqu'un avait émis cette hypothèse :

« Je crois que les personnages de rêves sont programmés avec une sorte d'intelligence artificielle primitive, un peu comme un personnage non joueur dans un jeu vidéo. Ils paraissent intelligents et autonomes mais en parlant suffisamment longtemps à l'un d'entre eux, vous verrez apparaître les limitations. »

Ce à quoi j'avais répondu :

« Si les personnages de rêves sont nos programmes inconscients, cela signifierait que les êtres humains semblent intelligents et autonomes mais en parlant suffisamment longtemps à l'un d'entre eux, vous verrez apparaître les limitations. »

Illustration : Fédor Chaliapine dans le Vaisseau Fantôme.

Articles associés :
Personnalités artificielles.
Entretien avec un automate.

mardi, septembre 26, 2006

Souriez, vous êtes renversé !



De ces deux visages, lequel vous paraît le plus souriant ? En fait, ma question tend volontairement à vous induire en erreur. La véritable question devrait être : "Ne trouvez-vous pas quelque chose de bizarre à l'un de ces deux visages ?"

Si vous donnez votre langue au chat, apprenez que votre cerveau, lui, s'est pourtant rendu compte d'un problème. Des études à l'électroencéphalographe montrent qu'il sait que quelque chose cloche fortement dans l'une des deux photos. Mais les participants en sont rarement conscients.

Pour avoir la réponse à la question et savoir pourquoi cette illusion porte le nom de "Margaret Thatcher", rendez-vous sur le blog Mixing Memory, un excellent blog de sciences cognitives ( en anglais ) que j'aurais déjà du ajouter depuis longtemps dans ma blogroll.

Autres illusions avec des visages :
Camouflage psychologique
Compléments de réalité
Les neuf visages d'Alejandro Jodorowski

dimanche, septembre 24, 2006

Plages sous la pluie (2)

Le cerveau ne traite pas toutes les informations de la même manière. Certaines d'entre elles ont plus de poids ; certaines réminiscences, certaines idées vont être immanquablement associées à d'autres. Ce qui fait que deux souvenirs vont être stockés ensemble et s'évoqueront mutuellement est certainement l'émotion commune qui leur est rattachée. Ainsi Marcel Proust découvre que l'odeur de la madeleine, qui lui provoquait un sentiment inexplicable, lui rappelle certaines journées passées chez sa tante puis certaines matinées où il était malade. Ces souvenirs, comme des astres dans le ciel, tendent à déformer l'espace mental et attirer les autres idées dans leur gravitation. On pourrait dire, en plagiant Einstein, que l'émotion distord l'espace-temps de la pensée.

Durant la journée, notre cerveau est en mode "résolution de problèmes". L'essentiel est de trouver une solution aux situations qui se présentent à lui. Notons bien que quand je parle de cerveau, cela ne signifie pas nécessairement pensée ou conscience. La plupart des situations qui se présentent, comme se saisir d'une tasse de thé, aborder un virage en voiture, reconnaître votre voisin de palier ou tapoter sur le clavier de l'ordinateur, ne requièrent pas la moindre réflexion et s'effectuent sans que l'on s'en rende compte. N'empêche, c'est le cerveau qui traite cette information.

Dans certains cas - que j'espère rares - il s'avère que le cerveau débloque. Toute sensation va être ramenée à la même pensée ou à la même action. Elle attirera comme un trou noir tout ce qui passe en deçà de ses frontières. C'est par exemple le cas des névroses obsessionnelles ou phobiques mais aussi de la dépression. Tout est contaminé progressivement par le sujet qui fâche. On pourrait comparer cela à un plancher en entonnoir qui attirerait des billes posées sur lui vers son centre. En fait, le cerveau sain fonctionne aussi de la même manière, mis à part qu'il existe de très nombreuses concavités et que chaque trou n'attire que les billes tombées à proximité. Ces trous sont appelés dans la science des réseaux de neurones des "bassins attracteurs".

C'est à partir d'une constatation semblable bien qu'empirique que la psychanalyse développa la méthode dite de "libre association". Une idée en amène une autre et ainsi de suite jusqu'à un bassin attracteur. L'analyste, s'il est assez malin et si sa folie diffère suffisamment de celle de son patient, peut se rendre compte que certaines associations sont aberrantes ou bien remarquer que toutes les idées convergent vers une seule direction.

Durant le sommeil paradoxal, les neurones du cortex cérébral sont activés aléatoirement. Selon Hobson et McCarley, c'est ce qui produit le rêve. La question du pourquoi n'est pas entièrement résolue, mais on peut supposer que c'est en rapport avec la consolidation de la mémoire, l'apprentissage et la réparation d'éventuelles erreurs.

C'est là qu'intervient ma métaphore de la plage sous la pluie. J'espère qu'elle rendra la conception précédente plus claire. Imaginons une plage formant de légères dénivellations ( les bassins attracteurs ). Les pas des derniers promeneurs sont aussi imprimés sur le sable. Il se met à pleuvoir et les gouttes, tombant au hasard, remplissent les creux, aplanissent les bosses et forment de petits ruisseaux qui se rejoignent et coulent vers la mer. Les traces les plus récentes, les petites vallées vont attirer vers elles les gouttes qui suivront ces directions privilégiées. Si à chaque averse, l'eau prend toujours le même chemin, cela signifie qu'un bassin attracteur présente une trop grande importance. Chaque nuit, le bombardement pourtant aléatoire du cortex cérébral provoquera systématiquement un rêve ou un cauchemar récurrent.

Je pense qu'il est possible ainsi de découvrir quels sont ses "bassins attracteurs". Je suppose qu'ils correspondent aux idées-clefs, aux convictions et aux fantasmes dont je parlais précédemment.

jeudi, septembre 21, 2006

Plages sous la pluie

Avec un titre aussi nostalgique, je suis sûr que vous vous attendez à une belle histoire à faire pleurer dans les chaumières. Quelle déception en vous apercevant que le sujet de cet article sera une métaphore ardue du fonctionnement du cerveau ! Aussi pour me faire pardonner, je vais vous raconter d'abord une histoire bien triste et comme ça vous serez contents.

Il était une fois un prince Dado très amoureux d'une jeune princesse nommée Nadia. Et chose extraordinaire, la jeune princesse était aussi très amoureuse du prince. Mais hélas ! le destin, toujours cruel envers les amants, envoya Dado en mission dans le royaume lointain et barbare de Montpellier. Sa mission, qui devait durer un long mois, se prolongea deux mois puis trois.

Tous deux se languissaient de ne se voir qu'un jour par semaine. Et c'est là que les choses se corsèrent car une vilaine fée suggéra à Nadia d'accompagner Dado sur les lieux de son travail. Dado se doutait bien que son amie s'ennuierait à mourir en l'attendant toute la journée depuis sa haute tour vide. Mais rien ne fit : il lui fut impossible de l'en persuader.

Or la vilaine fée avait plus d'un tour dans son sac. Durant toute la semaine que Nadia passa avec Dado, la fée fit pleuvoir sur Montpellier à verse - alors qu'il n'avait pas plu la moindre petite goutte les trois mois précédents ! Dado prêta bien son parapluie à sa bonne amie mais il la retrouvait chaque soir la mine de plus en plus longue. Autant dire que ce séjour n'eut rien d'un voyage de noces... C'est alors que, le samedi, juste avant de partir, quelques timides éclaircies se mirent à entrouvrir le ciel.

