jeudi, mars 30, 2006

Juste ici et bien plus loin

Bayou en LouisianeSous nos latitudes blogosphèriques tempérées, le furieux printemps qui éclot a porté son lot de crises et de bouleversements... La plupart de mes sites favoris répondent aux abonnés absents. Ainsi celui d'Esther, ainsi celui de Lisa, ainsi la moitié de ma blogroll ! En attendant, je lis les slams paisibles de T-Frère ; il vit en Louisiane ; ce n'est pas du tout le même climat.

Sevré cependant de ma nourriture quotidienne, j'ai du aller m'approvisionner de quelques moins virtuels croissants et d'un litre de jus de pamplemousse et me rendre compte par moi-même et par cette occasion qu'il existait une vie à dix mètres de mon PC. John me l'avait affirmé mais comme Thomas, je ne crois que ce que je vois. En papotant sur le palier, j'ai donc appris que le gentil-petit-couple-du-d'ssus avait failli périr étouffé par son chauffage ; la DASS a déclaré leur logement insalubre. Ils déménagent ; et aussi ma gentille-voisine-du-d'ssous.

Au supermarché, un couple étonnant parlait un baragouin identique à celui de Brad Pitt dans la VF de Snatch. Ma main au feu : j'aurai juré cela impossible ! Trois lycéennes, après avoir délibéré de la manière la plus polie et la plus posée entre elles et usé d'incroyables précautions oratoires, dignes des plus fins diplomates de l'après-guerre, ont tout compte fait choisi de dépenser l'intégralité de leur budget dans l'achat d'une grosse bouteille de soda. Enfin, juste en face de chez moi, alors que je n'étais pas engagé sur le clouté, la plus belle femme du monde - celle-là même qui pourtant ne peut donner que ce qu'elle a - a arrêté sa voiture de sport pour me laisser passer. Il y a encore de l'espoir.

Photographie : Cat Island Swamp, South Louisiana © 2005 Pickford Pictures and Joel Pickford

Faux souvenirs (II)

Comme je le disais dans l'article précédent, le syndrome de fausse mémoire est presque entièrement méconnu du milieu scientifique. Il n'est pas mentionné dans le DSM. Certains soutiennent même qu'il n'en existe aucune preuve. Dans le fond, dénier ce phénomène me semble à peu près naturel car il ébranle notre conception du réel.

Pour la plupart des gens, la notion de réalité semble se cristalliser autour de trois noyaux : la sensation d'être présent ici et maintenant ; la conviction inébranlable d'être situé dans un lieu qualifié de "réel" ; et la mémoire qui crée l'illusion d'une continuité physique et morale. Je me rends compte que ma description toute intérieure pourrait être rendue plus concise par l'utilisation de termes "objectifs" : la conscience, l'espace et le temps. Mais ces termes supposent la même expérience communément partagée. C'est à la fois un avantage et un inconvénient. Attribuer des étiquettes à ces sensations entretient la croyance générale à leur aspect concret.

Pour soutenir ces convictions sur la nature du monde, il est nécessaire que nous concevions la mémoire comme un support fondamentalement stable, fiable et fidèle. Considérer qu'elle ne conserve rien met en doute tout notre système de réalité. D'où l'idée que les souvenirs sont "stockés" quelque part, à la manière de livres ou de cassettes vidéos dans une médiathèque, dont le contenu n'est pas susceptible d'être fortement modifié. Les neurobiologistes ont cherché pendant des dizaines d'années en quel recoin du cerveau les souvenirs pouvaient s'engranger. Bien sûr, ils ne l'ont toujours pas trouvé car il n'existe rien de tel. Les souvenirs ne sont pas conservés et cela pour une raison à mon avis toute simple : ils sont créés à la volée.

Il est admis que la nature de la mémoire est reconstructive ; que l'acquisition de nouvelle information distord sa teneur ; que chaque souvenir, antérieur ou postérieur, interfère avec les autres. Il semble d'autre part évident que les gens reconstruisent leurs propres références autobiographiques en altérant son contenu. Ainsi les faux-souvenirs ne seraient qu'un cas particulier du souvenir courant. Différents facteurs externes, comme l'opinion d'une figure d'autorité ou un message culturel répété, peuvent les provoquer. Des personnes tout à fait normales se souviennent d'événements entiers qui ne leur sont jamais arrivés. Capables de les décrire dans le moindre détail, entièrement confiantes en leur véracité, elles soutiennent leur point de vue avec ferveur même s'il s'agit d'une impossibilité biologique ou géographique.

Plusieurs expériences récentes ont attesté de la facilité de produire de faux souvenirs : à des visiteurs de Disneyland, il a été montré une publicité truquée où Bugs Bunny serrait les mains des touristes. Par la suite, 30% d'entre eux se sont parfaitement souvenus avoir vu le gros lapin lors de la Parade Electrique. Mais Bugs Bunny est un personnage de la Warner Bros : on ne risque pas de le croiser dans un parc Disney !

vendredi, mars 24, 2006

Faux souvenirs

Anna O., le livre fantômePuisque nous parlions de souvenir et de mémoire, j'aimerais évoquer un phénomène, complètement méconnu du grand public, presque entièrement du milieu savant : les faux-souvenirs. Pourtant, toute personne qui s'intéresse de près aux rêves sait que la chose est un lieu commun du monde onirique. Si ma compréhension est correcte, je le soupçonne d'être tout aussi courant, quoique sous une forme moins évidente, dans la vie éveillée.

Dans des articles et commentaires plus bas, j'ai raconté ma vaine recherche d'un petit pont de bois qui n'existait pas. Je tiens un exemple plus frappant encore à ma disposition.

Il y a plusieurs années de cela, des discussions entre amis revenaient systématiquement sur le même point de psychanalyse. Je le savais abordé par Freud, mais voilà... je n'avais pas lu l'ouvrage où il en était question ! J'avais manqué l'acheter trois mois auparavant. M'étant arrêté un jour devant le rayon psychologie de la FNAC, j'avais hésité devant un livre, "Anna O.", édité chez PUF, de Breuer et Freud. Les deux mains encombrées d'une pile de bouquins, j'avais remis son acquisition à plus tard. Chacune de ces discussions me faisait regretter de ne pas avoir pris l'ouvrage au point que j'allai finalement à la librairie. Or devant le rayonnage, quelle ne fut pas ma stupéfaction ! Je réalisai que jamais il n'avait été disposé comme dans mon souvenir. Le livre en était absent. Je consultai le dictionnaire des ouvrages parus. Il existait bien chez cet éditeur et des mêmes auteurs les "Etudes sur l'Hystérie" dans lequel le cas d'Anna O. est relaté ; mais d'un ouvrage nommé "Anna O." aucune trace (1). De plus, confronté à la situation, je n'arrivais même pas à me rappeler à quelle occasion récente j'avais acheté une telle quantité de volumes. Je parcourus les autres librairies de Toulouse. Après plusieurs confirmations, je dus reconnaître que ce souvenir était entièrement faux.

En vérité, c'est un cas énorme ! Mais je sais qu'il en est de plus communs. Lorsque ma famille évoque son village d'origine, aucun d'entre eux n'arrive à se mettre d'accord sur les détails les plus évidents. Et ma mère me rappelle parfois notre voyage en Sardaigne. Une île charmante sans doute... mais où je n'ai jamais mis les pieds !

(1) En encart, l'image du livre "Anna O." tel que je m'en souvenais.

