mercredi, mai 31, 2006

Apocalypses à gogo

Je ne sais trop quelle prétention ou quelle lassitude se cache derrière l'idée fascinante d'une destruction massive par une soudaine apocalypse. Peut-être s'agit-il de la réaction de culpabilité inhérente à toute civilisation lorsqu'elle prend vaguement conscience du leurre que constitue son "contrat social". Je pense cependant qu'une telle notion est intimement liée aux croyances sur l'après-vie et que l'action sur la pensée de l'attracteur étrange du cataclysme affecte essentiellement les sociétés à paradis. Quel sens aurait-il dans un système védantiste à réincarnations ?

Je reviens brièvement sur ce sujet - assez peu intéressant en soi, je l'admets - pour évoquer une actualité récente qui servira d'exemple utile à un article précédent. En effet, s'il n'y a pas plus important qu'une apocalypse en instance, il n'y a pas non plus d'événement aussi vite oublié. Il est impossible aujourd'hui de retrouver la date à laquelle ma mère et ses amies, alors enfants, attendirent toute la nuit, terrorisées dans leur chambre, à la lueur d'une chandelle, la fin du monde ; le Christ de Montfavet - Georges-Ernest de son prénom - l'avait prédite à la radio. Ce devait être au début des années 50. Une douzaine d'Armageddons plus tard, on se souvient à peine de la populaire éclipse solaire d'Août 1999, celle du fameux Nostradamus : nous avions alors le choix entre une troisième guerre mondiale, une planète asséchée, un renversement des pôles ou, en désespoir de cause, la chute d'une petite station orbitale. Me défiant donc de la mémoire de mon lecteur, je préfère lui rappeler ici la dernière apocalypse en date.

Il y a quelques jours, un hurluberlu annonçait pour le 25 Mai 2006 la chute d'un fragment de comète dans l'Atlantique. Le déferlement d'un tsunami de deux cents mètres de haut devait ravager les côtes de la Floride jusqu'au Portugal. Au Maroc, la rumeur atteignit des proportions telles que les autorités durent la démentir. Néanmoins, de nombreux habitants des villes portuaires de Rabat, Casablanca, Agadir et Tanger se réfugièrent à la campagne. La nuit même de la catastrophe annoncée, la panique éclata à Rabat : réveillés par des explosions, les habitants sortirent dans les rues. Vérification faite, c'était un feu d'artifice dans le quartier voisin.

L'affaire du "tsunami marocain" :
Article de l'Economiste, 23 Mai 2006 :
Tsunami ? Souriez, vous êtes piégé !
Article du Nouvel Observateur, 23 Mai 2006 :
Folle rumeur de tsunami au Maroc.
Article de l'Opinion, 26 Mai 2006 :
Panique la veille du « tsunami ».

vendredi, mai 26, 2006

Académie vs. Google : 1-0

Allez zou ! Un petit article pour vous faire croire que j'ai passé ma semaine à tout autre chose qu'arpenter la campagne en VTT.

Chaque internaute, lassé de consulter le dictionnaire en ligne de l'Académie Française sitôt qu'il doute d'un mot, finit par découvrir à la longue le stratagème qui consiste à saisir le vocable importun sous Google. Le moteur de recherche suggère un terme phonétiquement proche s’il renvoie plus d'occurrences. Ainsi, comme "ortographe" se lit sur 161 000 pages quand "orthographe" se rencontre sur 6 860 000, ce dernier sera proposé. Il serait même préférable, selon FreeCorp, d'utiliser GoogleFight.

Seulement voilà, je viens de déceler les déficiences de cette ingénieuse méthode… L'expression fautive "acquis de conscience" est trois fois plus utilisée que son homologue adéquat "acquit de conscience" ! Qui aurait suspecté que son sens dérivait du verbe acquitter et non d'acquérir ? Certainement pas moi.

