dimanche, mai 07, 2006

Persistance de la mémoire

Persistance de la mémoire, Salvador Dali, 1931Si l'on me demandait quel phénomène de la conscience je trouve le plus bizarre, le plus intrigant, le plus mystérieux, sans hésitation je répondrais : la mémoire. Elle est une évidence à tout le monde ; on la suppose retranscrire fidèlement les événements révolus et nul ne doute qu'elle accomplisse avec zèle son labeur honnête de mineur des galeries obscures du passé. Aussi n'y aurait-t-il pas, à première vue, grand'chose à dire à son propos.

De fait, sa nature me semble un paradoxe. Comme je le suggérais plus bas, je ne pense pas qu'elle soit localisée en un endroit précis du cerveau : je crois plutôt que le cerveau entier la constitue. Un réseau neuronal est à la fois un système de résolution de problèmes et une mémoire, comme permettent de le constater les outils de reconnaissance de formes. Toutefois j'estime impossible - mais c'est juste une impression - que même un milliard de neurones soit capable d'encoder tous les détails que nos souvenirs paraissent contenir.

Un réseau neuronal ne se comporte pas comme un système expert qui conserverait la trace individuelle de chaque difficulté rencontrée et de son remède. Il a pour principe de fournir une solution satisfaisante et globale, en mêlant différentes informations de façon à tracer une fonction qui les approxime. Ainsi deux problèmes similaires trouveront leur réponse par analogie. Cette vision molle est en même temps sa représentation et son souvenir du monde et il me semble douteux qu'un tel à-peu-près puisse restituer avec rigueur, à la manière d'un enregistrement vidéo, les instants du passé. Or comme on peut le voir dans l'article "Complément de réalité", notre cerveau ajoute de la forme et du sens aux images, bien au delà de ce qui lui est demandé. Dans cet exemple, il applique aux visages, une fois ceux-ci reconnus comme tels, un traitement qui nous permet de distinguer des détails pourtant absents.

Je soupçonne le même expédient d'affecter la mémoire. Elle crée instantanément du détail. La chose fabuleuse, c'est notre confiance totale en cet outil comme en la nature archivable du temps et des événements, de sorte qu'il ne nous vient pas à l'esprit de mettre en doute ce mécanisme.

En outre, la mémoire est indissociable du sens et de la relation sociale. La répétition, par la sollicitation de notre entourage, d'un souvenir va le renforcer au détriment de ceux devenus inutiles. L'histoire d'un individu reflète la signification qu'il prête à sa personnalité et à sa vie présente. S'il se dévalorise, son passé se teintera de noir ; à l'inverse, les winners ont tous leurs success stories.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

parlant de la mémoire tu dis :"je ne pense pas qu'elle soit localisée en un endroit précis du cerveau : je crois plutôt que le cerveau entier la constitue."

Pourquoi localiser exclusivement la mémoire au cerveau ? Le corps, et même les corps devrait on dire ont une mémoire.
Si nous considérons que la mémoire est une information immatérielle qui a besoin d'un support matériel, on peut se demander aussi si la mémoire ne précède pas l'existence de son support. L'information immatérielle voyageant jusqu'à rencontrer la possibilité d'une expression matérielle. Renversant, non ?

Anonyme a dit…

Une conférence sur la mémoire :
http://www.cite-sciences.fr/apprendre/francais/telechargement/Da1103.RTF

Anonyme a dit…

ça me fait penser à cette femme qui avait fait une expérienvce. Tous les jours elle notait tout ce qui lui arrivait. En consultant ses notes quelques mois plus tard elle a eu la surprise de constater qu'elle n'avait gardé en mémoire que les souvenirs valorisants pour elle.