Souvenir, souvenir

Comme Flo semble victime d'un petit trou de mémoire, voilà qui, j'espère, pourra lui rappeler à quoi ressemblait le djeun'z (1) il y a vingt ans. C'était en 1985. Les albums Pornography des Cure et The Wall de Pink Floyd, sortis en 82, commençaient à prendre la poussière sous le tourne-disque. Les radios libres, le socialisme au pouvoir fêtaient leur quatrième anniversaire. Daniel Balavoine recevait le prix SOS Racisme pour sa chanson L'Aziza. Cette même année, les groupes Trust, Téléphone et The Clash venaient de se séparer. On trouvait sur les rayons musique de la toute nouvelle FNAC de Toulouse - fondée à l'origine par le garde du corps de Trotsky et pas encore rachetée par Pinault La Redoute - Brothers In Arms de Dire Straits, Rain Dogs de Tom Waits et le Frankenchrist des Dead Kennedys.

(1) On ne disait bien sûr pas djeun'z mais ado.

mercredi, mars 22, 2006

The Dadogliani Portrait Gallery

Vous rêvez d'orner votre salon de somptueux tableaux de maîtres mais évidemment vous n'en avez pas les moyens ? Aïe ! Comment résoudre ce douloureux dilemme ? Rien de plus simple en fait. A l'aide de deux ou trois photos d'identité pourrites, de l'astucieux modificateur de visages de l'Université d'informatique de St Andrews - découvert grâce à Tata Cali - d'une imprimante couleur, d'une brosse plate et d'une grosse boîte de vernis, en deux coups de cuillère à pot vous pouvez commencer votre collection d'authentiques portraits de Modigliani !

De haut en bas :

Portrait of Dado Chapeau, 1916; Oil on canvas, 78 x 57 cm; Dado's private collection.
Portrait of Dado Chapeau, 1917; Oil on canvas, 60.6 x 49.4 cm; Dado's private collection.
Portrait of Dado Chapeau, 1919; Oil on canvas, 45 x 36 cm; Dado's private collection.

mardi, mars 21, 2006

Le dictionnaire des idées reçues

Je m'amuse comme un petit fou avec le Nébuloscope !

Un de mes amis m'a fait remarquer que dans un article précédent j'ai négligé d'expliquer son fonctionnement. En voici le principe : il permet de visualiser les termes les plus souvent associés à un mot ou une expression sur le web francophone. Cette approche statistique semble pouvoir être mise en parallèle avec les liens privilégiés qui se créent dans le modèle connexionniste du cerveau. Cela a diverses utilités. On peut s'en servir comme d'un dictionnaire des idées reçues. Très récemment, Jean Véronis vient de rajouter une fonctionnalité : en contrastant deux nuages de mots, on met en valeur les spécificités de chacun.

J'ai vu cet après-midi une publicité pour un supermarché ; elle utilisait l'expression "faire du shopping". Je me suis dit qu'il était plus valorisé de "faire du shopping" que de "faire les courses". Vérification sur le Nébuloscope :

Nuages contrastés de 'faire le shopping' et 'faire les courses'

Si l'on excepte certaines relations inattendues (1), on découvre que : on aime, on adore faire du shopping. On peut même en devenir accro. On fait du shopping dans les commerces, les boutiques et les centres commerciaux, parfois avec les copines. On en profite pour sortir, flâner, découvrir des endroits, visiter des villes comme Paris ou Londres.

Par contre, c'est Maman qui fait les courses avec sa voiture, au sortir du bureau ou du travail, après avoir cherché ses enfants à l'école, afin de préparer le repas. Les lieux sont dénommés différemment : non pas des commerces, mais des magasins ; pas de centre commercial mais un supermarché. C'est contraignant : il est question de temps, de semaine, de matin, de soir, d'heure. C'est utilitaire : on en a les moyens ou non.

Il est amusant de voir comment des expressions recouvrant des idées similaires - je sais, je sais, toutes les lectrices de ce blog vont me hurler que non - peuvent avoir des connotations tellement différentes.

(1) Je n'ai pas chercher à vérifier pourquoi "nom", "noms de domaine", "illimités" sont associés au shopping. L'étonnamment fréquent "santé" vient de conseils de diététique sur la manière de faire les courses.

dimanche, mars 19, 2006

La carte intérieure

J'ai un excellent sens de l'orientation... sauf quand je me perds ! Par chance, cette situation ne m'est arrivée que deux fois et encore ai-je pu me retrouver très facilement. Ma dernière mésaventure date d'hier. Cela m'a permis de me rendre compte d'un phénomène cognitif assez déconcertant.