Dado, qui depuis trois mois commençait à connaître la région, proposa une ballade romantique à sa compagne. Quoi de plus beau que de marcher seuls - seuls : on était au printemps et, je vous le rappelle, il avait plu comme vache qui pisse les jours derniers. Quoi de plus beau, disais-je donc, que de marcher seuls, seuls au long de la plage blanche de Maguelone et de découvrir au loin les ruines de la vieille cathédrale, au milieu des cyprès que survolent les échassiers sauvages, là bas, là bas, tout au bord de la mer ? (1)

Nadia fut enchantée de l'idée. Mais à peine avaient-ils posé le pied sur la plage solitaire que nos deux amoureux virent, tous piteux, de gros nuages noirs se traîner de nouveau au dessus de leurs têtes. Et il se remit à pleuvoir ! Dado, qui était très prévoyant, sortit triomphalement le parapluie de son coffre magique : il croyait que les tours de la vilaine fée avaient été déjoués. Vaine présomption... Au moment même où il ouvrit le parapluie, le tonnerre se mit à gronder. Hésitant à finir leurs jours romanesquement foudroyés sur la plage, les amants firent demi-tour tout penauds.

Et pourtant d'une certaine manière, ils ne parvinrent pas à esquiver la foudre : quelques semaines plus tard, leur couple était séparé. Pardonnez-moi si j'essuie encore une petite larme en racontant cette histoire... (2)

Mais me direz-vous, qu'arriva-t-il par la suite à nos amants ? Dado resta le roi du Mélodrame et Nadia la reine de la Tragédie bien que tous deux vécurent dans des pays fort éloignés. Dado resta célibataire et Nadia fit un beau mariage. Elle a sans doute aujourd'hui beaucoup de petits mélodramaillons.

Et voilà, l'histoire est finie ! Avec tout ça, je n'ai plus envie de vous parler de ma métaphore neurobiologique. Je vous la raconterai un autre jour.

(1) Bon, je passe sur le fait que la cathédrale de Maguelone est juste à coté de Palavas-Les-Flots. Cependant c'est vrai, il y a une plage blanche, des échassiers sauvages, etc.
(2) Meuh non ! Pour la petite larme, je vous fait marcher. P... mais c'est pas vrai, vous gobez tout !

Eros

Si ma mémoire et ma compréhension de son oeuvre sont bonnes, Sigmund Freud - est-ce besoin de le présenter ? a répété durant la première moitié de sa vie que la pulsion érotique n'était pas nécessairement sexuelle - ce qu'aucun de ses détracteurs n'a jamais saisi. Puis, devant les accusations répétées de ses adversaires qu'il ramenait tout au sexe car ceux-ci confondaient érotisme et sexualité, il soutînt durant la seconde que ses critiques avaient raison de lui prêter de telles idées et qu'évidemment la pulsion érotique était bien sexuelle.

Il y a plusieurs manières d'interpréter un tel retournement. Lors d'une dispute, on se confond souvent avec le chef d'accusation de notre adversaire et l'on se conforme à l'idée fausse que celui-ci se fait de nous ; ou bien Freud, appliquant sa méthode à la lettre, s'est convaincu qu'il y avait sans doute une vérité derrière le lapsus de ses opposants.

Peut-être fais-je moi-même un raccourci excessif de son oeuvre, peut-être me suis-je imaginé quelque chose qui n'y était pas, peut-être ai-je même inventé ces conceptions. L'essentiel est, il me semble, que c'est cela que j'ai compris et je répète donc - avec Freud ou sans Freud : la pulsion érotique n'est pas fondamentalement sexuelle. Eros n'est pas Vénus.

C’est peut être difficile à assimiler. Pour tout un chacun, érotisme est synonyme de sexe - comme on l'entend par "film érotique" - et nous ne nous souvenons pas que nous avons passé les meilleurs années de notre vie à faire de l'érotisme à propos de tout et de n'importe quoi : l'érotisme est la pulsion sensuelle qui nous fait rapprocher des choses et nous attache à elles. Quand j'apprécie un verre de bon vin, quand je me réjouis du chant d'un oiseau, quand je m'émerveille devant un champ de fleurs, c'est de l'érotisme.

Mais encore une fois, à peine aurai-je prononcé le mot sensuel que tout le monde va penser à la fesse ; comme si l'être humain n'avait qu'un seul sens et situé entre les jambes...

Illustration : Eros et Psyché, Baron François Gérard, 1798.

Le jeu de la nature



A celui qui se connaît un peu soi-même, les ressorts de son comportement sont tellement évidents et naturels - comme Freud avait commencé à le montrer - et la nature est tellement contraire à la culture - ou plus précisément la culture fait tout son possible pour se différencier de la nature - que le spectacle de ce mécanisme paraît une aberration, une monstruosité ou pour le moins une insulte au bon goût.

Il est remarquable de constater à quel point les idées reçues et apprises sur nous-mêmes et sur ce que doit être un être humain sont à l'opposé de notre réalité et se refusent à décrire les enfants turbulents et violents que nous sommes. Il existe une part de nous-mêmes - et n'est-ce qu'une part ? qui n'est ni homme, ni femme, ni animal mais de simples et fulgurantes pulsions de joie, de terreur, de tristesse ou de fureur. On ne pourrait mieux les comparer qu'à des phénomènes météorologiques qui se fondraient aux choses et amalgameraient le monde pour en faire leur terrain de jeu.

Et peu importent les cercles de sérieux et de prétention successives qui nous gênent, qui nous emprisonnent, nous appesantissent et nous pétrifient, il n'y a pas plus proche pour nous décrire que ces enfants qui s'amusent à loup, à chat perché ou à facteur-n'est-pas-passé et qui sont réellement, le temps de leur marelle, le loup, le chat ou le facteur.

Illustration : Fofa Rabearivelo

mercredi, septembre 20, 2006

Le cri

« La maladie, la folie et la mort sont les anges noirs qui ont veillé sur mon berceau et m'ont accompagné durant toute la vie » ( Edvard Munch ).

La vie du peintre norvégien Edvard Munch ne fut pas une sinécure. Sa mère décède quand il a cinq ans ; alors qu'il en en quatorze, sa soeur ainée succombe à la tuberculose ; son autre soeur souffre de dépression ; son frère s'éteint quelques mois à peine après son mariage. En 1889, à l'âge de vingt-six ans, Munch est à Paris quand il apprend la mort de son père. Deux ans plus tard, il peindra la première esquisse du tableau Le Cri. Il l'achèvera en 1893 ( photo ci-contre). C'est aujourd'hui de lui le plus connu.

L'oeuvre de Munch s'oppose radicalement au naturalisme. Elle s'attache à décrire un état intérieur, souvent désespéré, sombre et, reconnaissons le franchement, névrosé. « L'appareil photo ne peut pas concurrencer le pinceau et la palette, écrit-il, tant que l'on ne peut pas l'utiliser au Paradis ou en Enfer. » Soit dit en passant, cette phrase est excessivement mélodramatique car Munch oublie que s'il est possible de s'y procurer un pinceau et une palette, un photographe peut apporter son appareil.

