J'ai parfois l'impression, en m'observant ou les gens autour de moi, que le monde intérieur est absolument vide et que la conscience tente de s'accrocher à je-ne-sais-quoi pour faire de ce vide un plein ; que les êtres humains se persuadent vivre des choses intéressantes et passionnantes, agréables ou affligeantes, qu'ils se convainquent d'être eux dignes d'intérêt et de passion.
C'est un phénomène extérieur à nous-mêmes, en vérité, que la conscience et il semble que sa faculté première soit de produire des images - l'imagination - de les enchaîner comme des perles sur le collier d'une jolie historiette, de lui trouver un sens sublime ou désastreux, de s'en complaire, de s'en réjouir ou de s'en plaindre, d'en tirer une certaine substance et importance, tant à l'objet qu'à soi, qui n'est autre que le sentiment du plein lorsqu'on le compare au vide.
Mais comme dans la fable, la bouteille n'est ni jamais à moitié pleine, ni jamais à moitié vide, celui qui se croit vivre pleinement car sa journée est remplie d'inutile, lorsqu'il pose par hasard son esprit, s'inquiète à juste raison d'un manque qu'il cherche à l'extérieur de lui ; alors que le vide ne se suffit pas car comment expliquer le plein par le vide ? C'est sur le plein que se construisent l'idée d'un sens et la motivation ; et dans le vide il ne se peut construire le moindre château de sable. Comment se sont bâtis les pieds d'argile des colosses que nous admirons autour de nous ?
Idem, pour l'expliquer, la différence entre le rationnel et l'irrationnel est insuffisante ; car si le plus souvent c'est au robinet de la raison que nous voyons l'homme remplir quotidiennement sa bouteille, il est aussi donné de la remplir à la source de l'irrationnel. Il lui suffit pour cela de faire un tri autre qu'à l'accoutumée parmi les phénomènes innombrables qui le stimulent et, alors qu'il privilégie certains d'entre eux, s'organise du monde une nouvelle représentation. Cette représentation peut lui paraître par sa nouveauté plus savoureuse, par son originalité plus digne d'estime, par sa complexité plus sujette à s'enorgueillir ; et ainsi nous constatons souvent que l'aventure irrationnelle s'achève, faute d'avoir fait complètement table rase de la première, dans l'inquiétude et dans l'horreur. Mais même s'il est possible par ce biais d'atteindre à l'extase, dans le fond tout ceci n'est que la répétition artistique du mécanisme qui concourut à créer ce monde-ci, opaque et solide, à partir de phénomènes transparents.
Illustration : Ubik n°38, par Dado.
4 commentaires:
j'ai bu des kils et des kils d'Ubik n°38 avant d'arriver aux mêmes conclusions hallusives ;-)
le nain desjardins (pas moi, l'autre) en dit :" Si nous examinons attentivement ce qui engendre nos blessures et nos souffrances, nous remarquons qu'elles proviennent toutes de notre identification aux évènements et situations auxquels nous sommes confrontés. Ce processus ressemble à un écran de cinéma, blanc et pur, qui s'identifie au film qui est projeté sur lui, au point de perdre sa blancheur immaculée. Dès que les péripéties du film démarrent, il devient le voleur, l'incendie, les chagrins et les plaisirs, les joies et les peines. Et pourtant ! Le feu qui s'embrase ne l'échauffe pas d'un degré, les balles qui crépitent ne le percent pas, les inondations ne le mouillent pas ! Mais le spectateur contemple ces évènements en perdant de vue la nature impassible et tranquille de l'écran, qui ne semble pas concerné par ce flot d'images.
De même, dès que nous quittons l'état bienheureux du sommeil profond, nous nous engageons dans une course effrénée où nous nous identifions à tous nos jeux de rôle, brûlant de passions dévorantes, minés par l'angoisse ou secoués de rires incœrcibles, dansant ou pleurant suivant la pluie ou le beau temps de nos existences : l'écran est bel et bien perdu de vue !"
Allez, je me "lâche", histoire de rigoler, puisque tu le demandes dans un mail. Ce que dit Mr Desjardins dans le paragraphe que tu cites est totalement con. Il donne l'impression qu'on peut se débarasser de la personnalité sans se débarrasser du monde. Or le monde et la personnalité sont construits simultanément. On ne fait pas l'un sans l'autre. En bref, le coup de l'identification qui crée la souffrance, c'est complètement superficiel. C'est du rabâché routinier de ressucé de mal compris, et au mieux, on peut espérer que lorsqu'il a écrit ça, il était pas très en forme ce jour-là. Ou bien, il l'a senti mais il a pas su le dire. Peu importe. Ca arrive à tout le monde.
Ce que dit la Muse de Dado dans son article est fichtrement plus profond. J'adore le passage où la conscience est un phénomène extérieur qui produit des images. Je sais pas si tout le monde suit, mais au moins ça décape.
Pourquoi extérieur ? La conscience produit aussi le spectateur qui va faire la différence entre un extérieur et un intérieur. Il serait plus simple de dire que l'observateur n'est pas la source des phénomène mais qu'il est fondé par la conscience, simultanément aux phénomènes.
Effectivement le nain a tort de croire qu'il pourrait rester le moindre spectateur dans la clarté, autrement dit que "quelqu'un" pourrait être réalisé. de toutes façons son exemple est bancal, il oublié la caissière lr pojectionniste et la caméra.
>> Il serait plus simple de dire que l'observateur n'est pas la source des phénomène mais qu'il est fondé par la conscience, simultanément aux phénomènes.
Je suis d'accord. J'étais aussi un peu géné par le terme "extérieur" parce que extérieur à quoi ? A moi ? Qui moi ? Il y a quelque chose de dissonnant là-dedans. Il m'a semblé que c'était pourtant la manière la plus simple de faire apparaître ce qui autrement semble un paradoxe presque incompréhensible. Si ta description est plus juste, je ne pense pas qu'elle soit plus simple - en tous cas, pas telle que tu l'exprimes. Mais il existe certainement une façon de l'exprimer qui soit à la fois juste et simple.
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