samedi, juin 24, 2006

Matière première de la pensée


Je propose le résumé suivant de l'expérience en deux temps menée dans les derniers articles.

Le cerveau est capable d'une part de filtrer des bruits aléatoires, de sorte qu'il est possible d'avoir l'impression d'entendre une voix dans des parasites. Cette voix est généralement incompréhensible tant que les indices n'ont pas été donnés pour la déchiffrer. A partir du moment où une phrase intelligible est attendue, il est difficile de revenir en arrière et de saisir autre chose. Un phénomène identique se produit dans le domaine visuel : nous avons tendance à imaginer des formes dans un chaos. Dès qu'une apparence se manifeste, il devient difficile, voire impossible, de percevoir un nouvel objet.

Nous observons le même processus à l'oeuvre lors d'hallucinations, qu'elles soient liées à l'état hypnagogique ou au délire.

On sait qu'il existe au moins trois aspects différents de la pensée : la pensée visuelle, se traduisant par des images ; la pensée discursive, à l'origine chaotique mais que la raison ordonne comme des monologues ou des dialogues ; la proprioception, c'est à dire notre imagination du corps, de sa posture et localisation dans l'espace.

Ces différents types de pensée semblent entretenir un rapport avec le chaos primordial des perceptions : les personnes sujettes à la paralysie du sommeil observent souvent de forts bourdonnements et les interprètent parfois en terme de voix intelligibles ; l'imagerie hypnagogique prend pour support les phosphènes, un chaos visuel comparable à celui des parasites d'une télévision ; quant à la proprioception, elle se dégage d'une sensation de fourmillement corporel, équivalent "physique" des parasites visuels ou auditifs. Le rêve suivant illustrera mon propos.

J'étais dans mon lit, après un premier réveil, dans un état brouillé entre la veille et le songe. J'éprouvais un sentiment global qui coïncidait à mon corps, comme s'il était appréhendé de l'intérieur, et ce sentiment associait à la fois des visions de lueurs filamenteuses, verdâtres qui délimitaient un contour à des sensations d'ordre physique. J'entendais aussi un vrombissement léger ; il se transformait constamment en pensées de nature auditive, des séries de mots sans cohérence ni raison. Autant j'avais l'impression d'être proche de ce corps imaginaire, autant je me sentais extérieur à ces pensées qui émergeaient du bruit de fond sans mon intervention. Mais si j'y prêtais attention, j'avais involontairement tendance à les trier, à les organiser en concepts et en phrases intelligibles. Ce bourdonnement était-il la matière première de la pensée ?

Toutefois, je discerne là d'autres mystères. Qui observait le phénomène ? Qui le comprenait et par quel moyen ? Existait-il un autre niveau de pensée auquel je m'identifiais sans m'en rendre compte ? Ou bien quelque chose faisait-il des va-et-vient dans le domaine mental et formulait des jugements ? A quel moment s'est organisée l'expérience ? Sur l'instant ou, après coup, au réveil ? Voilà qui me laisse perplexe et que je ne saurais préciser.

Illustration : Tom Moody et Ray Rapp, TV Static Photos, 2001 © Tom Moody

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Ici, donc, je me demande si tu as lu mes posts sur la pratique de thögal. Puisqu'il s'agit exactement de cela. Défaire cette mauvaise habitue de voir des nains partout, et revenir à ce qui se déploie primordialement dans l'esprit. Non pas du bruit blanc, mais au contraire des choses extrêmement précises et organisées. Voir mon post sur les 3 stades de saisie de la pensée. Sachant que ce je présente comme le stade le moins saisi est encore très saisi par rapport à ce qu'expérimente un maître. C'est donc ainsi que l'on peut définir les différents stades de réalisation (maintenant tu sauras ce que c'est) : de quel degré est-on remonté dans cette désaisie. Et comme tu le vois, il y a du boulot. De plus, tu peux inférer que toute ta perception à chaque instant est faussée par cela.

Anonyme a dit…

Cela me fait penser à l'école de Pythagore...

Dado a dit…

@ Flo : Oui, en effet, je viens de réussir à retrouver cet article sur les trois stades de saisie de la pensée ainsi qu'un autre, là : Stades de saisie de la pensée en images et ça correspond encore plus que j'en avais le souvenir.

Dans le premier article ci-dessus, tu parles de visions kaléidoscopiques qui appartiennent au second stade - celle où la pensée est moyennement saisie. Par contre, les motifs répétitifs colorés seraient de l'ordre du troisième stade (pensée qui commence à s'autolibérer). Quelle différence entre visions kaléidoscopiques et motifs répétitifs colorés ?

Dans un autre article, tu décris les visions kaléïdoscopiques comme succédant souvent au réveil : "en effet, les visions kaléidoscopiques n'apparaissent que dans certaines phases de réveil nocturne, elles ne se manifestent pas en plein jour, il faut donc les guetter pendant la nuit en espérant tomber dessus". J'ai déjà observé quelques fois dans ces conditions des phosphènes super forts, en mouvement, très texturés et très colorés. Est-ce la même chose ?

A une époque aussi, tu parlais de fractales : ça fait partie des "visions kaléidoscopiques" ?

Enfin, il m'a semblé (après coup) que la pensée proprioceptive - dans mon rêve, le fait que je me perçoive un corps avec des sensations physiques et lumineuses - devait être du même ordre de saisie que les autres pensées voire même bien plus, puisque la fausse perception du corps était cohérente et que j'étais identifiée à elle. Qu'en penses-tu ?

