samedi, octobre 21, 2006

La loi française dans le purin

Une fois n'est pas coutume, je me ferai l'écho d'une protestation entendue sur de nombreux sites et blogs. J'élargirai toutefois mon commentaire de sorte à analyser une tendance bien curieuse que j'ai cru déceler dans la loi française ces derniers temps.

Depuis le 1er juillet 2006, le décret d'application de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole empêche de fournir des recettes de produits naturels non homologués. Cette loi interdit toute utilisation, toute détention, voire toute recommandation de produits ne bénéficiant pas d'une autorisation de mise sur le marché. L'article vise les produits phytopharmaceutiques, c'est-à-dire les désherbants, les insecticides ou les engrais à base de plantes utilisés par l'agriculture biologique. Voici un extrait de l'article en question :

Art. L. 253-1. − I. - Sont interdites la mise sur le marché, l’utilisation et la détention par l’utilisateur final des produits phytopharmaceutiques s’ils ne bénéficient pas d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation de distribution pour expérimentation délivrée dans les conditions prévues au présent chapitre.

Aussi le seul fait de communiquer publiquement que les feuilles de fougère éloignent les chenilles des choux, que l’eau chaude est un bon désherbant pour les allées peut valoir une condamnation à 2 ans de prison et 75 000 euros d’amende à son auteur. Cependant cette loi a surtout fait parler d'elle pour la prohibition implicite qu'elle imprime sur l'utilisation, on ne peut plus commune parmi nos jardiniers, du purin d'ortie ; et plus récemment, pour l'intervention de l'Inspection Nationale des Enquêtes de Concurrence, de Consommation et de Répression des Fraudes et du Service Régional de la Protection des Végétaux de l'Ain chez Monsieur Eric Petiot, promoteur de techniques agricoles alternatives. L'intervention s'est conclue entre autres par la saisie de ses cours et l'interdiction bien étonnante qui lui fut formulée d'aller cueillir avec ses stagiaires les plantes des alentours.

Immédiatement, je tiens à élever bien haut ma plus vive protestation : certains commentaires qualifient cette situation d'ubuesque. Ils se trompent lourdement. C'est à proprement parler kafkaïen !

Mais bien au delà du problème particulier soulevé par cet article, ce que je trouve surtout invraisemblable car cela me paraît totalement à l'antithèse de l'esprit de nos lois, c'est que depuis quelques années de nouveaux textes sont promulgués : ce ne sont pas des listes de choses à proscrire ; mais au contraire des listes de choses à autoriser ; et tout ce qui ne fait pas l'objet d'une permission spécifique est interdit.

Ainsi dans la même loi nous lisons :

Art. 265 ter. − 1. Sont interdites l’utilisation à la carburation, la vente ou la mise en vente pour la carburation de produits dont l’utilisation et la vente pour cet usage n’ont pas été spécialement autorisées par des arrêtés du ministre chargé du budget et du ministre chargé de l’industrie.

Cette sorte de formulation, par laquelle le législateur interdit ce qui n'est pas autorisé, me semble une complète aberration. Elle s'oppose à la lettre comme à l'esprit des droits de l'homme. Elle est anticonstitutionnelle (1). Il me semble évident qu'à partir du moment où l'inventaire est établi de ce que l'on permet - à l'exclusion donc de toutes les actions possibles et imaginables hors de ce catalogue nécessairement limité - il n'est plus question de la liberté des philosophes, cette fameuse liberté qui s'arrête où commence celle d'autrui (2). Ces nouvelles lois inversent le principe essentiel qui veut que soient ramenées au strict minimum les entraves mises à la liberté. Les philosophes des Lumières souhaitaient un monde où chaque homme soit fondamentalement libre de ses actes - sauf restriction occasionnelle. Par de tels textes, le nouveau législateur fait en sorte que l'interdit soit la règle. Et la liberté l'exception.

(1) "Le Peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme [...] tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789", Préambule de la Constitution Française.
(2) "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui", Déclaration des droits de l'homme de 1789.

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