Mais comment écrire aussi bien que Dado ?
Le
Dictionnaire de l'Académie Française, 8ème et 9ème éditions (la 9ème est encore inachevée).
Le
Dictionnaire des Synonymes CNRS/CRISCO.

vendredi, mai 19, 2006

Le Mystère du Rêve à la Guillotine

Au chapitre 6 de son ouvrage « Le Sommeil et les Rêves » (1861), Alfred Maury proposa plusieurs hypothèses destinées à devenir fameuses : les rêves sont moins incohérents qu’ils ne le paraissent de prime abord ; la liaison des idées s’opère par des analogies qui nous échappent généralement au réveil et que nous saisissons d’autant moins que les concepts sont devenus des images ; le rêve accède à des zones de mémoire enfouies ; ces souvenirs en apparence éteints constituent le matériau du rêve, surtout si l’esprit fut fortement affecté par eux ; et ce sont les événements de la veille qui ravivent ces perceptions anciennes. On reconnaît là l’essentiel des principes retenus par Freud lorsqu’il élabora, quarante ans plus tard, les fondements de la psychanalyse.

Cependant l’on ne se souvient plus d’Alfred Maury que pour un de ses rêves, frappé d’une coïncidence étonnante :

« J’étais un peu indisposé, et me trouvais couché dans ma chambre, ayant ma mère à mon chevet. Je rêve de la Terreur ; j’assiste à des scènes de massacre, je comparais devant le tribunal révolutionnaire, je vois Robespierre, Marat, Fouquier-Tinville, toutes les plus vilaines figures de cette époque terrible ; je discute avec eux ; enfin, après bien des événements que je ne me rappelle qu’imparfaitement, je suis jugé, condamné à mort, conduit en charrette, au milieu d’un concours immense, sur la place de la Révolution ; je monte sur l’échafaud ; l’exécuteur me lie sur la planche fatale, il la fait basculer, le couperet tombe ; je sens ma tête se séparer de mon tronc ; je m’éveille en proie à la plus vive angoisse, et je me sens sur le cou la flèche de mon lit qui s’était subitement détachée, et était tombée sur mes vertèbres cervicales, à la façon du couteau d’une guillotine. Cela avait eu lieu à l’instant, ainsi que ma mère me le confirma, et cependant c’était cette sensation externe que j’avais prise, comme dans le cas cité plus haut, pour point de départ d’un rêve où tant de faits s’étaient succédés. »

Alfred Maury en déduisit qu’un bref instant suffisait pour engendrer un long rêve, que les songes s’élaboraient au moment précis du réveil. Diverses expériences menées ultérieurement (1) infirmèrent cette théorie paradoxale, que les neurobiologistes contemporains tiennent d’ailleurs pour une légende urbaine (2). Et c’est là que réside le mystère ! Comment se fait-il que cette rumeur bizarre ait pu atteindre la foule ? Qui a jamais lu Alfred Maury ? J’ai cru un instant que Freud avait contribué à répandre cette hypothèse mais il semble que non. Toute personne susceptible d’élucider cette ténébreuse énigme sera la bienvenue…

(1) Dement et Kleitman, 1957 ; Jovanovic, 1967 ; Dement et Wolpert, 1958 ; Hobson et Stickgold, 1995.
(2) A l’exception de Jean-Pol Tassin qui l’a récemment tirée des oubliettes. Mais on peut lire dans les cours du Pr. Antonio Zadra : «Alfred Maury, responsable des croyances populaires voulant que les rêves ne durent qu’une seconde et qu’ils soient le résultat d'une stimulation externe».


Illustration : Justitia, Victor Hugo

mercredi, mai 17, 2006

Rhinolophe


Une copine vient de m'envoyer deux photos d'une chauve-souris. Elle est en train de faire dodo dans la cave d'une maisonnette en Ariège . Cette bestiole est un rhinolophe mais, sans savoir sa taille, on ne peut pas en dire beaucoup plus. J’ai déjà vu des Petits Rhinolophes : en position repliée quand ils dorment, ils ne sont pas plus gros que le pouce.

Comme toutes les petites chauves-souris, le rhinolophe se dirige essentiellement par écholocation. Il émet des ultrasons qui se réfléchissent sur les obstacles et capte l’écho produit l’écho en retour. La particularité des rhinolophes est que l'émission du son se fait par le nez et non par la bouche. D'où son pif bizarre - et à franchement parler pas très joli - en forme de fer à cheval : constitué de feuillets, il lui permet d'orienter, d'amplifier ou de focaliser le son par des contractions musculaires, comme une parabole à géométrie variable.

On remarquera aussi la facilité avec laquelle il s'accroche au plafond !

Note : on peut cliquer sur la photo pour l'agrandir.