@ lds : Ils disaient quoi les pythagoriciens ?

Dado a dit…

Je suis désolé, il n'y a pas moyen de faire apparaître les pages en lien dans une autre fenêtre que celle des commentaires et on ne peut plus revenir en arrière une fois qu'on a cliqué. C'est particulièrement casse-bonbon. :(

Anonyme a dit…

Je ne saurais te répondre dans le détail, je pensais à l'idée d'un ordre supérieur mathématique et géométrique qui présiderait aux phénomènes.

Anonyme a dit…

En fait ce que j'appelais visions kaléidoscopiques, c'était une variété de motifs géométriques répétés, mais je me suis aperçue plus tard qu'ils apparaissent malgré la présence de saisie grossière et qu'ils sont beaucoup plus stables que ceux qui apparaissent par l'état naturel. En fait ils sont produits par un état de conscience particulier qui n'est ni veille ni sommeil. Ce que j'appelais fractales en revanche est plus propre à l'état naturel. Donc pour tes phosphènes je ne sais pas ce que c'est, mais il est possible que ce soit le même genre de trucs car plein de gens en ont.
Pour ton rêve, en fait dès qu'on identifie une forme, il y a saisie, donc tu peux juger par toi-même.
En fait il faut distinguer entre états modifiés de conscience, qui inclut tout un tas de trucs zarbis en présence de saisie, et ce qui provient de l'état naturel, qui peut ressembler beaucoup mais qui s'avapore dès qu'il y a saisie (par exemple dès qu'on les "regarde")

Anonyme a dit…

Au fait je me demandais pourquoi tu ne pratiquais pas, car tu as finalement pas mal des qualités requises : esprit d'analyse et de synthèse, classement et reclassement des données en fontion des nouveaux éléments. Ce n'est pas si commun. En plus tu t'intéresses à l'esprit humain, apparemment, donc je ne vois pas ce qui manque. Ce qu'il faut c'est de la curiosité et de l'observation. Un peu comme pour la science, mais ça s'applique à son propre esprit au lieu de s'appliquer aux objets.

Dado a dit…

Merci Flo pour tes réponses.

Je ne pratique pas parce que je n'ai pas de constance. Par exemple, j'ai laissé tomber la pratique sérieuse du rêve lucide au bout de 9 mois ; idem pour les petits dessins sous Photoshop malgré quelques essais encourageants, etc. Et pourtant ce sont des choses qui me plaisent assez. Or dans tout, il faut être assidu si on veut obtenir un résultat, et encore plus dans ce domaine, il me semble.

Il y a longtemps, j'ai fait un peu de yoga (une fois par semaine pendant un an ; le prof a du partir ensuite). Je n'ai réussi qu'à voir une seule fois des petites pensées se balader dans l'espace mental, et encore la méditation était précédée d'un exercice physique. J'ai essayé plusieurs fois après ça - sans l'exercice en question puisque je ne m'en souvenais plus - et sans résultat non plus.

Même si je me décidais à faire de la méditation en dilettante, je ne connais personne dans mon entourage direct qui puisse me donner des tuyaux pour démarrer ou l'adresse d'un bon prof. Or démarrer la méditation tout seul dans son coin, ça me semble être promis à devenir rapidement n'import'nawak.

Tu m'avais conseillé vipassana. Est-ce que tu as l'adresse d'un site qui décrit cela correctement?

Anonyme a dit…

Bah, même pas, nan... En plus vu ta constitution (que je soupçonne assez voisine de la mienne au vu de tout ce que tu dis), je ne sais pas si ça serait tellement efficace. En fait, il y a des gens qui ont immédiatement un tas d'expériences bizarres, pour ceux là une petite pratique va suffire (à leur donner une impression de résultats), et puis il y en a d'autres qui sont beaucoup plus fermement rationalistes et qui veulent toujours tout vérifier, comme moi, et pour qui il faut des trucs franchement plus balaises.
Cela dit, il faut considérer qu'il est presque impossible de trouver des gens capables de te tuyauter correctement. La plupart des profs de yoga, par exemple, ne connaissent pas grand chose à l'histoire et ne sont que de gentils amateurs. Ce qui se passe, c'est qu'on commence une pratique, sur la base d'un bouquin, etc... et là, des questions viennent, et si on a de la chance, on croise quelqu'un qui peut nous tuyauter. Bon, si tu avais quelques transmissions tibétaines, je pourrais te dire exactement quoi faire, mais sans cela, je ne peux pas prendre ce risque. Il faudrait que tu viennes à la retraite du lopön cet été, y aura 3 potes à moi. Là, tu aurais toutes les transmissions qu'il faudrait... et ensuite tout le soutien nécessaire en cours d'année... non mais sans rire, on est 3 à pratiquer la même chose (+2 qui dérivent un peu), donc on s'aide entre nous. Voilà l'adresse : http://www.yungdrung-bon.net/
On y sera la dernière semaine de juillet. Tu ressortirais de là avec la transmission pour les préliminaires, celle de tumo peut également être obtenue par le biais des trulkors, apparemment, et aussi forcément des transmissions concernant le dzogchen. Après ça, tout est possible.
Vu ton esprit d'analyse, tu es exactement le genre de gars qui nous serait utile... Enfin je veux dire qu'on est comme toi, mais plus on est nombreux à creuser le même trou, plus on découvre de choses.