Lds me demande de développer une de mes remarques concernant le billet précédent : "C'est exactement la même idée qui supporte les articles sur les Aztèques et les Babyloniens : toute organisation sociale est fondée sur une paranoïa dont l'idée pivot est la peur de la mort". Je me proposais d'expliquer tout cela dans les textes à venir, mais je me rends compte qu'ils ne sont pas pour demain. Je peine à présenter mes points de vue. Plutôt que de lui répondre par un commentaire, je préfère exposer ici, de manière visible, l'idée directrice de mes articles sur ces deux civilisations.
Ces peuples craignaient, un peu comme Astérix, que le ciel ne leur tombe sur la tête : les Aztèques étaient persuadés que le soleil risquait de ne pas se lever, les Babyloniens que leurs dieux malicieux passaient leur temps à faire des niches de très mauvais goût. D'autre part, ces civilisations, comme toutes les autres d'ailleurs, se croyaient supérieures et s'attribuaient un statut privilégié dans leur cosmologie. Cette mégalomanie, cette interprétation de la réalité, ce délire de persécution sont les symptômes de la paranoïa.
La majeure partie de l'activité de ces sociétés tournait autour de ce délire. Ainsi, l'organisation hiérarchique, religieuse, la nécessité d'expansion de l'empire Aztèque, à travers des "guerres fleuries" visant à faire des prisonniers pour les sacrifices, la structure sociale et militaire, avec un statut privilégié pour les sacrifiés potentiels, l'art, l'urbanisme, la conception architecturale découlent de leur interprétation paranoïaque des choses.
La paranoïa est raisonnable. Elle s'instaure autour d'une idée pivot qui structure le délire systématisé. Dans le cas de ces deux civilisations, le fantasme est celui de la fin du monde. Comme je le disais plus bas, cette terreur est aussi la nôtre et il ne serait pas étonnant qu'une prochaine guerre ait pour motif l'écologie car c'est le point qui préoccupe ; il paraît fondamental. Or la notion de "fin du monde" n'est qu'une projection à l'échelle collective de l'angoisse individuelle de la mort.
C'est pourquoi je me suis permis de dire que "toute organisation sociale est fondée sur une paranoïa dont l'idée pivot est la peur de la mort".
4 commentaires:
J'ai envie de dire, c'est vrai jusqu'à l'apparition des hébreux et de l'alliance avec YHVH.
Psaume 23 :"Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort,
Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi:
Ta houlette et ton bâton me rassurent."
PS : Une petite remarque, concernant le délire paranoïaque, je pense qu'on ne peut pas dire qu'il est rationnel. Logique, cohérent,... mais pas rationnel.
Jonas 3:9 "Qui sait si Dieu ne se ravisera pas et ne se repentira pas, s'il ne reviendra pas de l'ardeur de sa colère, en sorte que nous ne périssions point ?" :p
On peut faire ainsi d'infinis combats de citations. Mais ça sort du sujet, l'idée étant que les civilisations craignent la fin du monde, peu importe qu'elle vienne d'un dieu, d'un astéroïde ou des méfaits du capitalisme.
>> Une petite remarque, concernant le délire paranoïaque, je pense qu'on ne peut pas dire qu'il est rationnel. Logique, cohérent,... mais pas rationnel.
Là encore, on joue sur les mots. Moi parce que je joue sur le paradoxe "la raison est une forme de la folie" alors que la folie, synonyme de déraison, s'oppose à la raison. Toi parce que tu sépares la notion de logique et de cohérence de la rationnalité. Or je me demande bien ce qu'il peut rester de la raison sans la logique et la cohérence.
Ceci dit, la définition du délire paranoïaque (c-à-d trouble délirant) est assez curieuse. Voilà quelques définitions trouvées sur des sites médicaux :
"La systématisation du délire lui confère un caractère extrêmement cohérent qui, associé à la conviction absolue et inébranlable du patient, peut entraîner l'adhésion de tiers."
"Le trouble délirant est caractérisé par des idées délirantes, c'est-à-dire des convictions erronées qui sont maintenues malgré la présence de preuves évidentes de leur irréalité. [...] Ces convictions sont relativement plausibles (non bizarres) et sont présentes chez une personne dont les idées sont par ailleurs bien organisées et cohérentes. Il faut parfois vérifier auprès de l'entourage de la personne pour constater que son interprétation de la réalité est fausse."
La définition suivante est assez drolatique et montre bien la difficulté à définir le trouble délirant autrement que de manière relative:
"Le délire se caractérise par la construction de données non fondées sur des données du réel et non partagées par le groupe auquel le patient appartient."
Quant à la raison, voilà la définition de l'Académie et du Littré : "faculté de raisonner, d'établir des démonstrations, d'administrer des preuves". Ce qu'un paranoïaque est tout à fait capable de faire, même à l'excès.
Une autre citation, sur le site de Pierre-Henri Castel, chargé de recherche au CNRS, au centre Santé mentale et Société et psychanalyste:
"Mais la folie est plus problématique quand les facultés y sont conservées, sinon exaltées, au service de la poursuite systématique de buts délirants. Ce ne sont plus alors les conventions sociales qu'elle dérange, mais l'intangibilité et l'auto-fondation de la raison. Les exemples canoniques de "folie raisonnante", sans hallucinations, donnés par Sérieux et Capgras, sont Rousseau et Strindberg (tous deux atteints de délire de persécution). Il peut être alors difficile à l'expert de discriminer folie et lucidité parfaite."
Notons que les psychiatres Sérieux et Capgras, qui ont défini au début du siècle le trouble délirant qui porte leur nom, ont intitulé leur ouvrage "Les folies raisonnantes".
Il semble donc que ma phrase : "la paranoïa est raisonnable" peut tout à fait se justifier.
Mon point de vue est que l'organisation sociale des hébreux est plus fondée sur la confiance, la foi que sur la crainte, la peur de la fin. C'est simplement un point de vue, différent du tien.
La paranoïa raisonnable ne me convient pas, mais c'est plus l'accolement de 2 termes antagonistes que la réalité du sujet. On peut dire qu'un sujet paranoïaque est raisonnable, sauf dans le domaine de son délire, de sa paranoïa, où précisemment il n'est plus raisonnable.
Oui, le terme "raisonnable" n'est sans doute pas le "mot juste". Il laisserait même d'ailleurs entendre qu'on puisse faire se rendre un parano à la raison commune, ce qui n'est évidemment pas le cas.
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