A écouter : j'ai été très surpris de la qualité de la version de Cali de la chanson "For No One" des Beatles, créée à l'aide du logiciel gratuit "Audacity". Pour ceux ou celles que ça intéresserait, je vous conseille de jeter une oreille sur ses pages du 10 et 14 Mai 2006.

mardi, mai 16, 2006

Commentaire et précisions

Lds me demande de développer une de mes remarques concernant le billet précédent : "C'est exactement la même idée qui supporte les articles sur les Aztèques et les Babyloniens : toute organisation sociale est fondée sur une paranoïa dont l'idée pivot est la peur de la mort". Je me proposais d'expliquer tout cela dans les textes à venir, mais je me rends compte qu'ils ne sont pas pour demain. Je peine à présenter mes points de vue. Plutôt que de lui répondre par un commentaire, je préfère exposer ici, de manière visible, l'idée directrice de mes articles sur ces deux civilisations.

Ces peuples craignaient, un peu comme Astérix, que le ciel ne leur tombe sur la tête : les Aztèques étaient persuadés que le soleil risquait de ne pas se lever, les Babyloniens que leurs dieux malicieux passaient leur temps à faire des niches de très mauvais goût. D'autre part, ces civilisations, comme toutes les autres d'ailleurs, se croyaient supérieures et s'attribuaient un statut privilégié dans leur cosmologie. Cette mégalomanie, cette interprétation de la réalité, ce délire de persécution sont les symptômes de la paranoïa.

La majeure partie de l'activité de ces sociétés tournait autour de ce délire. Ainsi, l'organisation hiérarchique, religieuse, la nécessité d'expansion de l'empire Aztèque, à travers des "guerres fleuries" visant à faire des prisonniers pour les sacrifices, la structure sociale et militaire, avec un statut privilégié pour les sacrifiés potentiels, l'art, l'urbanisme, la conception architecturale découlent de leur interprétation paranoïaque des choses.

La paranoïa est raisonnable. Elle s'instaure autour d'une idée pivot qui structure le délire systématisé. Dans le cas de ces deux civilisations, le fantasme est celui de la fin du monde. Comme je le disais plus bas, cette terreur est aussi la nôtre et il ne serait pas étonnant qu'une prochaine guerre ait pour motif l'écologie car c'est le point qui préoccupe ; il paraît fondamental. Or la notion de "fin du monde" n'est qu'une projection à l'échelle collective de l'angoisse individuelle de la mort.

C'est pourquoi je me suis permis de dire que "toute organisation sociale est fondée sur une paranoïa dont l'idée pivot est la peur de la mort".

jeudi, mai 11, 2006

La fin du monde est proche !

Le prophète Philippus, L'Etoile MystérieuseSi l'on considère que la mémoire de l'humanité se résout en celles des individus qui la composent, assurément elle ne dépasse pas les dix ans. Dans ces conditions d'amnésie générale, l'instauration d'un nouveau pouvoir totalitaire, l'explosion d'une autre guerre mondiale, l'horreur d'un prochain génocide, non seulement sont inévitables, mais encore seront accueillies avec joie.

Souvent, quand je rends visite à mes parents, j'apprends les dernières nouvelles de la fin du monde. Effet de serre, astéroïdes, ères glaciaires, supervolcans : la tendance est à l'écologie ; et bien sûr l'intérêt subit porté ces précédentes années aux dinosaures et leur extinction n'est que la projection de cette terreur - la fin de l'espèce humaine.

Cela m'a fait songer à la peur qui fondait l'immense et industrieux empire des Aztèques ; et il m'est soudain venu à l'esprit que, depuis tout petit, je n'avais jamais cessé d'entendre prophétiser que la fin du monde était proche... A partir des années 90, on envisagea une catastrophe naturelle à l'échelle planétaire. Mais antérieurement, avant la chute du mur de Berlin, les affres d'une guerre nucléaire régnaient depuis quarante ans : on s'inquiétait de savoir qui des Etats-Unis ou de l'URSS mettrait le feu aux poudres ; on s'alarmait de ce qu'à tel sommet, les chefs d'état n'étaient pas parvenu à s'entendre ; on s'affolait car un sous-marin russe avait été détecté près des côtes américaines ; on s'effrayait d'une nouvelle rangée de missiles implantée aux frontières de la RDA ; et d'autres calamités qui présumaient d'un imminent désastre...