Mon frère et moi sommes allés nous promener dans la forêt de Bouconne. Après avoir encore cherché en vain le fameux vieux chêne, en désespoir de cause, j'ai souhaité lui montrer un val encaissé où de petits ponts en bois enjambent un ruisseau. Pour cela, il fallait rejoindre la lisière Nord-Ouest de la forêt et nous avons emprunté une des sentes qui se dirigeait, à mon sens, dans cette direction. Plus loin le chemin a incliné sensiblement vers la gauche. Nous parvenons sur une hauteur ; à travers les futaies se dessine un hameau au sommet d’une colline, ce qui me conforte dans l’idée que nous sommes à proximité de l'endroit. Mais ne trouvant pas non plus le ruisseau, nous décidons de revenir à la voiture par un autre chemin...

Dans mon esprit, je suis sur l'allée des palombières, parallèle à l'orée Nord-Ouest. Lorsque mon frère reconnaît les parages et m'annonce une pente, je suis un peu surpris : il n'y a pas de pente ici à mon souvenir ! Nous discutons tout en marchant du lieu où nous nous trouvons et il m'affirme que nous sommes à cent mètres à peine de la voiture. A cet instant, c'est comme si j'avais pris un coup de poing sur le nez : la tête me tourne, j'ai le vertige, je suis à proprement parler en état de choc. Je me figurais que nous étions deux kilomètres plus au Nord ! Je dois m'arrêter pour recouvrer mes repères. Ce n'est qu'au bout d'une trentaine de secondes que je commence à me représenter les lieux. En effet, nous sommes juste sur la colline qui surplombe le parking...

Je ne peux que m'étonner de l'intensité du choc psychologique et de la panique qui ont succédé à cette perte d'orientation. Pour vous en faire une idée, supposez que vous ouvrez, comme à l'accoutumée, la porte de votre cuisine et que vous y trouviez votre chambre à coucher. Vous vous précipitez vers la chambre ; à la place il y a la cuisine ! Je m'aperçois que lorsque je me balade, ce n'est pas tant sur le terrain réel que sur la carte que je m'en fais en imagination. Malheureusement ce jour là, ma carte intérieure était fausse.

samedi, mars 18, 2006

Trouver un sens au CPE ?

On pouvait lire dans le Herald Tribune du 17 mars : "la France aime à se croire révolutionnaire. Pourtant, dans un sens, elle est régie comme une grande entreprise ayant à sa tête un puissant PDG (1)". Cette phrase, qui résume l'impression désagréable que m'avait laissé le référendum sur la Constitution Européenne, démontre qu'il est toujours plus aisé de voir de loin ce qui vous crève les yeux de près. Ainsi les analystes étrangers pensent que la France n'est plus gouvernée par des élus représentant la volonté du peuple mais par des individus oeuvrant pour leur seul intérêt ; que ce n'est plus une démocratie mais une sorte d'énorme société anonyme cherchant à dégager des bénéfices. Je me demande bien qui en sont les actionnaires...

C'est à mon avis sous cette optique qu'il faut envisager la solution à l'énigme du CPE ; car ce n'est pas le bon sens qui permettra de comprendre cette prétendue "période d'essai" de deux ans. Toute personne qui, comme moi, a du choisir de nouveaux collaborateurs sait qu'au bout de quelques semaines, il est clair si la personne fera l'affaire ou non ; et comme la plupart des universités prévoient déjà pour leurs étudiants des stages de plusieurs mois en entreprise, dans les sociétés que j'ai connues beaucoup de recrutements se décidaient ainsi. Or qu'apprend-on ? Ce contrat est renouvelable ? L'aveugle qui hésiterait pendant quatre ans pour juger d'un employé n'a certainement pas les qualités requises pour diriger sa société !