Cette nuit, je me suis réveillé dans un état bizarre de l'imagination, comme cela m'arrive de temps en temps. Pendant quelques minutes, j'étais à moitié éveillé, à moitié assoupi. Des pensées, dont certaines se présentaient sous la forme d'images peu distinctes, étaient curieusement informes et distordues. Non seulement l'atmosphère dense dans laquelle baignait leur contenu était assez fétide mais, d'une manière assez inexplicable, c'était leur aspect qui présentait une sorte d'aberration. Je crois que le mieux, pour décrire ce genre de pensées, serait d'évoquer le délire de la fièvre. On est pris dans un tourbillon nauséeux de formes pensées entrelacées et répétitives d'où parfois se dégage une idée, une vision, une phrase totalement absurde mais qui, sur le moment, nous paraît tellement importante qu'elle absorbe entièrement notre attention ; puis se voit sitôt remplacée dans un enchaînement qui n'a de la logique qu'une sensation interne de conviction mensongère par quelqu'une des autres pensées confuses et incohérentes qui nous entourent comme dans un bain. Le plus étrange est que ces idées mêlées d'un sentiment d'obsession et de concentration désagréables présentent, d'une manière incompréhensible, un mouvement visible, quasiment, presque certainement palpable, et qu'on croirait sentir ces abstractions passer près de nous, à portée de la main.

On ne peut mieux décrire cet état de la pensée que par le terme morbide, qui selon l'étymologie ne signifie rien d'autre que mou, car au lieu d'avoir le caractère distinct, net et transparent des idées ordinaires, il est stagnant, pâteux, vaguement opaque, plutôt malsain et flou.

C'est alors que, sortant de mon demi-assoupissement, au moment précis où je reprenais mes esprits, je vis se dresser devant mes yeux clos le tableau du Cri. Sans l'ombre d'un doute, c'était cet état de confusion que Munch avait tenté d'exprimer.

Autres œuvres d’Edvard Munch : le Musée Munch d’Oslo.

mardi, septembre 19, 2006

Mirages du désert lointain

Ce voyage en Toscane aura eu quelques conséquences étranges qui n'ont à première vue rien à voir avec la joliesse du pays ni la courtoisie de ses habitants. Il serait sans doute exagéré de dire que ce fut un voyage mystique mais je pense qu'il a eu plus d'effet sur ma manière de voir les choses que ne l'eut sur ma mère son pèlerinage à Medjugorje (1). Je ne saurais attribuer à cela aucune explication rationnelle. Je ne crois non plus pas que ce soit du au régime à base de tagliatelles, de pizzas et de vin de chianti.

Hélas ! Comme dans toute recherche sur la nature de la conscience, il serait vain de se féliciter du point où l'on en est arrivé. Il n'y a rien de plus fugitif qu'une découverte. Je viens de relire une des rares et petites révélations que j'eus en rêve lucide et je ne comprends plus un traître mot de ce qui m'a paru une évidence au moment où je la rédigeai.

Mais si je décrivais d'abord ce qui m'arriva ? Or c'est là que la chose devient difficile car justement il n'y a rien à décrire ; aucun événement ne s'est déroulé : ce n'est que du sentiment. J'ai déjà donné mon impression sur la nuit en Toscane mais cela n'est rien comparé à celle que j'eus de jour. Tout n'était que fantomatique, depuis la brume diaphane qui enveloppe le paysage, depuis les collines trop mauves et les nuages trop roses qui paraissaient dus au pinceau de quelque peintre médiocre en mal de romantisme, depuis le labyrinthe de la ville de Sienne qui était, comme la Samaris (2) de Peeters, un trompe-l'oeil piranésien de carton-pâte, jusqu'aux gens dont je me demandais s'ils n'étaient pas des rencontres féeriques et même mes amis. Tout semblait faux, tout semblait un décor destiné au spectateur de quelque coté qu'il se tourne, tout semblait un masque décoré de dentelles cachant quelque visage terrible, superbe et inconnu.

Dans cet état quasi nervalien où il serait désastreux de faire la moindre projection personnelle sous peine de partir en vrille - et qui est peut-être décrit par le nom de syndrome du voyageur - je ne faisais rien d'autre que de m'agripper aux branches. On ne m'en voudra donc pas de mon manque d'enthousiasme pour ce périple, ce que vous avez peut-être ressenti au travers de mes précédents billets : j'étais proprement terrifié.

C'est là que je me suis rendu compte, comme à travers une eau limpide, de la nature de mes convictions. Aussi drolatique, aussi invraisemblable, aussi stupide que cela puisse paraître, ma vision profonde, ma vision métaphysique du monde est un mélange de jeux de rôles médiévaux-fantastiques, de romans de Lovecraft ou de son digne successeur, Carlos Castaneda. C'est une mythologie fondée sur les exploits de la conscience que purent faire, en des temps reculés, des personnages fictifs et remarquables ; sur la présence d'autres univers incompréhensibles à portée de la main. Chaque ligne que je lis de la nouvelle cosmologie scientifique me conforte dans ces prémisses et je puis même identifier et reconnaître avec précision dans mon expérience les signes décrits par mes augustes et imaginaires prédécesseurs. Je tiens ce système de croyances absurdes pour précieux et remarquable, car il explique exactement - exactement puisque ma compréhension et ma recherche ne vont pas bien loin - le fonctionnement de l'univers. Ce qui me semble douteux, je l'arrange à ma manière, à l'instar de tout honorable théologien ; car il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre. Et je trouve toujours une bonne justification.

Ainsi ce qui pourrait sembler à autrui une pure folie est pour moi l'apanage même, le fondement, l'ancrage de ma raison. Mais en quoi cela pourrait-il nous étonner finalement ? Certaines gens tiennent pour vraies absolument les divagations poétiques consignées dans les pages poussiéreuses de deux ou trois ouvrages qu'écrivit une peuplade de barbares, il y a quelques centaines d'années, au milieu des mirages d'un désert lointain.

(1) si j'en juge à son comportement.
(2) voir illustration en encart.

La nuit

« Au dessus de nos têtes brûlaient les merveilleuses étoiles de l'Inde, lesquelles ne sont pas épinglées toutes sur un plan unique mais, préservant l'ordre de la perspective, entraînent l'oeil à travers le velours obscur du vide vers les portes barrées du paradis. La terre était une ombre grise plus irréelle encore que le ciel. Nous pouvions l'entendre respirer doucement durant les pauses que ponctuaient le hurlement du chacal, le mouvement du vent dans les tamaris et le grommellement intermittent des décharges de mousqueterie à notre gauche, dans le lointain. Au fond d'une hutte invisible une femme indigène se mit à chanter, le train postal gronda comme le tonnerre en passant son chemin vers Delhi et une corneille sur une branche croassa tout en s'endormant. »

Les fiançailles de Dinah Shadd, Rudyard Kipling.

La valeur de ce très beau passage de l'écrivain anglais ne provient pas tant de la poésie de la description que de la manière dont il est inséré dans la nouvelle. Kipling vient de décrire une journée chaude, chaotique et mouvementée, lors de manoeuvres d'entraînement militaire, puis les chants et les rires bruyants des bivouacs qui s'éteignent peu à peu. Soudain, nous passons dans l'autre monde : « au dessus de nos têtes brûlaient les merveilleuses étoiles de l'Inde... »

J'ai eu un souvenir similaire en Toscane. La nuit, pour une raison inconnue, personne n'arrivait à dormir. Je me réveillais souvent à quatre heures du matin et, durant ces insomnies, je me rendais sur la terrasse où j'attendais poindre les premières lueurs de l'aube. Ce n'est qu'alors que je parvenais à m'assoupir à nouveau.

Ces insomnies furent les plus belles de ma vie. Sur la noirceur des collines que mouchetaient les lumières des villages éloignés, la nuit limpide, piquetée de magnifiques étoiles, semblait l'eau d'un ruisseau roulant sur un lit profond de pierres précieuses. Jamais je n'ai vu Sirius, au ras de l'horizon, clignoter ainsi comme un diamant de feux lents et intermittents rouge sang puis bleu cyan puis ambre. La constellation d'Orion découpait dans le ciel le contour d'un fier chevalier du Moyen-Âge, tel qu'on en voit dans la tapisserie de la Reine Mathilde, le casque petit, le haubert tombant de larges épaules sur des hanches étroites, l'épée sertie dans un baudrier orné de trois clous d'or. Chaque étoile était un rivet de son étincelante armure. Le battement discret d'une aile de chauve-souris venait me tirer de cet émerveillement.