Or, bien que le danger d'une seconde guerre nucléaire soit loin d'être écarté, cet épouvantail n'est plus à la mode. On ne s'en soucie plus. Plus extraordinaire encore, lorsque j'évoquais cette période de psychose à mes parents, ils ne s'en souvenaient pas. Je leur demandai pourquoi Kubrick avait réalisé Docteur Folamour ? Pourquoi les punks hurlaient "No future" ? Ma foi, ils n'en savaient rien. J'étais idiot, j'avais tendance à tout exagérer, nul n'avait jamais éprouvé de tels sentiments. Par contre, l'effet de serre avait vraiment de quoi préoccuper...

En bref, à l'exception de quelques rares individus dont c'est justement le boulot de classer les archives, "nous avons maintenant oublié ce climat de malaise. [...] Le spectre de l’atomisation du monde, comme on disait alors, a étrangement disparu en quelques mois" (Médiévizmes).

Une épouvante en chasse une autre. En revanche, il demeure un dénominateur commun, c'est que, tout le temps, tout le monde, sans jamais oser s'avouer pourquoi, se chie dans le froc.

dimanche, mai 07, 2006

Persistance de la mémoire

Persistance de la mémoire, Salvador Dali, 1931Si l'on me demandait quel phénomène de la conscience je trouve le plus bizarre, le plus intrigant, le plus mystérieux, sans hésitation je répondrais : la mémoire. Elle est une évidence à tout le monde ; on la suppose retranscrire fidèlement les événements révolus et nul ne doute qu'elle accomplisse avec zèle son labeur honnête de mineur des galeries obscures du passé. Aussi n'y aurait-t-il pas, à première vue, grand'chose à dire à son propos.

De fait, sa nature me semble un paradoxe. Comme je le suggérais plus bas, je ne pense pas qu'elle soit localisée en un endroit précis du cerveau : je crois plutôt que le cerveau entier la constitue. Un réseau neuronal est à la fois un système de résolution de problèmes et une mémoire, comme permettent de le constater les outils de reconnaissance de formes. Toutefois j'estime impossible - mais c'est juste une impression - que même un milliard de neurones soit capable d'encoder tous les détails que nos souvenirs paraissent contenir.

Un réseau neuronal ne se comporte pas comme un système expert qui conserverait la trace individuelle de chaque difficulté rencontrée et de son remède. Il a pour principe de fournir une solution satisfaisante et globale, en mêlant différentes informations de façon à tracer une fonction qui les approxime. Ainsi deux problèmes similaires trouveront leur réponse par analogie. Cette vision molle est en même temps sa représentation et son souvenir du monde et il me semble douteux qu'un tel à-peu-près puisse restituer avec rigueur, à la manière d'un enregistrement vidéo, les instants du passé. Or comme on peut le voir dans l'article "Complément de réalité", notre cerveau ajoute de la forme et du sens aux images, bien au delà de ce qui lui est demandé. Dans cet exemple, il applique aux visages, une fois ceux-ci reconnus comme tels, un traitement qui nous permet de distinguer des détails pourtant absents.

Je soupçonne le même expédient d'affecter la mémoire. Elle crée instantanément du détail. La chose fabuleuse, c'est notre confiance totale en cet outil comme en la nature archivable du temps et des événements, de sorte qu'il ne nous vient pas à l'esprit de mettre en doute ce mécanisme.

En outre, la mémoire est indissociable du sens et de la relation sociale. La répétition, par la sollicitation de notre entourage, d'un souvenir va le renforcer au détriment de ceux devenus inutiles. L'histoire d'un individu reflète la signification qu'il prête à sa personnalité et à sa vie présente. S'il se dévalorise, son passé se teintera de noir ; à l'inverse, les winners ont tous leurs success stories.

jeudi, mai 04, 2006

Faux sceptiques

Un des traits les plus drolatiques du faux scepticisme est son inépuisable capacité à fournir des explications "rationnelles" plus irrationnelles et plus incohérentes encore que les superstitions qu'il prétend combattre. Je me rappelle quelques objections au témoignage de personnes affirmant avoir observé ensemble des bonnes vierges ou des petits hommes verts : il s'agirait d'un phénomène d'hallucination collective. Par malheur, je doute que la psychiatrie ait jamais recensé de délire connu sous ce nom. En tous cas, il n'est pas mentionné dans le DSM-IV. Idem, si certaines prédictions se réalisent, ce serait parce que le consultant a été influencé inconsciemment. Il faut d'abord remarquer que les mêmes sceptiques pourront s'opposer ailleurs à la notion d'inconscient qu'ils utilisent ici ; ensuite, cette opinion n'est qu'une variante de la superstition païenne confondant prédire un événement et jeter un sort. En bref, tout ce qui semble dévier tant soit peu de la convention la plus banale est rejeté sans analyse, "expliqué" par des arguments de comptoir ou classé dans le vaste dossier des "illusions cognitives encore inconnues".

