Ma réponse à un commentaire sur l'article précédent :
>> La partie d'échec est un prétexte, le vrai livre est sur l'oppression. Stephan Zweig avait certainement d'autres maux à combattre que ses défaites aux échecs. Par exemple le nazisme.
Je vois que nous sommes d'accord sur le fait que le jeu d'échecs est un prétexte dans le roman de Stefan Zweig. Toutefois, il me semble aussi juste d'affirmer que l'oppression est le thème du Joueur d'échecs que celui de Cendrillon. La pauvre petite Cendrillon, opprimée par sa marâtre et emprisonnée chez elle, développe certaines qualités qui lui permettent d'affronter ses adversaires ( ses méchantes soeurs ) à une épreuve ( le bal ) et de remporter le pompon ( un joli prince richissime ). Le héros de Stefan Zweig, un docteur opprimé par les nazis et emprisonné, développe certaines qualités qui lui permettent d'affronter un adversaire ( le champion du monde ) à une épreuve ( une partie d'échecs ) mais cette rencontre aboutit à un désastre ( il devient fou ).
Le mode de l'oppression est un des deux principes de départ de la majeure partie des récits. Soit le héros part en quête sur demande, soit il est d'abord confiné par force et s'enfuit. Je ne pense donc pas que l'on puisse dire que l'oppression soit un thème, surtout lorsqu'elle intervient au début d'une narration ; ou bien il faudrait convenir qu'elle est le thème de la moitié des histoires ! Or je ne crois pas que l'on ait jamais dit que le remariage du père soit le thème majeur des contes de Grimm, bien qu'il se rencontre si souvent, ou pour prendre un exemple plus "sérieux", que l'horreur du mariage avec un brave pharmacien soit le thème de Madame Bovary. Pourtant, il y a de forts rapports entre Madame Bovary et le Joueur d'échecs, puisqu'ils échappent à l'oppression par le fantasme ( amoureux dans le roman de Flaubert, de puissance dans le roman de Zweig ) et que la confrontation avec la réalité fait que l'histoire se termine mal pour tous deux. Donc pour moi, l'oppression est un schéma classique de début de récit, ni plus, ni moins...
Vous remarquerez d'ailleurs qu'il n'est plus question de nazis à partir de la moitié du Joueur d'échecs. Par contre, pourquoi l'auteur s'acharne-t-il sur le personnage du champion Czentovic ( un paysan hongrois, "un rustre lourdaud et taciturne", "apathique", le front "barré", les "joues rouges", "l'expression niaise", "l'oeil vide", "d'une lenteur extrême", "d'une insondable bêtise", "d'une inculture universelle" ) ? Zweig, qui se vantait d'une compréhension bienveillante de la psychologie humaine et s'est toujours montré amical pour tous ses personnages, est ici d'une férocité sans pitié. Son champion du monde, qui en devient virtuel tellement il est négatif, n'est qu'une bête. Sur ce point, je viens ce découvrir le site de Véronique Laroche, professeur de français à Lyon. Elle s'étonne également de cette exagération et une de ses réponses recoupe les miennes :
« Il permet aussi à Zweig de régler ses compte avec les échecs qu'il maîtrise très mal ; un jeu que, malgré quelques remarques laudatives qui sentent le recopié, il cherche surtout à critiquer : la spécialisation aux échecs ne peut être le fait que d'un être par ailleurs limité. Ceci pourrait se traduire par un syllogisme : les champions d'échecs ont une intelligence limitée ; or Zweig a une intelligence universelle ; donc Zweig n'est pas bon aux échecs. Ou l'inverse : or Zweig n'est pas bon aux échecs ; donc Zweig a une grande intelligence. »
Au delà de cette solution amusante et anecdotique, il reste une question plus intéressante à élucider : pourquoi le héros perd la seconde partie contre le champion ? Si vous relisez le livre, vous remarquerez qu'il y a là un point extraordinairement curieux. Le docteur s'embarque dans une variante "fantôme" et demeure persuadé qu'il a maté son adversaire alors qu'il a perdu. Un écrivain se rendra immédiatement compte que toute la difficulté de la narration, et du même coup la réussite de la nouvelle, se concentre dans le traitement de cette conclusion incroyable ; et que tout ce qui a précédé n'est que la préparation serrée permettant de donner quelque vraisemblance à cet effet final. S'il est un vrai thème dans le roman, il réside dans la réponse à cette question.
Le Joueur d'échecs est la dernière nouvelle de Stefan Zweig. Elle est particulièrement importante pour lui puisqu'il en enverra un exemplaire à son éditeur la veille de sa mort. Il faut donc y voir son testament et l'explication de son suicide. Au vu de cela, il me semble évident de réviser mon opinion : Zweig n'aurait sans doute jamais choisi de nos jours un ordinateur comme adversaire puisque son objectif était de montrer la déroute de son idéal, l'inutilité de l'intelligence, de la culture, de la délicatesse, de la créativité et de l'imagination face à la bêtise, la vulgarité et la méchanceté humaine. Le nazisme en fut certes l'illustration frappante et à grande échelle. Mais l'on en découvre malheureusement tous les jours des échantillons plus communs...
3 commentaires:
Pour madame Larroche et vous même, Sweig écrivait à son ex-femme. "J'ai commencé une petite nouvelle sur les échecs, inspirée par un manuel que j'ai acheté pour meubler ma solitude, et je rejoue quotidiennement les parties des grands maîtres". Peut-on imaginer monsieur Zweig,juif,autrichien, exilé au Brésil et se suicidant en 1942 avoir des comptes à régler avec les échecs??...
Pour être bon aux échecs, d'après ce que j'ai constaté autour de moi, mieux vaut manquer de sensibilité, et avoir une tendance monomaniaque. Un gros ego ne fait pas de mal non plus. C'est comme le sport de haut niveau. Maintenant, ils sont coachés, entraînés... comme les chevaux du Prix d'Amérique. Un homme intelligent peut-il vraiment accepter que sa vie se réduise à cela ?
Pour la sensibilité, je ne sais pas. Pour l'ego, je suis d'accord : les échecs étant avant tout un sport de combat, le "moral des troupes" joue pour 80% au moins du résultat. Pour la tendance monomaniaque, c'est tout à fait avéré, mais c'est souvent la même chose en art ou en science (de haut niveau).
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