dimanche, octobre 29, 2006

La pensée magique

Il existe un mode de pensée naturel à l'être humain qu'un savant plein de bon sens - j'imagine qu'il s'agit de Lévi-Strauss (1) - a baptisé la "pensée magique", mais qu'à la suite d'une série de coïncidences remarquables m'ayant conduit à lire hier un chapitre particulier d'Umberto Eco, je pourrai nommer pensée hermétique. C'est l'état natif, semble-t-il, de la pensée humaine, dont la raison et la folie ne sont que deux exceptions, deux états limites, deux systèmes dont l'un reste ouvert à tout jamais sans présenter de solution tandis que l'autre, qui a trouvé, demeure éternellement clos.

La pensée magique ou pensée hermétique repose sur deux principes qui sont la ressemblance et la coïncidence. Si la raison n'est qu'un cas particulier de celle-ci, c'est qu'elle restreint à un strict minimum, qui reste toujours trop important sauf peut-être dans la mathématique, le sens de ceux-ci, limitant la ressemblance à l'identité et la coïncidence au lien de causalité.

L'amoureux du romantisme allemand - Novalis, Hoffmann, Tieck, Hölderlin - et de Gérard de Nerval sait parfaitement que cette lecture l'amène aux confins d'une folie qui n'est pas nécessairement la sienne. Le paresseux qui suivant l'exemple de Montaigne, reste trop longtemps le matin au lit, sait que la façon de penser qu'il adopte lui sera à peu près impossible plus tard à reproduire ou traduire, soit parce qu'une fois debout, il n'arrive plus à en retrouver les tenants et les aboutissants ou qu'elle se dissout dans l'oubli, soit parce que le bon sens, maladie qu'il partage également avec ses congénères, lui dicte de ne pas prononcer en public le souvenir de telles élucubrations sous peine de paraître un idiot ou une bête pire aux yeux de son contemporain.

C'est ainsi que pendant un an, d'une part je n'ai pu me convaincre de la justesse et de la fausseté simultanée de ces intuitions matinales, de leur force qui était justement celle qu'éprouve l'illuminé, que je n'ai parfois pu ni m'en souvenir ni rétablir le lien qui existait entre elles mais d'autre part, surtout, je n'ai pu me résoudre à les exprimer clairement ; car leur connexion et leur résolution auraient fait de ce blog un de ces systèmes clos tels qu'on les trouve dans l'esprit du paranoïaque ; lequel définitivement, une fois pour toutes, a tout compris.

(1) "La pensée magique n'est pas un début, un commencement, une ébauche, la partie d'un tout non encore réalisé ; elle forme un système bien articulé ; indépendant, sous ce rapport, de cet autre système que constituera la science, sauf l'analogie formelle qui les rapproche et qui fait du premier une sorte d'expression métaphorique du second. Au lieu, donc, d'opposer magie et science, il vaudrait mieux les mettre en parallèle, comme deux modes de connaissance, inégaux quant aux résultats théoriques et pratiques ( car, de ce point de vue, il est vrai que la science réussit mieux que la magie, bien que la magie préforme la science en ce sens qu'elle aussi réussit quelquefois ) mais non par le genre d'opérations mentales qu'elles supposent toutes deux, et qui diffèrent moins en nature qu'en fonction des types de phénomènes auxquels elles s'appliquent." Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage.

Illustration : enluminure de Phoebe Anna Traquair pour les sonnets d'Elizabeth Barrett Browning.

A voir absolument : la somptueuse et immense collection d'illustrations de BibliOdyssey, dont est extraite l'image en encart.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Il me semble plutôt que pensée magique et raison ne sont que les 2 modes de pensée des 2 structures de base, poreux et fermé. Autrement dit, les deux ne sont que des déviations de la "pensée claire". Tout se joue au niveau des phénomènes subtils. Le poreux voit bien qu'il se passe des "choses" que ses sens externes ne sont pas capables d'appréhender. Alors pour leur trouver une explication, il va dire qu'il y a des esprits dans les arbres ou des trucs comme ça et il va faire des tas de rituels qui seront d'autant plus bizarres qu'il n'aura pas l'esprit clair et ne saura pas réellement ce qui se passe. Le fermé quant à lui ne sent rien, donc il décrète tout simplement que ces choses n'existent pas, ce qui est facile pour lui.

Dado a dit…

Je suis plutôt d'accord concernant le rapport entre pensée magique ou raisonnable et ce que tu appelles structure poreuse ou structure fermée.

Le problème, c'est que tes "poreux", tu ne les a observé que dans des milieux spiritualistes. Ils ne font que reproduire comme des moutons les paroles et les comportements des gens qu'ils ont autour d'eux : ils voient des fées partout, le moindre rêve est une expérience astrale, dès qu'ils ont une contrariété, c'est du à des démons, etc.

J'ai passé un an en tant que mod sur un forum paranormal et je dois dire que si je n'avais pas eu des expériences bizarres par moi-même, il y a de quoi devenir sceptique à force de voir tant de "poreux" raconter n'importe quoi, prendre des vessies pour des lanternes, paniquer au moindre rêve de décès parce qu'ils le croient prémonitoire, vouloir se convaincre qu'ils ont un pouvoir ou qu'ils sont envoutés parce qu'ils voient des phosphènes en allant au lit, etc. Et je ne parle même pas des schizophrènes franchement déclarés.

Mais tu places les mêmes "poreux" dans un autre milieu et les causes et les raisons qu'ils attribueront aux événements seront soudain différents. Si tout va mal, ce n'est plus du aux démons mais à une minorité ethnique, ou aux fumeurs, ou aux capitalistes, ou aux acariens, etc.

En bref, le monde se construit autour des gens en fonction d'une logique plus ou moins floue, dont la "porosité" est liée au taux de dopamine dans le réseau neuronal. C'est une question de seuillage, on accepte une analogie entre deux phénomènes à partir d'un certain niveau.

Or une logique parfaite n'existe pas, car si le seuillage était nul, il n'y aurait aucun rapport, aucune analogie, aucune identité, aucune causalité entre rien et rien. 1 plus 1 ne ferait même pas 2. A l'extrême opposé, on peut très bien trouver une analogie entre l'horaire des bus et les apparitions de la Vierge et une fois qu'on aura établi ce rapport, il sera indécrottable car l'attention sera entraînée à le retrouver dans l'immensité des événements qui se passent autour de nous.

Anonyme a dit…

Ce que tu oublies c'est que le poreux est plus sensible que le fermé. Il a donc des expériences que les autres n'ont pas, et ce n'est pas seulement dû à leur imagination. Cf l'expérience de Charles Duits qui a cassé des galets à mains nues. Les gens qui disent qu'ils voient les "auras" ne sont pas tous des menteurs, de même pour la télépathie et le reste. Le probblème, c'est que comme ils ne sont pas très rigoureux dans leurs analyses, ils se discréditent aux yeux des fermés, qui prennent prétexte de leur manque de rigueur pour les traiter de mythos complets. Ce qui n'est pas rigoureux de la part des fermés, qui font à cette occasion exactement ce qu'ils reprochent aux poreux. C'est comme si un aveugle traitait un voyant de menteur sous prétexte que lui-même ne voit pas ce que l'autre décrit et que la description manque de rigueur.