Je n'ai pas le souvenir que le faux scepticisme se soit montré productif d'aucune manière dans le domaine scientifique. Cela n'a rien pour surprendre. La plupart du temps ses tenants n'en ont pas les compétences ou bien ne s'intéressent pas réellement aux disciplines sur lesquelles ils autoproclament leur autorité. Par contre, c'est en cherchant à dénombrer les démons que Neper inventa le logarithme ; c'est pour améliorer ses prédictions astrologiques que Kepler découvrit l'ellipticité des orbites des planètes et les lois qui régissent leur mouvement ; c'est pour photographier les fantômes que Crookes inventa le tube cathodique. La passion est créatrice. La répulsion n'a jamais engendré quoi que ce soit.

mardi, mai 02, 2006

Difficultés du français moderne

Mon excellente amie Lolotte, dont le génie critique ne saura jamais assez être surestimé, se gausse vivement de l'usage, fautif selon elle, de malgré que dans mon article précédent. Après vérification, je maintiens ce que je lui affirmai déjà lors de notre dernière rencontre : malgré que était d'usage courant dans le Français classique (XVIIe siècle) et continue d'être utilisé. Certes il fait partie du registre soutenu mais c'était justement le propos de ce billet au style pédant et affecté.

Encore qu'il soit contesté par le Littré à la fin du XIXème et qu'aujourd'hui l'Académie Française déconseille son emploi, les deux meilleurs grammairiens actuels, Maurice Grevisse ("Le Bon Usage") et Joseph Hanse ("Nouveau Dictionnaire des Difficultés du Français moderne") le justifient par maints exemples tirés des plus fameux auteurs passés ou contemporains. En outre, Joseph Hanse relève simplement que « malgré que, loc. conj., condamné avec obstination par les puristes, est incontestablement correct au sens de bien que et est suivi du subjonctif. »

Je ne peux résister au plaisir de retranscrire quelques unes des citations glanées ça et là. Certains de ces écrivains sont prix Nobel de littérature et académiciens !

Malgré que je fusse mal satisfait de mon arrestation, il y mit de la courtoisie (Vigny).
Malgré qu'il n'entrât guère en ma chambre, j'entendais souvent, la nuit, un bruit furtif qui venait jusqu'à ma porte (Maupassant).
Malgré qu'on fût au déclin de la saison... (Alphonse Daudet).
Malgré qu'une partie de moi-même résistât... (Maurice Barrés).
Malgré que je ne le puisse imaginer... (Anatole France).
Malgré qu'il eût vingt ans de plus que moi... (Gide).
Malgré que me le conseillât la prudence... (Gide).

Malgré qu'il ait obtenu tous les prix de sa classe... (Mauriac).
Malgré que le soir fût d'une tiédeur extrême... (Mauriac).
Justin, malgré qu'il fût peu physionomiste, demeura frappé par la ressemblance qu'accusait son visage avec celui de M. Rasselène (Marcel Aymé).

Elle vit Jacques d'un mauvais oeil, malgré que de son côté elle trompât Lazare avec un peintre... (Cocteau).
Malgré que le soir tombe... (Jules Romains).
La camionnette, malgré qu'on eût chaîné les pneus, ne se risque plus guère à franchir les rampes glacées (Gracq).

Enfin, la perle ! Une citation d'un des auteurs préférés de Lolotte, Marcel Proust :

Jamais Noé ne put si bien voir le monde que de l'arche, malgré qu'elle fût close et qu'il fît nuit sur la terre.

Une fois de plus, je recommande donc chaudement à Lolotte, plutôt que de critiquer Proust, d'ouvrir son propre blog : là, elle pourra exprimer son talent littéraire ; là, elle pourra exercer utilement ses activités de puriste et contribuer efficacement à l'amélioration de la Langue Française Moderne.