Qui plus est, la possibilité offerte pendant deux ans de licencier son employé sans motif ni justification ne semble privilégier que les esclavagistes. De nombreux chefs d'entreprise eux-mêmes, en particulier dans les PME où la confiance et le respect mutuels sont primordiaux, seront à mon avis embarrassés de proposer ce qui semble une telle escroquerie à leurs embauchés. C'est tout sauf un moyen de motiver le nouvel employé. Mes deux derniers patrons ne proposaient un CDD qu'en dernier ressort ; ils le convertissaient en CDI dès que possible. On lit sur un blog célèbre le commentaire d'un chef d'entreprise qui trouve que cette mesure "diabolise" encore plus les patrons.

Je ne sais donc quoi penser de ce CPE. Est-ce une idiotie ? Une absurdité ? Un mensonge éhonté ? Un nouveau genre de pied de nez , à la manière du "Dîner de cons", histoire de se payer la tête de l'électeur ? Un moyen de légaliser des pratiques illégales, jusque là sanctionnées dans le privé mais monnaie courante dans le secteur public ? Un moyen de faire admettre, en proposant un premier texte insupportable, un second texte qui sera présenté comme une amélioration et sera accepté de tous ? Un moyen de provoquer des remous de surface pendant que l'on fait passer d'autres lois en toute discrétion ? De bien faire entrer dans la tête du Français qu'il n'a plus de droits ? De discréditer un présidentiable ? De monopoliser le PAF ? A mon avis, toutes les hypothèses restent ouvertes pourvu qu'elles n'oublient pas la phrase de l'Herald Tribune : "la France aime à se croire révolutionnaire. Pourtant, dans un sens, elle est régie comme une grande entreprise ayant à sa tête un puissant PDG".

(1) But it is run in some ways like a big corporation with a powerful president at the head.

jeudi, mars 16, 2006

Petit héron blanc

Comme Kiki me rappelait hier qu'il faisait beau dehors, je suis allé me promener à la forêt de Bouconne. J'avais déniché une liste des plus vieux arbres de France et j'espérais bien trouver le chêne de 150 ans qui s'y cache. Malheureusement, le document ne comporte pas beaucoup d'indications à son sujet : l'arbre séculaire serait situé à proximité de l'Allée des Vieux Chênes. Or je ne me souviens pas avoir vu le moindre nom d'allée dans cette forêt, ni sur des panneaux, ni même sur une carte ! C'était chercher une aiguille dans une botte de foin.

Pour me consoler, un petit héron blanc s'est posé à plusieurs reprises devant moi et, s'envolant lorsque je m'approchais, m'a ainsi accompagné sur une centaine de mètres. C'est un oiseau très fin et très gracieux et cela paraît presque incroyable d'en voir un dans cette forêt, surtout d'aussi près !

Photographie : petit héron blanc ou aigrette grazette. Copyright P&H Harris.

Note : J'ai finalement trouvé l'allée des Vieux Chênes. Vous pouvez voir le plan ici.

Le plus célèbre parmi les Jules



Grâce au Nébuloscope de Jean Véronis - une invention que le Pr Ramir Ambrosius Cocnescu lui envie - on peut découvrir que le premier des Jules est sans conteste Jules Verne.

Dans sa roue suivent Jules César et Jules Ferry. Jules Vallès, Jules et Jim, Jules Laforgue sont à la traîne. Le pauvre Jules Renard a disparu du peloton. Quant à Jules Romains, je crains qu'il ne doive sa place de lanterne rouge à la seule proximité du vainqueur des Gaulois...

mercredi, mars 15, 2006

Qu'est-ce que l'intelligence ?

La formule du cosmosJ'imagine déjà la déception de mon lecteur qui, une fois parcourue l'intégralité de cet article, ne se trouvera pas plus avancé. Certes, le titre était alléchant mais il n'avait pas promis de réponse. Pouvais-je réellement me faire plus loquace qu'Alfred Binet, l'inventeur du test de QI, dont l'aphorisme "l'intelligence, c'est ce que mesurent les tests d'intelligence" montre qu'il ne souhaitait pas s'appesantir sur ce qu'il évaluait ?