J'ai du mal à appréhender la source du sentiment intime de familiarité qui lie l'homme à ses petites soeurs les étoiles. Il y a une fusion secrète de l'esprit à la compréhension du ciel et de la nature. Le soleil est trop gros et trop brûlant. La lune est trop froide et trop triste. Mais les étoiles servent d'intermédiaire, comme dans le conte des Sept Corbeaux, entre les deux astres et l'humanité.

Illustration : la déesse égyptienne du ciel Nout. Elle est la barrière séparant le chaos de l'ordre dans le cosmos.

A voir : la taille comparée des astres sur le blog de l'Hermite. C'est assez surprenant.

Quelques blogs

J'en profite en passant pour vous présenter quelques blogs intéressants.

J'ai longtemps hésité avant de présenter In girum imus nocte et consumimur igni - ce titre alambiqué recèle un palimpseste - car je ne savais pas quoi dire à son sujet. Son auteur s'intéresse à la littérature contemporaine, ce qui n'est pas vraiment ma tasse de thé. Tous les écrivains présentés ont des noms à coucher dehors aussi ai-je cru un temps qu'il s'agissait, comme le Pierre Ménard qui récrivit Don Quichotte, de personnages imaginaires. Honte à moi ! Je peine à me dégoter une excuse. Mais ne trouvez-vous pas que l'Ernestine Chasseboeuf, auteur posthume d'Ernestine écrit partout, ressemble à une fiction ?

Dans le blog du site Automates Intelligents, Jean-Paul Baquiast ne se penche pas sur la robotique mais sur la politique et la géopolitique. Son regard me paraît dans l'ensemble assez juste, ce qui prouve qu'on peut sortir de l'ENA sans être un imbécile ou un spécialiste du pipotron. De plus, comme il a travaillé au sein du ministère de l'Economie et des Finances, son propos n'est pas une vague discussion de comptoir. Vous pouvez y jeter un coup d'oeil si vous commencez à désespérer de trouver mieux en politique que les déclarations d'un fumeur de haschisch sur son "maître à penser".

Dans un tout autre domaine, le Blog du paranormal et de l'insolite publie depuis presque un an des articles sérieux concernant divers phénomènes étranges ou inexpliqués. C'est un exploit car il est certainement difficile de trouver matière à remplir un blog, sans tomber dans le Grand Guignol, en traitant d'événements dont la principale caractéristique est leur rareté.

lundi, septembre 18, 2006

Connais-toi toi-même (2)

Je reviens, comme sensorie me le demande, sur les raisons qui me font dire que se connaître soi-même est - disons le plus joliment que dans l'article précédent - pour le moins fichtrement ardu.

Supposons que connaître la nature de son esprit soit possible. Comme flopinette le signale fort justement dans son commentaire, on en arrive à la conclusion aberrante que ce mode de connaissance est inconcevable et qu' « en réalité la clarté ne fait que s'expérimenter elle-même et qu'il ne s'agit d'ailleurs pas d'une expérience ». En effet, que la connaissance de soi soit inconcevable ne signifie pas qu'elle soit impossible. Mais c'est un autre sujet.

Telle que la chose est comprise par tout le monde ( sauf donc par flopinette ), se connaître soi-même passe soit par les sens, soit par le mental. Chacun de ces outils, comme j'espère l'avoir montré suffisamment l'année dernière, ne fournit qu'une représentation. Donc, ce qu'on entend par « connais-toi toi-même », c'est « fais-toi une idée de toi-même », ce que tout le monde effectue tous les jours sans même avoir à lever le petit doigt. C'est ce point que je vais développer.

Je ne pense pas qu'il soit la peine de s'appesantir sur les nombreuses personnes ayant réussi à se persuader que comme…
« j'ai fait une régression dans une vie antérieure » ;
□ « j'ai suivi trois mois de cure avec un psychanalyste jungien » ;
□ « je mange des légumes frais tous les jours » ;
□ « j'ai fait un stage d'une semaine de tai-chi-chuan cathare avec un prof qui a fait une semaine de stage au Japon avec Maître Po » ;
□ « j'ai lu Connais-toi toi même en dix leçons du célèbre parodontologue Léopold Schmurz » ;
( cochez les mentions utiles )
… « en conséquence de quoi, j'ai réintégré mon Soi originel et supra-cosmique ».

Parlons plutôt de la méthode plus courante que l'on appelle «connaissance de soi ». Pour cela, je préfère m'appuyer sur deux exemples.

Premier exemple : Monsieur Socrate se rend compte que chaque fois qu'il regarde le 20 heures, il est de mauvaise humeur et se dispute à table avec sa femme. Il prend alors la décision - judicieuse ô combien ! de ne plus regarder le 20 heures. Ce genre de constatations sur sa propre personnalité advient de manière tout à fait naturelle à tout individu qui, rencontrant un problème dans sa vie, est amené, avec plus ou moins de bonheur, à le résoudre. Généralement, cette investigation tout à fait superficielle, portant sur des petits points précis et disparates, s'achève sur la conclusion suivante : « je suis comme ça ». Ou bien, si on a cherché un peu plus loin, on ajoute la justification : « pour telle et telle raison, je suis comme ça ».

Comme chacun a ses problèmes, chacun a du, à un moment donné de sa vie, se faire ce genre de réflexions. On peut très bien se convaincre que, parce qu'on a abordé quarante traits de personnalité au lieu d'une dizaine, on se connaît mieux que d'autres et en tirer quelque fierté. Mais là n'est pas réellement la question.

Connaître certains traits récurrents de sa personnalité, c'est seulement connaître une image de soi-même. Cette image est culturelle. Elle dépend de la description de la personne humaine telle qu'elle est en vigueur à un moment donné dans une société donnée. Aujourd'hui, c'est surtout à la psychologie de magazine que l'on va se référer.

Cette attitude - car il s'agit pour moi plutôt d'une attitude - peut être utile si elle permet de se forger de nouvelles convictions plus efficaces sur soi et son rôle dans la société. Elle peut devenir néfaste à l'individu, soit parce qu'il a creusé un peu loin et est tombé sur quelques pulsions naturelles qui lui répugnent, soit parce que cette recherche a ancré en lui des convictions négatives sur sa personnalité.

Mais tout ceci relève de la croyance et d'éventuels conflits entre croyances ; ça reste totalement superficiel ; on reste au niveau de l'illusion du moi. C'est comme si on filmait un téléviseur avec un caméscope dont l'image est renvoyée au téléviseur. On obtient un millier de téléviseurs emboîtés, mais on n'apprend rien sur le caméscope.

Second exemple : Monsieur Socrate, parce qu'il est très curieux et qu'il s'est rendu compte du paradoxe précédent, décide d'observer ses sens et ses pensées mais cette fois sans en tirer de jugement. Il en découlera certaines choses : une complète perplexité devant la désagrégation et la discontinuité de ce qui lui semblait autrefois une réalité persistante et stable ; une totale incompréhension ; éventuellement, la solidification d'une instance tenace de l'attention, qui peut dans certains cas s'avérer tout à fait désagréable. Ceci dit, mon intuition me susurre (1) que cette méthode n'est pas un moyen de connaissance. L'erreur courante de ceux qui la pratiquent est qu'ils espèrent en apprendre quelque chose, alors qu'elle constitue seulement un non-faire de la perception habituelle du monde.

