mardi, avril 25, 2006

Prolégomènes à tout amphigouri futur qui voudra se présenter comme métaphysique

Je me souviens du titre charmant - excessivement presque - d'un article de John Warsen : « Rédemption de l'objet fascinatoire ». Fascinatoire. Terme précieux, rare et ampoulé qui, malgré qu'il n'apparaisse nullement dans le Dictionnaire de l'Académie Française, n'est pas à dire vrai un néologisme puisque, sans trop de surprise et à rebours dans le temps, le philologue piste sa trace dans les marais brumeux de toute littérature décadente, ténébreuse et alambiquée : les aphorismes amphigouriques d'un Gilles Deleuze,

« Nous refusons d'utiliser le dictionnaire tel quel à la manière des artistes conceptuels, qui après avoir annexé Duchamp, ont cultivé un fétichisme pseudo-sémiotique du signe. Or le signe reste un équivalent de la proportion morphologique, et mettre une chaise à côté de la définition chaise ne nous apprend rien que la figure de ce que nous souhaiterions transformer. Les "installations" contemporaines n'installent rien qu'un nouvel académisme. La mimesis, qu'Aristote définit avec la poésie comme l'art de ce qui pourrait être, est éminemment préférable à la doctrine d'imitation fascinatoire développée par les artistes conceptuels et minimalistes. »


le galimatias sibyllin des séminaires pompeux de Jacques Lacan,

« Il est singulier qu'en un moment de florai­son de la linguistique, la discussion sur ce que c'est, le nom propre, soit entière­ment en suspens, je veux dire que s'il est paru exact - et vous en connaissez je pense un certain nombre - que toutes sortes de travaux remarquables, toutes sortes de prises de position éminentes sur la fonction du nom propre, au regard de ce qui semble aller de soi, la première fonction du signifiant, la dénomination, assurément, pour simplement introduire ce que je veux dire, la chose qui frappe, c'est qu'à s'introduire dans un des développements divers très catégorisés, qui se sont poussés sur ce thème à une véritable valeur, je dois dire fascinatoire sur tous ceux qui s'en aperçoivent, il apparaît avec une très grande régularité, à la lecture de chaque auteur, que tout ce qu'ont dit les autres est de la plus grande absurdité. »


et leur maître à brouiller la pensée, le journal sophistiqué des frères Goncourt ; desquels le style « artiste » demeure à tout jamais un modèle de snobisme obscur.

« 12 septembre 1867. Ce soir, nous sommes comme moulus des fièvres d'une folle nuit de jeu. Après l'achat de cette maison de près de cent mille francs, cette maison, si déraisonnable au point de vue de la raison bourgeoise devant notre petite fortune, nous offrons deux mille francs, un prix dépassant le prix d'un caprice de l'Empereur ou de Rothschild, pour un monstre japonais, un bronze fascinatoire, que je ne sais quoi nous dit que nous devons posséder. Au fond, c'est énorme, cette masse d'émotions que nous mettons dans notre vie si plate, nous à l'apparence si froide, et si fous au dedans, et si passionnés et si amoureux. Car nous appelons amoureux, celui-là seul qui se ruine pour la passion de ce qu'il aime : femme ou chose, objets d'art animés ou inanimés. »

mercredi, avril 19, 2006

Panne d'inspiration

Depuis le début du printemps, mon humeur a soudain changé au point que les centres d'intérêts et vues qui contribuèrent à la création de ce blog ne trouvent plus aucun reflet en mon for intérieur. S'il m'était même envisageable de poursuivre dans de telles conditions - ce qui est à peu près impossible au vu de mon manque d'inspiration actuel - ce ne serait plus qu'une mauvaise habitude : je n'ai plus d'idées à exprimer qui correspondent au style des articles précédents ; en eussé-je, je n'ai plus la patience de les mettre en forme. Peut-être en retrouverai-je l'envie dans quelques semaines...

