Il existe un mode de pensée naturel à l'être humain qu'un savant plein de bon sens - j'imagine qu'il s'agit de Lévi-Strauss (1) - a baptisé la "pensée magique", mais qu'à la suite d'une série de coïncidences remarquables m'ayant conduit à lire hier un chapitre particulier d'Umberto Eco, je pourrai nommer pensée hermétique. C'est l'état natif, semble-t-il, de la pensée humaine, dont la raison et la folie ne sont que deux exceptions, deux états limites, deux systèmes dont l'un reste ouvert à tout jamais sans présenter de solution tandis que l'autre, qui a trouvé, demeure éternellement clos.La pensée magique ou pensée hermétique repose sur deux principes qui sont la ressemblance et la coïncidence. Si la raison n'est qu'un cas particulier de celle-ci, c'est qu'elle restreint à un strict minimum, qui reste toujours trop important sauf peut-être dans la mathématique, le sens de ceux-ci, limitant la ressemblance à l'identité et la coïncidence au lien de causalité.
L'amoureux du romantisme allemand - Novalis, Hoffmann, Tieck, Hölderlin - et de Gérard de Nerval sait parfaitement que cette lecture l'amène aux confins d'une folie qui n'est pas nécessairement la sienne. Le paresseux qui suivant l'exemple de Montaigne, reste trop longtemps le matin au lit, sait que la façon de penser qu'il adopte lui sera à peu près impossible plus tard à reproduire ou traduire, soit parce qu'une fois debout, il n'arrive plus à en retrouver les tenants et les aboutissants ou qu'elle se dissout dans l'oubli, soit parce que le bon sens, maladie qu'il partage également avec ses congénères, lui dicte de ne pas prononcer en public le souvenir de telles élucubrations sous peine de paraître un idiot ou une bête pire aux yeux de son contemporain.
C'est ainsi que pendant un an, d'une part je n'ai pu me convaincre de la justesse et de la fausseté simultanée de ces intuitions matinales, de leur force qui était justement celle qu'éprouve l'illuminé, que je n'ai parfois pu ni m'en souvenir ni rétablir le lien qui existait entre elles mais d'autre part, surtout, je n'ai pu me résoudre à les exprimer clairement ; car leur connexion et leur résolution auraient fait de ce blog un de ces systèmes clos tels qu'on les trouve dans l'esprit du paranoïaque ; lequel définitivement, une fois pour toutes, a tout compris.
(1) "La pensée magique n'est pas un début, un commencement, une ébauche, la partie d'un tout non encore réalisé ; elle forme un système bien articulé ; indépendant, sous ce rapport, de cet autre système que constituera la science, sauf l'analogie formelle qui les rapproche et qui fait du premier une sorte d'expression métaphorique du second. Au lieu, donc, d'opposer magie et science, il vaudrait mieux les mettre en parallèle, comme deux modes de connaissance, inégaux quant aux résultats théoriques et pratiques ( car, de ce point de vue, il est vrai que la science réussit mieux que la magie, bien que la magie préforme la science en ce sens qu'elle aussi réussit quelquefois ) mais non par le genre d'opérations mentales qu'elles supposent toutes deux, et qui diffèrent moins en nature qu'en fonction des types de phénomènes auxquels elles s'appliquent." Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage.
Illustration : enluminure de Phoebe Anna Traquair pour les sonnets d'Elizabeth Barrett Browning.
A voir absolument : la somptueuse et immense collection d'illustrations de BibliOdyssey, dont est extraite l'image en encart.
Hier soir, en regardant chez mes parents "Le Voyage au Centre de la Terre"
J'ai parfois l'impression, en m'observant ou les gens autour de moi, que le monde intérieur est absolument vide et que la conscience tente de s'accrocher à je-ne-sais-quoi pour faire de ce vide un plein ; que les êtres humains se persuadent vivre des choses intéressantes et passionnantes, agréables ou affligeantes, qu'ils se convainquent d'être eux dignes d'intérêt et de passion.
Une fois n'est pas coutume, je me ferai l'écho d'une protestation entendue sur de nombreux sites et blogs. J'élargirai toutefois mon commentaire de sorte à analyser une tendance bien curieuse que j'ai cru déceler dans la loi française ces derniers temps.


Jusqu'à ce jour, j'ai poursuivi l'hypothèse aristotélicienne que l'homme est un animal raisonnable, supposition à laquelle Descartes conteste tout intérêt puisqu'il fait remarquer, et à fort juste titre, qu'elle se fonde sur deux évidences - que nous savons ce qu'est un animal, que nous savons ce qu'est la raison - deux évidences se révélant à l'analyse être seulement deux croyances aveuglantes « car il faudrait par après rechercher ce que c'est qu'animal, et ce que c'est que raisonnable, et ainsi d'une seule question nous tomberions insensiblement en une infinité d'autres plus difficiles et embarrassées ; et je ne voudrais pas abuser du peu de temps et de loisir qui me reste en l'employant à démêler de semblables subtilités »
Ce soir alors que je lui demandais une baguette de pain, la boulangère m'annonça l'air réjoui, comme si m'était échue une chance inestimable, que j'avais « le droit de gratter ». Heureusement pour moi, elle me tendit simultanément un petit dépliant publicitaire, ce qui m'évita de commettre un terrible impair.