C'est pourquoi j'affirme que puisque nous sommes convaincus - à tort ou à raison, je ne suis pas apte à en décider - que la connaissance passe nécessairement par les sens et la pensée, la phrase attribuée à Socrate : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers et les Dieux », outre sa prétention, est une charmante absurdité.

(1) Mince ! Il n’y a qu’un s à susurre ! Encore un des mystères insondables du français…

dimanche, septembre 17, 2006

Connais-toi toi-même



Certaines conneries ont la vie dure. Comme le chiendent, il est impossible de les extirper de son jardin. Souvent, il suffit que leur auteur décède dans des circonstances suffisamment dramatiques pour qu'elles acquièrent un statut de respectabilité. Prenez une flèche empoisonnée dans le talon, faîtes vous calciner vivant ou clouer en haut de deux bouts de bois et soudainement vous devenez le plus sage des hommes.

« Connais-toi toi-même ». L'auteur de cette sentence avala un verre de ciguë de travers. Encore ne sait-on même pas s'il l'a jamais prononcé. Empruntée à l'inscription gravée sur le fronton du temple d'Apollon à Delphes, elle ne reflète aucunement la philosophie de Socrate dont la maxime était en réalité : « La seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien » - ce qui est, vous l'avez certainement remarqué, un paradoxe. Pourquoi avoir résumé Socrate dans la phrase d'un graveur inconnu ?

« Connais-toi toi-même ». La sentence ne présente aucun intérêt, si ce n'est un petit détail qui vous aura échappé : la chose est à peu près aussi impossible que se regarder le trou du cul. Je précise à l'intention des petits futés - comme il s'en trouve toujours - que si vous utilisez un miroir, vous ne voyez que l'image de votre trou du cul ; et qui essaie de se connaître lui-même n'utilisera jamais que le miroir.

Illustration : La mort de Socrate, par Jacques-Louis David, 1787.

samedi, septembre 16, 2006

Où le lecteur découvre avec ébahissement le rapport entre Absolutely Fabulous et Starship Troopers

>> Flo : "J'ai écrit un post qui parle un peu du même sujet. J'ajoute cependant que les croyances sont non seulement en train de changer, mais de partir en vrille."

J'avais commencé à rédiger une réponse à Flo concernant son commentaire et l'article auquel elle fait référence. Cette réponse étant beaucoup trop longue, je préfère la publier ici.

Je pense qu'un important changement de paradigme, pour utiliser le mot qu'emploie Jean-Pierre Petit, s'est manifesté sous nos yeux en un peu plus de vingt ans. Il s'accélère fortement aujourd'hui. En voilà les épisodes principaux :

En 85, le sida a sonné le glas de la libération sexuelle et on est revenu peu à peu à des valeurs strictes sur les moeurs. En 86, la chute du mur de Berlin a complètement changé les relations géopolitiques et fait disparaître la terreur de la guerre atomique ; et avec Tchernobyl, les peurs ont pris un caractère environnemental ; l'effondrement du bloc communiste a permis une remontée en force de la chrétienté dans les pays de l'Est, couronnée par l'élection du pape Jean Paul II. En 92, la première guerre du Golfe a fait qu'on a pu envisager de nouveau sans crainte des affrontements armés entre grandes nations ; et du même coup a débuté une guerre de religion à l'échelle mondiale. Vers 98, les valeurs démocratiques se sont effondrées tout d'un coup dans le monde au point qu'on ne sait maintenant même plus ce qu'est une démocratie : pour l'instant, c'est le foutoir politique complet.

En bref, dans les années 70, à la période baba-cool, le panorama était le suivant :
- liberté des moeurs, liberté de la femme ;
- drogues à l'excès ;
- celles-ci modèlent une vision métaphysique "chamanique" ;
- faiblesse des religions monothéistes qui se la jouent profil bas et intello gentil ( prêtres ouvriers, conversion de Béjart à l'Islam ) ;
- peur du bolchevik atomique, ce qui entraîne les pays capitalistes à se montrer conciliants et à l'écoute :
- à travers une politique sociale ( les "intellectuels de gauche", Sartre, Barthes, etc. sont des leaders d'opinion pris au sérieux ) ;
- à travers un management cool dans des entreprises où font force les syndicats ;
- éducation dont le but est l'instruction, relayée par des programmes télévisés à vocation culturelle et pédagogique ;
- peur de la Bombe ;
- donc anti-militarisme et on évite les guerres au maximum.

Et de nos jours, sous le gouvernement d'Arnold Schwarzenegger :
- moeurs strictes, retour à un modèle familial conventionnel, chador et mère au foyer ;
- alcool à consommer avec modération, cigarettes hors de prix, chichon illégal ;
- aucun intérêt pour l' "expérience intérieure", récupérée par le marketing new-age bio, le développement personnel pour être plus productif et les mondes virtuels ;
- retour en force des religions monothéistes qui ouvrent leur gueule et montrent à nouveau leur visage dogmatique et intégriste ;
- démagogie, populisme et gouvernements qui n'écoutent plus le peuple ou le manipulent ouvertement en jouant sur la peur ou la violence des idéologies ;
- capitalisme agressif, plus de syndicats, plus d'idées sociales, management par le stress ;
- éducation dont le seul but est la formation à la vie d'entreprise, télévision abrutissante à base de propagande consumériste ;
- peur d'une catastrophe écologique ;
- militarisme et guerres récurrentes.

Une grande partie de ce panorama a été brossée par la désopilante série anglaise Absolutely Fabulous. L'autre, dont les conséquences restent encore à démêler, par le film de science-fiction Starship Troopers.

jeudi, septembre 14, 2006

L'invasion des croyances géantes

Les Croyances. Ces pensées étranges venues d'une autre planète. Leur destination : la Terre. Leur but: en faire leur univers. Dado Vincent les a vues. Pour lui, tout a commencé par une nuit sombre, le long d'une route solitaire de l'information, alors qu'il cherchait une citation qu'il ne trouva jamais. Cela a commencé par un site web abandonné, et par un homme que le manque de sommeil avait rendu trop las pour continuer son googlage. Cela a commencé par l'atterrissage d'une pensée venue d'une autre galaxie. Maintenant, Dado Vincent sait que les Croyances sont là, qu'elles ont pris forme humaine, et qu'il lui faut convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé...

J'ai retrouvé sur le blog Vol de mots le petit jeu des croyances qu'avait lancé sensorie. Cela m'a donné l'idée de rechercher ce que l'on dit sur les croyances et voilà sur quoi je suis tombé :

« Nous vivons dans un marécage de croyances. Au milieu de celui-ci se situe [...] la science, qui n'est comme toute pensée qu'un système organisé de croyances. Tout ce qu'on peut dire c'est que le monde scientifique ne semble pas réussir mieux que les autres. Il engendre des aberrations. [...] Science sans conscience n'est que ruine de l'âme. »

Franchement, je suis un peu soufflé. On dirait du Dado tout craché ! Pour vous permettre de vérifier, j'ai rajouté sur le texte des liens vers mes propres articles. En fait, c'est de Jean-Pierre Petit, l'auteur de "Enquête sur les extra-terrestres qui sont déjà parmi nous", et que j'avais déjà cité ici.