Entretemps, puisse la race humaine continuer à se prélasser dans sa raisonnable folie sans mes inutiles commentaires. Si le thème venait à m'inspirer un jour de nouveau, j'ai l'intime assurance que le filon ne sera pas épuisé.

mercredi, avril 12, 2006

Le combat ordinaire

Le combat ordinaire, par Manu LarcenetChez un ami à Agde, comme le temps était gris et pluvieux et maussade, comme l'appareil numérique emporté dans mes bagages et l'espoir de faire de jolies photos de la cathédrale s'avérait inutile, j'ai eu le malheur de lire les trois tomes de la BD "Le combat ordinaire" de Manu Larcenet. Rien de tel pour vous fiche pendant plusieurs jours le cafard. J'ai eu l'impression de voir défiler un résumé morbide de mon existence et de celle de mes proches : gâtisme lentement consommé des parents qui donne un aperçu de notre propre devenir, soirées dont l'intérêt s'est peu à peu dilué dans de lointaines habitudes, épuisement moral d'individus écrasés par leur vie professionnelle et familiale, poids des souvenirs douloureux et atroces d'une vie ratée, fuite de l'angoisse existentielle par le suicide ou la procréation, j'en passe et des meilleures...

Le pire, c’est que c’est très bien raconté. Plus je m'enfonçais dans cette lecture, plus j'espérais vivement qu'à la fin du tome trois tout ce beau petit monde serait enfin six pieds sous terre. Mais non. Comme dans la vie, il y aura un tome quatre.

Pour me changer les idées, j'ai acheté une grosse boîte de bonbons Haribo et installé un fil RSS sur mon blog. Il a l'air de fonctionner. Petite satisfaction.

mardi, avril 11, 2006

Démocratie et information

Je n'ai pas pour habitude d'encenser les Etats-Unis mais je dois reconnaître qu'ils ont bien mieux compris que nous ce qu'est une démocratie. Il nous paraît un peu étrange de voir un pays cautionner un président qui le lance dans une guerre injuste sur la base d'informations mensongères. C'est que nous oublions un point fondamental : aux Etats-Unis, le nouveau président, lors de son investiture, prête serment sur la Bible devant le peuple lorsqu'il expose les grandes lignes de son futur mandat. Les Etats-Unis ont un président de droit divin. Il est tenu religieusement de dire la vérité au peuple et, en contrepartie, le citoyen américain lui voue une entière confiance. Mais s'il s'avère qu'il a menti, comme dans le cas du cyclone Katrina où Bush déclara devant les caméras: "Personne n'avait anticipé l'effondrement des digues" alors qu'une visioconférence le montre prévenu des risques encourus, cela devient une très grave affaire d'Etat.

Par contre, en Europe comme en France, il semble que nous n'ayons toujours pas compris l'importance primordiale du rôle de l'information - et surtout de la véracité de celle-ci - dans une démocratie. A partir du moment où le citoyen est tenu de voter, il est fondamental qu'il sache pourquoi. Cela paraît une évidence. Mais si les principaux media sont muselés par un homme politique, comme ce fut le cas pour l'Italie avec Silvio Berlusconi ; s'il devient nécessaire qu'un groupe terroriste fasse exploser plusieurs trains pour mettre en évidence les mensonges d'un premier ministre, comme ce fut le cas en Espagne pour José María Aznar ; s'il paraît naturel qu'un président de la république ne puisse "pendant la durée de son mandat [...] ni être mis en examen, cité ou renvoyé pour une infraction quelconque devant une juridiction pénale de droit commun", comme c'est le cas en France depuis 2001, il n'est plus question de parler de démocratie.

Depuis les élections présidentielles de 1995, le citoyen français semble avoir admis que l'homme politique ait le droit de lui mentir ouvertement. On peut lui faire gober que voter "non" à un référendum conduira à une catastrophe sans précédent - nous l'attendons toujours ; un parti de droite peut lui promettre une politique sociale de gauche - et bien sûr ne pas s'y tenir ; un gouvernement peut baptiser "loi sur l'égalité des chances" un texte profitant exclusivement à quelques actionnaires de grands comptes industriels. Je ne crois pas que cet état de fait récent soit irréversible. Il n'est du qu'à quelques personnalités politiques actuelles, extraordinairement malsaines, qui sèment la confusion afin d'en récolter les fruits. Certes le fruit qui mûrit d'un tel germe ne peut être qu'infect. Mais ces individus-là semblent s'accommoder du pouvoir à n'importe quel prix, crise sociale, chômage, corruption, déficit budgétaire, récession, etc.