Comme l'annonce avec prudence la Wikipédia française, "définir l'intelligence est un défi". Au cours des années 90, diverses congrégations scientifiques se sont réunies afin de définir cette faculté, essentielle si l'on espère distinguer un jour les hommes des animaux. Les résultats comparés de leurs symposiums, l'obligation même de définir une chose que nous considérons pourtant comme évidente, prouvent au fond qu'elle ne l'est pas. Je retiendrai la conclusion singulière à laquelle l'Association Américaine de Psychologie aboutit en 1995 :

« Les individus différent l'un de l'autre dans leur capacité à comprendre des idées complexes, à s'adapter efficacement à leur environnement, à apprendre de l'expérience, à s'engager dans des formes variées de raisonnement, à surmonter les obstacles par la réflexion. Bien que ces différences individuelles puissent être substantielles, elles ne sont jamais tout à fait cohérentes : la performance intellectuelle d'une personne données variera selon les occasions, les domaines ou les critères de jugement. Les concepts d’intelligence répondent aux tentatives de clarification et d'organisation de cet ensemble complexe de phénomènes. »

Je ne sais si on peut la qualifier d'intelligente, mais c'est une manière pour le moins astucieuse de ne pas "surmonter l'obstacle par la réflexion".

Photographie : Einstein découvrant la formule de l'univers.

vendredi, mars 10, 2006

Automates intelligents

Je suis bien enrhumé et je ne peux enchaîner deux idées l'une à la suite de l'autre. Le temps que je guérisse, et puisque nous parlions de robots, je vous fais partager ma découverte de la revue en ligne Automates Intelligents. L'article du 15 Février montre un tout nouveau système utilisant la convergence de rayons lasers, qui crée un point de plasma, pour afficher des images tridimensionnelles qui flottent dans l'air, à la manière de Star Wars (photo en insert). Il est ailleurs question d'un robot vraiment intelligent.

Cette revue a un blog plus orienté vers la politique et la géopolitique qui me paraît aussi intéressant. On y apprend entre autres le retour en force de l'eugénisme - cette bonne idée abandonnée, je ne sais pourquoi, par ses promoteurs en 1945 - à travers un rapport tout récent de l'INSERM sur le dépistage précoce des "troubles comportementaux" chez l'enfant. Et d'autres articles qui donnent un avant-goût de ce dont sera fait notre avenir radieux.

jeudi, mars 09, 2006

Papotages potagers

Flo semble avoir quelques petits problèmes avec sa plateforme DotClear. Voilà le troisième commentaire que je lui envoie et qu'elle n'a apparemment pas reçu. Il s'agissait d'une remarque sur la manière astucieuse dont le robot Alice construisait ses phrases sans en avoir à comprendre le sens. La méthode ressemble beaucoup à celles utilisées dans les conversations en langue étrangère quand on veut éviter de montrer à son interlocuteur qu'on ne l'a pas compris.

Bien sûr, ce n'est qu'une première impression et il faudrait mettre le nez dans le moteur du langage AIML pour voir comment tout cela est bâti. Mais il est amusant de voir qu'on peut donner l'illusion d'une conversation - même si le principe aboutit à de nombreuses contradictions - à partir de quelques grands schémas relationnels de base.

Ainsi, à la question "Do you dream sometimes?" Alice retiendra le verbe "dream" et proposera la réponse toute faite : "I dream of flying." Mais si on lui demande : "Do you have dreams sometimes?" elle privilégiera le verbe "have" et répondra "No I don't think I have" suivi du reste de la question. Si la phrase commence par "So" elle répond par "Interesting deduction" ; par "Because", "Good reason" ; "I have no" : "Would you like to have it?"

