mercredi, novembre 01, 2006

Monstres & Etymologie



En cette période d'Halloween, il est de bon ton que j'évoque les monstres mais aussi les rêves et leur ténébreuse étymologie. Si j'associe monstres et rêves, c'est bien entendu à cause du sous-titre de mon blog : el sueño de la razón produce monstruos ; et parce que l'on préfère croire que les monstres apparaissent uniquement en rêve, comme dans le dessin animé pour enfants Monstres & Cie. J'admets d'ailleurs que j'éprouve quelque décente réserve à publier ici le contenu de mes songes (1) : celui de cette nuit est proprement imprésentable bien que j'en aie la plus limpide explication.

Monstre vient du latin monstrare, montrer. Si l'on en croit le linguiste, tout ce que l'on révèle est nécessairement monstrueux. Quant au verbe rêver, son origine reste un mystère. Au XIIème siècle, resver signifie « être égaré », au sens propre comme au sens figuré. Puis il signifia longtemps divaguer, rôder, traîner ; et à la fin du Moyen Age le rêveur est un coureur de jupons, un masque qui se mélange nocturnement aux bandes du carnaval. Mais en 1694, selon le Dictionnaire de Furetière, rêve « ne se dit guères que des songes des malades qui ont le cerveau aliéné. » Ménage affirmait encore dans son Dictionnaire étymologique en 1750 que « rêver, c'est proprement rebrousser chemin vers l'enfance. Ainsi ce mot pourrait bien venir de reviare, retourner sur ses pas » ; de nos jours la 8ème édition du Dictionnaire de l'Académie Française lui attribue entre autres le sens de «s'absorber dans un désir ».

Il paraît alors assez extraordinaire que l'on continue, par pure conviction, à nier les observations de Maury et des rêveurs assidus du XIXème siècle, de Freud et de ses collaborateurs, à savoir que les rêves se construisent autour des fantasmes du rêveur et de ses souvenirs anciens, évoqués soit par des sensations physiologiques du sommeil, soit par des scènes fugitives advenues durant la journée.

C'est à croire que ces remarques évidentes et apparemment inoffensives (2) ne le sont pas tant en vérité ; nos buts réels sont-ils si peu avouables ? Et pour cette obscure raison que seule la raison sait, c'est sous le masque que le rêveur court encore, comme au Moyen Age, les jupons des carnavals, dans l'imbroglio et l'incognito généraux de fantaisies nocturnes rappelant les gravures sombres de Callot ou les fêtes de Watteau ; c'est sous les dominos précieux et frivoles et les travestis grotesques de la commedia dell'arte qu'Arlequin, Matamore, Isabella et Colombine se livrent à leurs facéties triviales, à leurs pitreries obscènes sur les planches d’un théâtre scabreux.

Pour faire bref, le monstre que révèle le rêve n'est rien d'autre que l'ombre de la silhouette idéale et raisonnable que l'homme s'invente. Il n'y a rien de mal à cela. Mais je constate pourtant que, si nous choisissons d'exprimer, non comme il est coutume de le faire ce que nous ne savons pas, mais au contraire et plus sagement ce que nous connaissons le mieux du monde, à savoir nous-mêmes ; si nous le disons avec le plus grand souci de précision et de sincérité, nous rejoignons aux yeux de tous l'affreuse race des monstres, ceux que l'on montre dans les baraques et qu'une grille solide sépare de la bienséante mondanité ; si nous préférons au contraire décrire de manière générale l'homme, à l'inclusion du lecteur, celui-ci se récrie à l'insulte ; et si finalement, préférant mettre en scène une tierce personne, alors il est probable que le lecteur, rejetant toute comparaison possible entre le monstre de foire et lui-même, songe à une caricature fantastique ou se croit de nouveau entré par hasard dans un sinistre cabinet de curiosités où le montreur, vêtu d'un uniforme écarlate galonné d'or, exhibe une rarissime abomination.

Il est ainsi impossible de dire ce qui est et ce serait un tour de force que de réussir à éclairer cette monstruosité naturelle qui est la nôtre. Chacun refuserait de se reconnaître dans la bête – et ceux qui font les anges en premier lieu.

(1) A l'exception des rêves lucides ; ce qui montre combien le moi social s'immisce dans cette réalisation.
(2) "Je suis destiné, je crois, à ne découvrir que ce qui est évident : que les enfants ont une sexualité, ce que toute nurse sait ; que nos rêves nocturnes sont, de la même façon que nos rêves diurnes, des réalisations du désir." ( Sigmund Freud )

Illustration : la sorcière anglaise "Mother Shipton".