Samedi soir en Italie, en pleine trêve électorale, les électeurs ont reçu sur leur téléphone portable des messages du parti de Silvio Berlusconi, rédigés dans le goût de celui-ci : «Si tu ne votes pas, tu choisis Prodi. S'il gagne, c'est toi qui perds : impôts sur ton épargne et ta maison, altermondialistes et clandestins en liberté». Finalement, Romano Prodi a été élu. Bien que le scrutin lui ait accordé à peine 27000 voix d'avance, peut-être est-ce le signe que le vent change de direction.

mercredi, avril 05, 2006

Pouletosaurus Rex

On trouve à la page 924 de la vieille Encyclopedia Britannica, la 9ème édition publiée entre 1875 et 1889 que m'a léguée ma grand'mère, jouxtant l'article Dinosaur, cette gravure bien étrange. La facture en est curieuse - on ne sait trop si c'est une lithographie ou une pointe sèche ; la qualité du dessin est excessivement mauvaise, chose très extraordinaire pour un ouvrage d'une telle rigueur ; quant au contenu... ma foi, je vous laisse juger par vous-mêmes !

J'y devine un animal singulier, mi-oiseau mi-reptile, dans un paysage vaguement désertique où dépérissent quelques touffes de plantes écrasées par un ciel plombé et lourd. Qu'est-ce que cela peut représenter ? La légende sertie au bas de l'illustration est explicite : il s'agit du Pouletosaure - Pouletosaurus Rex ! J'ai cherché dans l'article adjacent des références sur cet animal aussi préhistorique que surprenant mais à ma grande déception aucune ligne ne lui était consacrée. Animal surprenant, dis-je, car il porte évidemment des plumes, ce qui à ma connaissance n'était pas imaginé à cette époque. Plus étonnant encore à mon avis, la racine française dans la dénomination latine. On aurait pu supposer que la monstrueuse créature fut baptisée gallinosaurus ou, à l'extrême rigueur, chickenosaurus puisque l'Encyclopedia Britannica est bien sûr un ouvrage anglais. J'en déduis avec fierté que le découvreur de cet animal était l'un de nos sagaces compatriotes.

Devant cette confirmation inespérée, je ne peux que m'ébahir. Ah ! Illustre épistémologue, grand Gaston Bachelard, est-elle de toi cette sentence immense qui me vient à l'esprit : « Une fois admis comme critère de la scientificité l'accord des scientifiques entre eux, on ne trouve que très peu d'exemples où ils se contredisent» ? Oui, pétri d'admiration par la portée de ta vision prophétique, car je m'aperçois que la découverte du dinosaure à plumes, consacrant le labeur d'un obscur savant du vieux siècle sur les os du Pouletosaurus, révèle l'évidence du consensus scientifique universel qui, tel l'éclat du phare perpétué de nuit en nuit à travers les brumes de l'ignorance - où en étais-je ? oui, tout cela, une fois de plus, te donne entièrement raison !

mardi, avril 04, 2006

Lieux communs

Flo proposait récemment un petit exercice de style. Il s'agissait de reprendre un texte décrivant une promenade nocturne en forêt. Bien qu'à certains détails on perçoive que son auteur ait extrait de cette balade des émotions peu ordinaires, il fallait dégager ces sensations d'un épais tissu de poncifs. Qu'en déduire ? Soit le promeneur n'avait assimilé sur le moment que les seules images s'accordant à une description rebattue et préalable ; soit son souvenir, par l'amalgame d'un discours convenu, s'était estompé au point qu'il n'en saisissait plus l'essence ; plus probablement, malgré que l'impression restait vivace à sa mémoire, sa capacité d'expression n'avait su dépasser les lieux communs ressassés sur de similaires sujets. Le plus drôle est que mes tentatives d'amélioration se sont montrées tout aussi désastreuses. Ces limitations jettent un discrédit inquiétant sur nos facultés de percevoir et de communiquer notre expérience.

L'écrit soulignait toutes les lourdeurs de ce propos. Certains types de média, à l'inverse, s'assortissent parfaitement de la platitude ou du mensonge. C'est le cas de la télévision. Je me rappelle une interview à laquelle j'ai assisté. L'une des personnes interrogées a débité un tel méli-mélo de clichés vides de sens que les autres participants se retenaient de pouffer de rire. Lors de la diffusion du reportage sur FR3, c'est son intervention qui semblait la plus judicieuse et la plus avisée.