Plus loin, je lis :

« La plupart sont totalement inconscients du fait que tout système de pensée n'est qu'un système organisé de croyances diverses. [...] Un système organisé de croyances fonctionne avec une machinerie hypothético-déductive : Si... ceci et si .. ceci, alors..... cela. On obtient alors une machinerie langagière qu'on appelle un paradigme, qui fonctionne comme une sorte de "cage d'écureuil" à l'intérieur de laquelle l'homme-qui-pense pédale sans s'en rendre compte. [...]

Si le discours pouvait être comparé à la musique produite par un électrophone, il arrive que le saphir saute un sillon et qu'une nouvelle phrase mélodique prenne brutalement la suite, totalement différente de la précédente. [ Ici, Jean-Pierre Petit prend l'exemple de Wegener pour montrer comment les croyances évoluent de manière discontinue, sans que personne ne s'en rende compte...] Les plus de soixante ans ont donc connu de leur vivant un saut paradigmatique assez important puisqu'au cours de leur vie les continents sur lesquels ils vivaient se sont soudain mis en mouvement. C'est assez comparable à l'abandon du géocentrisme à l'occasion duquel la Terre s'est soudain mise à se déplacer dans l'espace.

Ce qui est extraordinaire c'est la façon dont les hommes, à commencer par les scientifiques eux-mêmes, oublient ces sauts. Au bout de très peu de temps ils vivent comme si leurs connaissances "avaient toujours été là". Ils n'ont aucune conscience de la mouvance permanente de leur perception du monde. Entre deux sauts s'instaure un conformisme d'époque fondé sur ce que Reeves invoque très souvent : "un large consensus".

La science moderne a émergé "au siècle des lumières". Elle a eu alors l'impression d'avoir pour devoir de lutter contre "l'obscurantisme". Ainsi est né le rationnalisme, s'opposant au "monde de la croyance", alors qu'un monde exempt de croyances n'est qu'une illusion. »

Je préfère citer textuellement ces documents. On pourra ainsi comparer avec les miens. Au moins, je sais maintenant que je ne suis pas le seul dans la galaxie à avoir ce genre de croyances.

Liens vers les articles complets :
Le paradigme perdu.
Paranormal contre artefacts.

Le Dado nouveau est arrivé

Un vent de changement souffle sur ce blog et je ne sais pas encore si c'est le vent mauvais qui emporte les feuilles mortes. En tous cas, ça doit correspondre au tournant de la saison.

Je vous avais présenté il y a quelques jours le cru 2006. Mais mon oenologue me revenant trop cher, j'ai pris le parti de produire un vin plus rustique.

Quelques explications. Mon style sophistiqué est trop contraignant ; les articles se veulent sérieux ; ça ne rime à rien et ça limite les sujets ; je cherchais à maintenir une unité de ton ; elle devient elle aussi de plus en plus insoutenable ; je réfléchis beaucoup trop sur les articles et ça me prend la tête. En conséquence, trois articles sur quatre ne sont pas publiés pour telle ou telle raison, et mon véritable blog - le fichier Word où j'entasse toutes ces idées à reprendre - est plus hyper-secret encore que celui de John Warsen.

En bref, je me sentais de moins en moins à l'aise avec ce style. Il est devenu un vêtement étriqué.

J'ai donc décidé de ne plus faire d'effort de style, sauf exceptionnellement. Ni d'effort de réflexion. Les idées que je présenterai seront des intuitions - vraies ou fausses, cela n'a pas vraiment d'importance. Je ne laisserai pas reposer les articles quelques jours comme je le faisais précédemment. On trouvera des répétitions et même des photes d'ortographe.

Il se peut que ce changement soit bon, il se peut aussi qu'il soit désastreux. Probablement, il y aura beaucoup plus de déchets et de lie au fond de mon vin. Des idées mal exposées engendreront des malentendus. Jusqu'à quel point je pourrai le tolérer, je ne sais pas encore.

Il y a toujours un intérêt à entreprendre quelque chose, même si c'est pour de très mauvaises raisons. Si l'on considère que j'ai réussi à remplir ici, en un an, quelque chose comme cent cinquante pages d'un style à peu près honnête, c'est au prix d'efforts que je ne peux pas soutenir régulièrement. Cela je l'ai appris grâce à ce blog. Je sais maintenant que je ne suis pas un bon écrivain. Puis-je être un écrivain tout court ? C'est ce que l'avenir me dira.

mercredi, septembre 13, 2006

Pourquoi bloguons-nous ? Pourquoi continuons-nous ? Pourquoi arrêtons-nous ?



Dans un précédent commentaire, Kiki l'écrivaillonne me pose ces questions : pourquoi commencer un blog ? pourquoi le continuer ? pourquoi l'arrêter ? Je pourrais lui renvoyer très fémininement la balle : pourquoi toutes ces questions ? Mais cessons immédiatement ces petites mesquineries et entamons plutôt ce qui sera décidément l'article le plus bavard de cette longue année.

Par où commencer sinon par le commencement ? Pourquoi démarrer un blog ? La réponse est simple : surtout pour de mauvaises raisons. Selon les statistiques Technorati, la moitié des blogs s'arrêtent en moyenne au bout de trois mois. Ces personnes, assez rapidement, soit ne trouvent plus de quoi nourrir leur blog, soit se rendent vite compte que leurs objectifs étaient erronés. Sans doute ont-elles ouvert leur blog pour faire "comme tout le monde" et après s'être rendus compte que c'était un travail assidu, plutôt pénible et pas du tout gratifiant, "comme tout le monde" elles le ferment bientôt.

Je ne peux que me représenter un vague présupposé sur la manière dont autrui a entrepris son blog. Il en existe de nombreux styles. Je ne pense pas qu'on puisse comparer celui de Miss Kisseuse, ado qui publie à l'intention de ses potes les photos des dernières soirées parsemées de SMS et de lyrics de chanteurs à la mode, au blog de David Vincent qui s'est engagé à prévenir le monde de l'invasion imminente des extraterrestres, au péril de sa vie.

Personnellement, je trouve les raisons qui décidèrent la première plus sensées que les celles du second.

Dans mon exemple - fantastique, dois-je le préciser ? la motivation qui poussa David Vincent à bloguer découle d'une poignée de convictions, d'idées obsessionnelles et de fantasmes ; ainsi la conviction que l'existence des Humains est supérieure à celle des Martiens ; ainsi l'idée obsessionnelle qui lui fait orienter sa vie et son blog autour des envahisseurs et de la chasse aux preuves de leur arrivée sur terre ; ainsi le fantasme qu’il atteindra des millions de lecteurs. Or que va-t-il arriver à David Vincent ? Il se rendra compte qu'il ne peut fournir autant de preuves qu'il l'avait initialement imaginé, peut-être tout au plus une par mois ; il s'apercevra qu'en conséquence son blog est horriblement répétitif et pauvre ; il verra surtout qu'il n'atteint personne sauf quelques paranoïaques et adeptes du complot international dont les commentaires délirants finiront par le faire douter de sa conviction initiale : peut-être vaut-il mieux que les extraterrestres réduisent en poudre ce ramassis d'abrutis finalement. Et, parvenu à la conviction inverse de celle qui l'avait entraîné - et tout aussi fausse - il fermera son blog et s'adonnera paisiblement à la pêche à la truite.