8 commentaires:

Anonyme a dit…

1) C'est bizarre, parce que mes rêves lucides sont plutôt moins racontables que les autres.
2)Tu as fait une équivalence entre montrer et révéler, ce qui n'est pas correct. Dans le fait de montrer, il y a valorisation de l'ego. Quand on montre sa voiture, sa maison, sa maladie, c'est toujours soi qu'on montre "regardez comme je suis une star, ou au contraire comme je suis misérable". On comprend sans peine ce que cela peut avoir d'indécent. Révéler, c'est tout autre chose. Il y a un truc sacré dans la révélation. D'ailleurs on ne révèle ni sa maison, ni sa voiture. Dans la révélation, il y a quelque chose qui est utile pour l'autre. Montrer est surtout utile pour moi.
3) Il y a donc une différence entre se montrer tel qu'on est, et se révéler tel qu'on est. Dans le premier cas, on s'affiche comme monstre, il ne faut donc pas s'étonner de susciter des réactions, dans le second cas, c'est comme ça un point c'est tout. Il y a peut-être des récations, ou peut-être pas, mais ce n'est pas notre histoire. Cf ces yogis qui vivent dans des gourbis et qui reçoivent les gens en aboyant.

Anonyme a dit…

salut dado... (c'est roul un voyageur de blog)

Le probléme avec freud c'est qu'il a modifié beaucoup de ses histoires pour les faires correpondres à ses desirs (cf : livre noirs de la psychanlyse)...

ceci étant dits il à fait avancer le schmilblick sur la petite enfance, et je ne peut pas contester les phrases citer...

ps : je cherche ou jules vernes à pu evoquer les oceans rempli de méduse si ce passage t'evoque quelque chose??? comme j'ai vue que tu étais renseigner dessus...

Dado a dit…

>> roul : je cherche ou jules vernes à pu evoquer les oceans rempli de méduse si ce passage t'evoque quelque chose???

Tu penses sans doute à cette gravure de Vingt mille lieues sous les mers :

http://jv.gilead.org.il/rpaul/Vingt%20mille%20lieues%20sous%20les%20mers/029.jpg

>> flo : C'est bizarre, parce que mes rêves lucides sont plutôt moins racontables que les autres.

Sur 130 rêves lucides, je ne dois en avoir qu'un seul de pas très très racontable. Et encore, ça s'explique par l'influence d'un rêve lucide que je venais de lire et dont j'ai renouvelé par imitation automatique l'expérience. Par contre, j'ai des dizaines de rêves normaux pas piqués des vers.

Dans les RL, on remarque surtout que ce sont les croyances qui s'expriment. Généralement, ce sont des croyances assez proprettes. On en a un excellent exemple avec le blog de Kalonek. Dans les rêves normaux, il y a tout qui sort, c'est du brut de fonderie.

J'aurais vraiment du mal à les présenter car j'ai l'impression qu'on peut m'y lire à livre ouvert. Dans pas mal de cas, c'est tellement gros que j'ai presque l'impression que le rêve se fout de ma gueule. D'ailleurs, la dernière fois, j'ai raconté un rêve qui me paraissait très drôle et anodin à ma mère - qui n'est pourtant pas une spécialiste de la psychanalyse ! et elle m'a renvoyé aussi sec l'interprétation, un vrai retour de service qui m'a totalement pris à contre pied et m'a laissé sur le cul.

>> Flo : Révéler, c'est tout autre chose. Il y a un truc sacré dans la révélation.

C'est ce que dit aussi l'étymologie seconde de monstre. Monstrare viendrait de monere, qui signifie avertir, ce qui implique une intervention divine : un monstre est un message divin. On le voit chez les Babyloniens, qui collectionnaient sur leurs tablettes les apparitions de "monstres" (moutons à cinq pattes, fourmis d'une couleur bizarre) pour connaître les intentions des dieux.

>> Dans le premier cas, on s'affiche comme monstre, il ne faut donc pas s'étonner de susciter des réactions, dans le second cas, c'est comme ça un point c'est tout. Il y a peut-être des réactions, ou peut-être pas, mais ce n'est pas notre histoire.

Il y aura encore plus de réactions dans le second cas que dans le premier, et beaucoup plus violentes. Y'a qu'à voir ce que Freud s'est pris et se prend encore dans le nez. Ou encore Baudelaire, s'il faut vraiment trouver un autre exemple.

Anonyme a dit…

quand tu évoques la "décente réserve" qui t'interdit la licence de présenter l'imprésentable, tout le monde comprend de quoi tu parles.
le nouveau paradigme de Darth Vader (http://www.blogchen.net/flo/index.php?2006/11/01/436-facile-et-difficile)
ne nous dissuade t-il pas de "montrer du monstrueux" tout autant qu'il nous guérit de l'affreux regret d'avoir à le le garder pour nous ?
Le but de l'égo, c'est d'affirmer sa primauté sur le reste de la galaxie. Si nos efforts diurnes dans ce sens peuvent être couronnés d'insuccès, on comprend qu'on tente de se rattraper en rêve.
Le souci de précision et de sincérité sur notre nature ne peut être perçu que par ceux qui reconnaissent leurs propres cadavres dans leurs placards.
Entre monstres, on se comprend toujours à demi-mots.
Parles-en avec ta mère ;-)

Dado a dit…

>> John: Le but de l'égo, c'est d'affirmer sa primauté sur le reste de la galaxie.

Et parfois par des moyens très rigolos.

"Un aspect caché de l'orgueil se manifeste par l'auto-dépréciation égocentrique, lorsque nous nous croyons plus mauvais qu'autrui dans un domaine particulier ou un trait de caractère, ce qui nous singularise." Tenzin Wangyal Rinpoché, Yogas tibétains du rêve et du sommeil.

Un aspect intéressant que devraient conserver à l'esprit certains trucmuche-dépendants.

Anonyme a dit…

Le trucmuche-dépendant ne voulait pas alourdir inutilement son commentaire par le rappel de cette notion de base que tous les futurs-ex-poly-toxicos apprennent à la maternelle du rétablissement.
J'en connais même certains qui tentent de faire le malin avec leurs déficiences, c'est une honte.
La honte, qui n'est jamais que de l'orgueil inversé, donc de même nature en valeur absolue...
(cf http://johnwarsen.blog.lemonde.fr/2006/02/16/2006_02_souffrir_dans_l/)
pinaise tu lis TWR, maintenant ? fais gaffe, tu files un mauvais coton ;-)

Anonyme a dit…

1) Pour moi Freud et Baudelaire sont de gros narcissiques, c'est eux qu'ils montraient.
2) A l'inverse bien sûr il y a le cas d'Amma qu'on essaie régulièrement d'assassiner, mais son cas est quand même un peu extrême.
3) John a raison de dire qu'il n'y a que ceux qui ne veulent pas voir les cadavres dans leurs placards qui vont t'en vouloir. Il suffit donc de rester en bonne compagnie.
4) ça fait un paquet de temps que mes rêves normaux sont bien plus racontables que mes rêves lucides.
D'ailleurs ça fait un paquet de temps que je ne tiens plus de journal de RL... De toutes façons, on voit très bien où en est le rêveur quand il rencontre un monstre de l'état intermédiaire. Soit il lui jette un anathème, soit il lui fait un bisou. Dans le 1er cas, on sait que ses rêves normaux qui sont irracontables. Dans le second cas, c'est le RL en question qui sera irracontable. Mwhaha !

Dado a dit…

@ John:

>> Le trucmuche-dépendant ne voulait pas alourdir inutilement son commentaire par le rappel de cette notion de base que tous les futurs-ex-poly-toxicos apprennent à la maternelle du rétablissement.

Ah ben c'est une bonne chose. Parce que je me rappelle de certains dialogues entre dépendants que tu avais mis sur ton blog, apparemment ils n'étaient pas passés par la maternelle.

>> pinaise tu lis TWR, maintenant ? fais gaffe, tu files un mauvais coton ;-)

J'avais besoin de quelques éclaircissements sur mes deux derniers rêves lucides.

@ Flo:

>> Pour moi Freud et Baudelaire sont de gros narcissiques, c'est eux qu'ils montraient.

Vrai. Mais quand on est poète, ça serait con de ne pas faire de la poésie. Et quand on est médecin, ça serait con de ne pas soigner les malades. Si on a un minimum de bonne foi, on est obligé de se dépasser. Ce qu'ils ont exprimé dépasse leur narcissisme. Là où c'est narcissique, c'est qu'ils espéraient qu'on allait les remercier de traiter le lecteur d'hypocrite.

>> John a raison de dire qu'il n'y a que ceux qui ne veulent pas voir les cadavres dans leurs placards qui vont t'en vouloir. Il suffit donc de rester en bonne compagnie.

C'est-à-dire n'exprimer ce qu'on voit qu'à quelques rares personnes choisies qui le savent déjà. Ca rejoint ce que je dis dans mon article.

Sinon, il suffit de voir la vie de tous ceux qui ont essayé de mettre le nez des autres dans leur plat de caca. Victor Hugo a passé la moitié de sa vie en exil, et encore il avait pas dit grand'chose. Quant à Socrate, il a été condamné à mort pour avoir dit que les hommes politiques et les artistes n'étaient pas des sages. Ce n'est pas encourageant.

>> on voit très bien où en est le rêveur quand il rencontre un monstre de l'état intermédiaire. Soit il lui jette un anathème, soit il lui fait un bisou. Dans le 1er cas, on sait que ses rêves normaux qui sont irracontables. Dans le second cas, c'est le RL en question qui sera irracontable. Mwhaha !

C'est drôle, mais sans doute inexact. La dernière monstrette - une sorte de fantôme bien délabré - je l'ai invitée à faire une brasse à la piscine. J'ai rarement des problèmes avec mes monstres quand je suis lucide. Et inversement, une personne qui se cache son fonctionnement aura sans doute des rêves normaux dont le contenu est masqué par du joli ou du bizarre, avec de temps en temps des gros cauchemars.

Si je sais que j'aurais des difficultés à présenter plusieurs de mes rêves normaux - mais la plupart n'est pas imprésentable ! c'est parce qu'ils mettent en évidence des tendances que je ne veux pas affirmer dans mon comportement social. Il y a des trucs que John ou toi mettez sur votre blog, et que je ne mettrai jamais sur le mien ou même que je ne raconterai à personne. Je ne vais donc pas raconter un rêve où ça se lit gros comme une maison.