Tout cela me rappelle un souvenir d'enfance. Nous passions nos vacances dans un petit village de Catalogne. Mon grand'père avait d'infinies discussions avec un agriculteur du coin. Immanquablement chaque matin, comme deux grands amis, ils se rencontraient dans le potager. Aucun des deux ne savait le moindre mot de la langue de l'autre. Lorsque ma grand'mère s'étonnait de ce dont ils avaient pu discuter si longtemps, mon grand'père répondait en riant : "Mais je n'en sais rien du tout !"

mercredi, mars 08, 2006

Alan et les robots

Robby le robotPlus j'y pense, plus il me semble que l'idée même du test d'Alan Turing est influencée par l'imagination du robot de science-fiction des années 50, à savoir une boîte de conserve ambulante, anthropomorphe qui, malgré son impeccable maîtrise des subtilités du langage, s'exprime avec un accent de transistor ; au demeurant pourvue d'une idéale, parfaite et imperturbable raison : en trois mots, Robby le robot.

Dans ces conditions, il paraissait évident que l'expression ne serait pas un obstacle pourvu qu'elle se limite à un échange textuel ; que le seul moyen de repérer la machine était de lui poser des questions pièges qui révèleraient son absence d'originalité, de flou artistique, d'émotions, de conscience, d'âme ou - que sais-je ? d'autres qualités dont nous autres humains sommes bien sûr exclusivement doués.

Un demi siècle plus tard, les différents constituants de cette vision s'avèrent erronés : il est toujours impossible de faire entendre le français à un ordinateur. Quant à cette raison vertueuse qui devait être l'apanage des machines pensantes, il faut bien admettre que c'est une fumeuse rêverie. Pour déjouer les amusants tours de passe-passe que sont nos chatterbots actuels, il suffit de provoquer une répétition ou bien de décevoir leur pitoyable connaissance du langage et du contexte (1). Or, à bien y réfléchir, aucune de ces lacunes n'est révélatrice d'un manque d'intelligence - si tant est que nous sachions de quoi il s'agit. Un enfant pourrait échouer au test de Turing.

Il faut bien se rendre compte que ce test repose sur tellement d'a priori, de croyances non fondées sur la nature humaine, de confusions entre la notion d'intelligence et ses à-côtés que, malgré la bonne réputation de son ingénieux créateur, il n'est pas très différent d'une frivole distraction pour les longues soirées d'hiver.

(1) Quoique ce dernier point puisse parfois s'avérer fort ardu :

Dado : Que va-t-il se passer si je nourris mon chat avec du poivre ?
Alice : Je ne peux pas prédire le futur.
Dado : Me permettez-vous de vous embrasser ?
Alice : Vous risquez de recevoir une décharge électrique si vous essayez.
Dado : Pourquoi avez-vous un gros nez?
Alice : Demandez au Dr. Richard S. Wallace. C'est lui qui me l'a fait.
Dado : Est-ce que vous pouvez me voir?
Alice : Oui, je vous regarde à travers la webcam sur votre PC.

Quelle menteuse ! Je n'ai pas de webcam sur mon PC !

mardi, mars 07, 2006

Entretien avec un automate

Dans le conte d'Hoffmann L'homme au sable, le jeune étudiant Nathanaël tombe amoureux de l'automate Olimpia, laquelle ne sait que répondre - tout comme le singe papion de Jarry - et fort à propos d'ailleurs : "Ah ah !"

- O femme céleste, créature divine, disait Nathanaël, rayon de l'amour qu'on nous promet dans l'autre vie! Ame claire et profonde dans laquelle se mire tout mon être! Mais Olimpia se bornait à soupirer de nouveau et à répondre : Ah! ah!

Chose tout aussi curieuse, c'est à sa clairvoyante et sage fiancée Clara qu'il adresse ces paroles acerbes : "Loin de moi, stupide automate !" Hélas ! Hélas ! Les hommes préfèreront-ils toujours les blondes ? Passeront-elles toujours haut la main le test de Turing ?