Au bout de la période fatidique de trois mois, que se passe-t-il donc ? Comme le cyclotouriste qui a toujours rêvé, en regardant le Tour de France à la télé, de grimper le Tourmalet, vous vous rendez compte dès le troisième lacet que la réalité est bien différente de tout ce que vous aviez pu imaginer. Vous prévoyiez bien quelques difficultés, ce qui se représentait à vous comme arriver en haut immensément satisfait de vous-même après un gros effort. Or très curieusement, le problème principal n'est pas le sommet, c'est de pousser sur chaque pédale tour à tour sans avancer d'un pouce. Mais voilà le hic ! Vous avez claironné à tous vos copains que vous alliez faire le Tourmalet. Vous avez parcouru dans votre 4x4 astiqué pour l'occasion les deux cent kilomètres de Toulouse à Sainte-Marie-de-Campan, avec votre beau vélo chromé et votre maillot orange Euskatel-Euskadi. Et tout au pied du col, sur la place du petit village, vous avez échangé avec d'autres cyclistes des propos enthousiastes sur l'ascension prévue. Alors à quel moment vous permettrez vous de faire piteusement demi-tour et de vous avouer que ce n'était pas pour vous ? Vos raisons d'abandonner ne sont-elles pas aussi mauvaises que l'étaient vos raisons de commencer ?

Or finalement, n'en sommes-nous pas là pour tout ce que nous entreprenons ? La brave ménagère ne peut-elle pas s'écrier du jour au lendemain : « à partir d'aujourd'hui, c'est plus moi qui fais la vaisselle ! » à l'ahurissement de toute la maisonnée consternée dont elle vient d'ébranler, comme le fit Samson du temple de Dagon, les piliers et les fondements ? Bien sûr, il faudrait qu'elle révise quelques unes des convictions friables que seule son obsession du nettoyage lui permettait de soutenir : elle n'est plus digne du titre de maîtresse de maison respectable, secret héritage ancestral d'une immémoriale lignée de générations féminines que sa mère lui avait, sur son lit de mort, précieusement remis en mains propres et en tremblant.

Mais je m'égare. Je voulais seulement dire que s'il est plus facile d'abandonner un blog que la vaisselle, c'est qu'une raison suspecte doit se cacher dessous. Il n'existe pas, comme on le répète pourtant assez souvent, une communauté de blogueurs. Quand vous faîtes votre blog, vous êtes seul, votre création est un petit tas de cailloux anonyme que vous entassez au coin d'un chemin et vous vous sentez le droit de donner un coup de pied dedans au premier moment d'énervement venu. Les conditions de votre découragement seront multiples. Je ne saurais certes les énumérer pour vous. Je vous invite plutôt à chercher les convictions, les idées obsessionnelles et les fantasmes qui ont soutenu la création de votre blog ; et vous saurez alors pourquoi vous le fermerez.

Illustration : D'où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? Paul Gauguin, 1897–1898.

dimanche, septembre 10, 2006

Un an de blog : le bilan

Peut-être avez vous entendu parler de cette coutume ancestrale, commune dans les sociétés industrielles, qui consiste à remercier la divinité solaire, chaque fois qu'elle revient dans une initiale constellation, pour les bienfaits qu'elle daigna octroyer à l'entreprise. Les grands prêtres de cette religion appellent cette cérémonie traditionnelle la "réunion de kick-off". Devant l'ensemble des membres de la tribu, chaque chef à plumes se félicite soi-même et tour à tour d'avoir reçu les pouvoirs de nombres favorables et révèle aux yeux des mortels ébahis les sceaux magiques de protection nommés "graphiques PowerPoint".

Visiteurs durant l'année 2006

Puis les vaillants employés festoient dans la liesse lors d'un grand banquet où ils sont autorisés à danser avec les secrétaires...

"And söhte ich kümmen wülle
To mine kineriche
And wühnien mid Brütten
Mid müchelere wühne."


"Et bientôt, je reviendrai dans mon royaume et je festoierai parmi les Bretons dans une grande liesse."

Aujourd'hui est venu le jour faste de sacrifier à cette bienfaisante tradition et de faire le bilan d'un an de blog. Je profiterai aussi de l'occasion pour répondre aux questions de mes nombreuses lectrices... (1)

Comme je le disais hier, les articles des trois premiers mois me paraissent meilleurs que les suivants. A cela, je trouve plusieurs raisons : ils me semblent plus inspirés ; je cherchais systématiquement une manière originale pour en présenter le contenu ; il y a donc plus d'effets de style, ce qui rend leur lecture agréable. Ils participaient d'une forme d'introduction et je n'étais pas encore entré dans le vif du sujet. De même, les premières semaines durant lesquelles Christophe Colomb, penché à l'avant de sa blanche caravelle, regardait "monter en un ciel ignoré du fond de l'océan des étoiles nouvelles", furent sans doute les plus exaltantes de son long voyage.

Les idées présentées au tout début étaient des convictions. A partir du moment où l'on affirme, comme le petit grillon, que "l'intelligence dont nous nous enorgueillissons n'est qu'une forme spéciale de l'imbécillité, grâce à laquelle nous prenons constamment des vessies pour des lanternes", tout est dit. Après cela, il reste à fournir des exemples et à étayer des démonstrations, ce qui est la part la plus fastidieuse du travail. Dans les articles qui ont suivi, le raisonnement est souvent ardu - j'éprouve des difficultés à me relire ! aussi sur le moment ai-je pensé ne pas pouvoir me permettre des fioritures qui rendraient plus pénible encore leur compréhension. C'est pourquoi de nombreux textes, même si leur contenu est intéressant, donnent l'impression d'un pur intellect coupé des sources de l'affection.

Ma préférence pour les articles des premiers mois est donc sans rapport avec l'évolution de ma pensée. Bien au contraire, durant cette année, à force de creuser pour trouver une base saine afin de planter les étais de ma réflexion, j'ai fini par trouer le plancher. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est totalement creux dessous !

En effet, il est impossible de circonscrire la différence entre le sujet et l'objet, chacun des deux se dissolvant dans l'autre. L'univers et la matière, lorsqu'on cherche à les saisir, se changent en une poignée de vecteurs mathématiques complètement mentaux ; l'impression de leur réalité est une construction de la conscience ; or elle-même et ses résidus, tous impossibles à définir, semblent s'expliquer par le fonctionnement du cerveau, lequel est fait de matière, donc de la poignée d'abstractions qui paraissaient avoir été imaginées par lui. Tout ceci fait penser à un labyrinthe de reflets de miroirs dont il est impossible de trouver la sortie autrement que par un hasard heureux.

Ce paradoxe tend à remettre en doute l'outil qui nous donne une vue si aberrante : la raison. Et de fait, celle-ci est fondée à la fois sur une représentation qui, bien qu'elle paraisse évidente, est résolument fausse ; sur un langage nécessairement incomplet fournissant de cette représentation une perspective floue et imparfaite ; sur des liens de cause à effet particulièrement douteux ; et pour finir, sur des bases - dont l'équivalent mathématique est le postulat - qui ne se révèlent en dernier lieu n'être que des croyances, des convictions, des fantasmes ou d'autres idées fascinatoires TM (2) qui engendrent une inconditionnelle quoique éphémère adhésion.

Mais cela, dont je me doutais un peu, n'est rien comparé à certains problèmes inattendus. Je ne me les formulai plus ou moins clairement qu'à partir de Février 2006.

Primo, quelle que soit la valeur de mes exemples et de mes démonstrations, ils n'attirent que des personnes partageant dès l'origine le même type de convictions. Les autres vont éprouver - je fonde surtout cette supposition sur ma réaction à la lecture d'autres blogs - une répulsion instinctive vis-à-vis du contenu. Je prêche donc en terrain conquis et ces efforts me paraissent pour le moins sans intérêt.

