lundi, janvier 16, 2006

Folie d'une civilisation



Il n'est pas possible de dépeindre l'émerveillement des conquistadors d'Hernan Cortez quand ils entrèrent dans la capitale aztèque Tenochtitlán, l'actuelle Mexico. La plupart d'entre eux, des routiers aguerris, avaient traversé tous les royaumes d'Europe, admiré les villes italiennes de la Renaissance et conquis la belle et intelligente Grenade.

« Et quand, sur la chaussée rectiligne et à niveau menant à Tenochtitlán, nous vîmes toutes ces cités construits sur l'eau et d'autres grandes cités sur la terre ferme, nous fûmes abasourdis. Entre nous, nous comparions ces tours élevées, ces temples et ces édifices en pierre s'élevant des eaux de la lagune aux visions enchantées des légendes d'Amadis. Quelques-uns se demandaient si tout ce que nous voyions là n’était pas un rêve. »

Selon les dires des conquérants, Venise même ne pouvait se comparer à la splendeur de Tenochtitlán ni à sa parfaite organisation. Mais revenant cinq ans plus tard sur les lieux, le soldat Bernal Diaz del Castillo ne retrouva plus une pierre debout.

« Aujourd’hui, le changement qui s’est opéré est si grand que, si je ne l’avais vu auparavant, je ne saurais croire aujourd’hui que ce fût autrefois tel que je l’avais admiré. Tout ce qu'alors je vis est ruiné et détruit. Plus rien n'en est resté. »

Fasciné par l'érudition de son capitaine Cortez, Bernal Diaz del Castillo apprit à écrire afin de relater les merveilles vues dans sa jeunesse. Son récit, l'Histoire Véridique de la Conquête de la Nouvelle Espagne, montre que la civilisation Aztèque était une des plus brillantes que connaissait le monde en ce début du XVIème siècle. Et pourtant, cet édifice splendide avait pour fondation une véritable horreur.

« Là quelques brasiers fumaient de leur encens, le copal, dans lesquels se consumaient les coeurs de trois Indiens sacrifiés le jour même. Tout le temple ruisselait tellement de sang que les murs et le sol en étaient noirs. L'endroit puait abominablement. A gauche, une autre idole semblable à celle d'Huitzilopochtili était incrustée de pierres précieuses. Ce Tezcatlipoca, dieu de l'enfer qui avait à charge les âmes des Mexicains, était entouré de petits démons aux queues de serpent. Les murs et le plancher de ce temple baignaient dans un sang noirci et la puanteur était pire que celle de tout abattoir d'Espagne. Ils avaient offert à cette idole cinq coeurs des sacrifices de la journée. Au sommet du temple, dans une alcôve de bois finement ciselé se dressait une autre statue, mi-homme mi-lézard. Son corps, incrusté de joyaux, était à moitié couvert d'un manteau. Là aussi, tout baignait de sang, à la fois les murs et l'autel et l'odeur était telle que nous pûmes à peine nous retenir de sortir. »

En effet, le système social des Aztèques reposait sur la croyance qu'ils étaient un peuple élu, chargé de veiller à la marche du Soleil en le nourrissant de sang humain. De là des guerres perpétuelles et sophistiquées, les "guerres fleuries", dont le but n'était pas de tuer l'ennemi mais de le ligoter afin de disposer des dizaines de milliers de prisonniers sacrifiés chaque année. La victime bénéficiait d'un paradis après la mort, au contraire du citoyen commun qui croupissait dans un enfer sinistre. Aussi un fameux général captif, dont les qualités de stratège avaient impressionné l'empereur, rejeta-t-il avec dédain sa proposition de grâce. Personne ne se risquerait à ne pas voir le soleil se lever le matin.

Cette organisation sociale, comparable à celle des fabuleux Shadoks qui pompent pour éviter ce qui ne manquerait d'advenir s'ils s'arrêtaient de pomper, est exemplaire : sa mégalomanie, son délire systématisé, rationnel, auto-justifié sont les symptômes de la paranoïa. La chose qui donne à réfléchir est que les Espagnols horrifiés ne se rendirent pas compte qu'eux-mêmes pratiquaient le sacrifice humain, sous la forme de la Sainte Inquisition.

Image en encart : Tenochtitlán.

Aucun commentaire: