mercredi, octobre 18, 2006

L'ouvrage infini de Pénélope

Il me semble parfois que mon blog est une sorte de Santa Barbara de la philosophie. L'auteur et le lecteur passèrent entre eux un pacte tacite et menteur stipulant qu'il ne terminera pas et à cette fin se multiplient, se diversifient, se compliquent, s'entremêlent les intrigues secondaires jusqu'à ce que plus personne, ni d'un coté ni de l'autre de l'écran, ne sache exactement où l'on en est ni quel était le contenu des épisodes précédents ni qui est qui, ni ce qu'il faut espérer et attendre d'un dénouement qui, bien sûr, n'adviendra jamais.

Cette routine s'est instaurée au bout d'environ trois mois, limite à partir de laquelle l'essentiel des fantasmes du blogueur débutant s'évapore alors que se matérialisent peu à peu dans son esprit de solides convictions, tout comme les cristaux naissent dans la solution saline oubliée sur l'étagère par le chimiste ; et ces convictions font que ni ce que l'auteur écrit ni ce qu'on lui répond ne lui paraît une surprise car il est persuadé savoir quoi attendre du lecteur et quoi de ses articles. Le sentiment de nouveauté a disparu.

S'il me fallait donner un seul exemple de ces convictions, la plus évidente est que je serai encore là demain, le lendemain, le surlendemain pour continuer l'ouvrage. Pénélope le défaisait chaque soir. Elle attendait Ulysse éternellement.

Cette conviction modifie complètement ma façon d'envisager les choses. Elle me donne le loisir de négliger l'essentiel pour me consacrer à plein temps au superficiel ; je pourrai toujours remettre l'effort à plus tard. Je m'étais demandé un jour pour quelle raison j'évitai comme sciemment d'écrire ce que je m'étais donné pour but d'exprimer ici, préférant choisir telle ou telle anecdote distrayante. C'est entre autres que la conviction s'assortit d'une timidité - l'euphémisme de la terreur - de mettre un point final à l'oeuvre, une fois celle-ci achevée.

Mais je me rends compte que cette introduction est finalement suffisamment longue pour faire à elle seule l'objet d'un article. Elle illustrera cet autre type de croyance que sont les convictions.

Illustration : Pénélope et les prétendants, Pinturicchio.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

"remettre l'effort à plus tard" est bien imprudent dans un monde où, s'il faut en croire don Juan Matus et certains bouddhistes de notre connaissance, la mort est le chasseur, ce qui ne laisse de temps ni pour le doute ni pour le repos, uniquement pour l'action (juste, si possible).
Une fois l'oeuvre achevée, qui t'empêcherait d'en débuter une autre ?

Anonyme a dit…

Tu as l'air de supposer qu'une fois l'essntiel exprimé, tu n'auras plus d'autres idées essentielles. Si tu pratiquais, tu découvrirais de l'essentiel sans arrêt. L'essentiel n'a pas de fin. Ibn Arabi a écrit 500 volumes paraît-il.
Peut-être d'ailleurs qu'il faut que tu exprimes ton essentiel présent pour que de l'essentiel nouveau puisse apparaître.

Dado a dit…

John-le-nain-qui-pue-des-pieds, tu te laves les pieds avant de marcher sur ma moquette et tu évites de la fumer, s'il te plait! :p

>> John: Une fois l'oeuvre achevée, qui t'empêcherait d'en débuter une autre ?

Rien évidemment, mais ça ne sera sans doute pas un blog.

>> Flo: Peut-être d'ailleurs qu'il faut que tu exprimes ton essentiel présent pour que de l'essentiel nouveau puisse apparaître.

Euh... Que te répondre? Oui... certainement... peut-être... je sais pas... sans doute. Quoi qu'il en soit, il faudra que j'arrive à l'exprimer nettement et une bonne fois pour toutes car j'ai l'impression que pas grand monde n'a pigé jusqu'à maintenant.

Anonyme a dit…

Tu ne peux inférer du silence des espaces infinis (celui qui effrayait Pascal) -hormis deux commentaires timides de bloggueurs débutants - que personne n'a pigé ce que tu voulais dire.
L'important c'est que TOI tu saches ce que tu as voulu exprimer.

Dado a dit…

C'est assez amusant car je suis justement en train de lire un bout de Proust intitulé "L'article dans le Figaro" où il se rend compte que le lecteur ne comprendra pas ce qu'il a voulu dire.

Tiens j'ai retrouvé le passage:

"Ces images que je vois sous mes mots, je les vois parce que j'ai voulu les y mettre; elles n'y sont pas. Et si même pour quelques unes j'ai réussi en effet à les faire passer dans la phrase, mais pour les voir et les aimer il faudrait que le lecteur les ait dans son esprit et les chérisse! [...] Tout ce que [mes mots] peuvent faire, c'est d'en éveiller de semblables dans les esprits qui en possèdent naturellement de pareilles."

A partir de là, son truc comme on peut le voir, c'est de rabâcher l'idée en la présentant sous des formes différentes à l'aide de "prolongements symétriques".

Anonyme a dit…

Bah c'est comme moi, j'emploie des mots qui renvoient à des sensations. Si le lecteur en question n'expérimente pas les mêmes sensations, il ne comprendra rien. Quant à décrire un monde imaginaire intérieur, c'est pire, car là tu es sûr qu'il est unique.

Anonyme a dit…

N'oublie pas que Pénélope a fini par terminer son ouvrage sous la pression des prétendants !
Quelle épreuve proposeras tu à tes lecteurs te pressant de révéler enfin l'essentiel que tu prétends leur cacher ?

Dado a dit…

N'oublions pas non plus qu'Ulysse est arrivé à ce moment précis et qu'il a massacré tous les prétendants. Hé hé! :p

En fait, je n'ai jamais dit que c'était caché. Même, je l'ai rabâché dans la moitié de mes articles sous des formes différentes. J'ai donné des exemples, j'ai présenté divers arguments. Il me reste à pondre trois ou quatre articles et à présenter le tout sous une forme ordonnée. Donc pour l'épreuve, ça peut encore attendre un peu. ;)