Secundo, si j'avais vu que le style est une personnalité indépendante, séparée de celle de l'écrivain, il arrive cependant un point où la créature dévore son créateur : il ne voit plus que par elle, ne pense plus que par elle et n'agit plus que par elle. Bien que, de toutes manières, cette maladie mentale ne soit pas différente de celle que l'on connaît communément sous le nom de "déformation professionnelle", je n'éprouve que peu de sympathie à me voir réduire à un philosophaillon grincheux ne suspectant que mensonge en deçà comme au-delà des Pyrénées.

Je ne concourrai donc pas avec Flo pour la palme du blog le plus déprimant de l'année 2007. Par contre il se pourrait bien que, comme la seiche livide, je lâche bientôt mon encre obscure tout d'un coup et, au grand dam du lecteur aveuglé, m'enfuie en zigzaguant vers les eaux bleutées des mers plus hauturières.

(1) Je préfère dire "les questions de mes nombreuses lectrices" que "les questions de Kiki et Flopinette" parce que, je ne sais pas si vous l'avez remarqué, ça fait beaucoup plus sérieux. On m'objectera sans doute l'utilisation du qualificatif "nombreuses". Or à partir de quel chiffre peut-on commencer à estimer que des lectrices sont nombreuses ? Celui qui oserait prétendre que ce n'est pas à partir de 2 serait certes de mauvaise foi !
(2) Fascinatoire TM est une marque déposée sous copyright John Warsen 2006.

vendredi, septembre 08, 2006

Château Dado : le cru 2006

Pour fêter l'anniversaire de Songes de la Raison, je vous présente une sélection des articles qui m'ont paru les plus intéressants, non seulement par leur contenu mais également par leur facture. Le choix n'a pas été si facile. Après un premier tri, il restait encore soixante articles soit un tiers du blog, ce qui m'a agréablement surpris. Je n'ai pas pour habitude de me satisfaire aisément, c'est plutôt le contraire qui a tendance à se passer.

Voici donc vingt-trois de mes articles entre Septembre 2005 et Septembre 2006, classés sous des rubriques assez grossières :

Un peu d'histoire :

Petit déjeuner avec vue
Naissance d'une civilisation

Poésie et pathos larmoyant :

Jardins lointains
La vue des jardins Boboli

Critique cinématographique :

Kiki la petite sorcière
Fleurs brisées

Humour et dérision :

Llanfairpwll
La journée de la santé mentale
L'ethnographie, discipline maudite
Pouletosaurus Rex

Perplexités sur la conscience, l'univers et autres :

Le malin génie
Le saut périlleux de la science
Cogito ergo sum
L'ambiguïté des sentiments
Les aventures de Mickey Mouse dans la huitième dimension
La raison à l'état sauvage
Entretien avec un automate

Le choix des lecteurs :

Muses en quête d'auteur
Les nudités invisibles
La fin du monde est proche
Faux sceptiques
La forêt obscure
Personnalités artificielles

Dans l'ensemble, j'ai privilégié les articles contenant de l'anecdote ou du sentiment sur les réflexions crues et sèches. Ainsi la plupart des articles pourtant intéressants, mais trop nombreux pour être tous listés ici, sur la conscience, la croyance, le rêve et la construction de la réalité, n'apparaissent pas dans cette sélection. Il est un peu regrettable que la plateforme Blogger n'offre pas la possibilité de créer des catégories, ce qui aurait permis de les retrouver plus simplement.

mercredi, septembre 06, 2006

Le paysage toscan



Tellement touché par votre gentil accueil à mon retour, je regrette un peu de n'avoir pas grand'chose à vous raconter de la Toscane. J'ai surtout passé ces deux semaines à explorer le paysage que l'on apercevait depuis Radicondoli, ce qui prend bien plus de temps qu'on ne l'imagine, car sitôt que l'on s'éloigne de la quatre voies Florence-Sienne - sur la voie de gauche de laquelle poussent des surgeons de vignes et de peupliers - on se retrouve sur des routes sinueuses comme il ne se parcourt ici qu'à compter de mille mètres d'altitude, si elles ne se transforment pas au détour d'un virage en piste carrossable de jolis graviers blancs !

Le voyageur en Toscane a l'impression de visiter l'un de ces minutieux paysages médiévaux tel qu'on les voit dans les enluminures ou la fresque d'Ambrogio Lorenzetti. En vérité, la vision de l'artiste du XIIIème siècle reproduit beaucoup plus fidèlement la réalité subjective que ne le fait l'oeil photographique actuel.

Comme au Moyen-Age, le centre du champ de vision implique la communauté humaine car c'est seulement depuis le village, systématiquement situé sur une hauteur, que l'on peut découvrir ce qui se passe alentour. Le paysage est triangulé par les regards inquiets que s'échangent les cités fortifiées d'une colline à l'autre. Depuis les remparts de Radicondoli, on voit se découper à travers l'atmosphère transparente non seulement chaque donjon et chaque clocher de village sur les sommets les plus proches mais, à travers des trouées dessinées entre les vallonnements, les lourdes fortifications de Volterra et les tours élancées de San Giminiano, à vol d'oiseau cinq lieues plus loin.

Les collines ont chacune leur individualité : l'oeil les distingue nettement les unes des autres et elles sont loin de former ce drapé mollement plissé et onctueux que montre l'appareil photo. Leur altitude paraît exagérée car il est long d'y grimper à pied - et encore maintenant en voiture. Le long de leurs flancs s'inclinent les champs de blés et les rangs parallèles des vignes et des oliviers plus clairsemés. Quelques fermes s'éparpillent en contrebas. Parfois, au pied d'une montagne, on découvre les augustes et rustiques murailles rouges d'une seigneuriale fattoria, propriété agricole appartenant encore à quelque ancien comte ou immémoriale duchesse, et du territoire immense de laquelle s'exploitent seulement de minuscules parcelles courant entre les bois de chênes et de robiniers.

Le réseau routier ne dessert pas la campagne dans son ensemble ; mais chaque chemin, dont le tracé imprévu remonte lui aussi certainement au Moyen-Age, ne joint que les deux villages les plus proches d'une crête vers l'autre ; de telle façon que le trajet le plus direct en apparence requiert souvent de contourner la vallée inhabitée et ses ponts effondrés par les crues de torrents au lit trompeusement désert...

lundi, septembre 04, 2006

Retour de Toscane



Mes talents de photographe étant passablement limités, c'est sans doute la seule image que vous verrez de mes vacances en Toscane. Ce panorama se déployait en face de la terrasse de notre maison.

En fait, devant une scène ou un paysage, mon regard ne cesse de zoomer et de dézoomer sur les détails. A l'intérieur d'une vue d'ensemble, certains éléments sont mentalement grossis : ils prennent beaucoup plus de place qu'ils n'en ont en réalité. Depuis notre terrasse, on découvrait des dizaines de petites fermes perdues dans le décor. Chacune d'entre elle reflétait le soleil de manière différente. Il y avait une sorte de donjon surmontant Belforte au sommet de la colline en vis-à-vis ; malgré la taille de la photographie, c'est à peine si l'on distingue ce village. Tout au loin, sur les monts fermant l'horizon, on apercevait Chiusdino avec son campanile ; dans l'image, il est inutile de le chercher.

De plus, l'oeil accommode en fonction de la luminosité locale. Ici, on ne remarque pas du tout la petite chapelle posée en contrebas. Elle semble noyée dans l'ombre alors que ses façades étaient encore éclairées du couchant. Le photographe que je ne suis pas ne se laisse pas distraire par ces aléas de l'attention. Il ne saisit pas l'histoire du paysage telle que son imagination la réorganise ; mais juste ce que son oeil voit.