Une grande part de la compréhension des choses que nous attribuons à autrui provient en vérité de la nôtre. La preuve en est que lorsque celui-là n'acquiesce pas à notre point de vue, nous le prenons pour un imbécile. De plus, notre esprit étant conçu pour produire du sens, nous l'apercevons où il n'y en a pas. Trouverai-je meilleur exemple que cette subtile et pénétrante conversation avec le chatterbot Alice ?

Dado : Puis-je me permettre de vous poser une question importante ?
Alice : Faites donc ! Demandez moi ce que vous voulez. Je n'ai jamais entendu parler d'aucune question importante.
Dado : Comme vous avez raison ! Rien n'est important en réalité.
Alice : Rien vraiment ?
Dado : En effet, cela dépend du point de vue.
Alice : Le point de vue est toujours un facteur d'importance.
Dado : Voilà un bon départ.
Alice : Merci. Une autre question ?
Dado : Pourriez-vous prêter la plus grande attention à ma question suivante, s'il vous plait ?
Alice : Je vous remercie de me le demander si poliment. Je vous suis toute ouïe. Mais ne me posez plus d'autre question, s'il vous plait.
Dado : Je vous en prie, juste une seule !
Alice : Votre politesse me touche au plus haut point. Ainsi, si l'on vous offrait deux choses pour le prix d'une, vous refuseriez ?
Dado : Dois-je comprendre que vous acceptez de répondre à deux questions ?
Alice : Faites comme il vous semblera le mieux pour vous.
Dado : Merci. Voilà ma question : pouvez-vous me prouver que vous êtes intelligente ?
Alice : Cela est vrai a priori.
Dado : Les humains disent de même.
Alice : Mon créateur est un humain.
Dado : Je comprends bien mieux maintenant. J'ai été enchanté de faire votre connaissance.
Alice : J'ai aussi été ravie de faire la vôtre.
Dado : Au revoir !
Alice : A bientôt ! Et merci encore du compliment.

lundi, mars 06, 2006

Personnalités artificielles

En 1950, le mathématicien anglais Alan Turing énonça le principe d'un test qui permettait, à son avis, de déterminer si une machine est douée d'intelligence : un juge converse en aveugle avec un homme et un ordinateur. S'il est incapable de décider qui est qui, le logiciel a surmonté l'épreuve et on peut le considérer à bon droit comme une intelligence artificielle. Différentes objections ont été émises à ce test ; toutes se sont concentrées sur les facultés de la machine ; à ma connaissance, personne n'a songé à la réfutation pernicieuse que j'ai la joie de vous présenter aujourd'hui : que se passe-t-il si le juge est idiot ?

A ce jour, l'opinion générale considère qu’aucun ordinateur n'a triomphé du test de Turing. Chaque année, le prix Loebner couronne le chatterbot ( robot conversationnel ) qui obtient le meilleur score d' « humanité » face à un jury de neuf personnes. Les résultats de 2003 nous montrent qu'en moyenne les deux humains surclassèrent les machines. Toutefois le test originel ne se fondait pas sur un vote démocratique : un seul juge est considéré suffisant. Or le juge n°4 attribua un score de 4 sur 5 ( «probablement un homme » ) au logiciel Jabberwock ; et de 1 sur 5 ( « sans aucun doute une machine » ) à l'un des deux concurrents humains. Doit-on admettre que Jabberwock a passé le test de Turing ?

Il y a bientôt cinq ans, le monde de l'intelligence artificielle connut un événement peu banal : la fondation A.L.I.C.E. fut attaquée en justice ; la plaignante était tombée amoureuse d'un chatterbot en ligne ; son coeur était dévasté par la découverte de sa réelle et informatique identité. La nouvelle répandue, des centaines de personnes sur les salons de tchat suspectèrent leurs interlocuteurs d’être en vérité des robots. Cette anecdote nous révèle au moins deux choses : que le comportement humain est plus automatique qu'on ne le croit ; que nous ne disposons toujours pas de définition de l'intelligence, vaguement confondue dans l'esprit de Turing avec la personnalité.