Dado a dit…

Kiki : Merci pour cette info. Le texte est un peu long par rapport au contenu effectif et ça part dans tous les sens. Je retiens comme concommitant avec mes intuitions que : "on a abandonné l'idée qu'il existe une structure de la mémoire quelque part dans le cerveau", que "les souvenirs sont en perpétuelle transformation et cela en fonction de notre personnalité présente", que "chaque neurone participe à de multiples souvenirs" et donc que "plus il y aura de ressemblances entre différents types d'informations, et plus ça va mettre en commun un certain nombre de neurones" - ce qui est d'ailleurs le principe de base des réseaux neuronaux. Par contre, où je me suis trompé, c'est qu'il y a environ "10 milliards de neurones dans un cerveau humain" et non pas 1. Mais je viens de lire que d'autres estiment cette population à 100 milliards. Je pense que je vais le corriger dans l'article.

Flo : Ton exemple montre de manière amusante que la considération qu'on a de soi-même entre en feed-back dans le cerveau et participe de la satisfaction finale que le système est censé obtenir. On pourrait ainsi imaginer une personnalité qui ne fait que des catastrophes mais qui est extrêmement satisfaite du résultat. Ce qui finalement n'est pas très différent de la "personnalité" d'une société humaine, qu'il s'agisse d'une entreprise ou d'une civilisation. :)))

>> Lds: Le corps, et même les corps devrait on dire ont une mémoire.

Le problème "technique", c'est que les cellules du corps humain n'ont pas une durée de vie énorme. Seules quelques sortes de cellules ne sont pas renouvelées, ce sont essentiellement celles du cortex cérébral.

>> Si nous considérons que la mémoire est une information immatérielle qui a besoin d'un support matériel, on peut se demander aussi si la mémoire ne précède pas l'existence de son support.

Voulais-tu parler de la théorie théosophique des "enregistrements akashiques", c'est-à-dire d'une mémoire située hors du corps humain ? Pour ma part, j'ai choisi de ne plus adopter cet option métaphysique qui consiste à considérer les phénomènes psychiques comme extérieurs. Mais ça montre bien que les personnes qui retiennent cette option considèrent aussi qu'il y a quelque chose de bizarre dans le fonctionnement de la mémoire.

Anonyme a dit…

Si les phénomènes psychiques se déroulent bien à l'intérieur du cerveau, cela ne permet pas de connaître leur source. L'écran de la salle de cinéma n'est que le support qui permet la projection du film.
Ensuite il me parait restrictif de considérer que la projection n'a lieu que dans le cerveau, il est clair que l'on vit avec tout le corps, pourquoi ce dernier n'aurait pas de souvenirs ? Ton objection de la durée de vie des cellules est correcte, mais valable seulement si les cellules ne communiquent pas.
Si on considère la mémoire comme la trace d'événements. On peut se demander d'où proviennent ces événements, et en admettant que l'aspect immatériel de l'être précède l'aspect matériel, qui est la réalisation de l'événement, la mémoire devient l'accès à cet immatériel.

Anonyme a dit…

Ce qui a une mémoire, c'est le corps énergétique, pas le corps physique. Prends un rugbyman qui pendant 10 ans s'est pris des coups sur les flancs dès qu'il avait les bras levés, tu peux être sûr que 30 ans plus tard la mémoire est encore là et qu'il aura toujours peur de lever les bras. De même j'avais un pote qui lors d'un stage se retrouvait à chercher les "schmolls" dans le corps énergétique des autres. Une personne travaillant avec lui avait retrouvé 3 "choses" dans son aura, correspondant exactement à 3 endroits touchés par un accident 20 ans plus tôt.

Anonyme a dit…

Tu as raison aussi, mais rien ne prouve que cette mémoire ne s'imprime pas aussi sur le corps physique. A mon sens les émotions, les sentiments, les traumatismes psychiques s'impriment plus facilement encore sur ce corps énergétique. Dans l'accident, ce n'est pas forcement le traumatisme physique qui laisse la plus forte empreinte, mais l'émotion associée (la peur par exemple).

Dado a dit…

>> Lds : Ensuite il me parait restrictif de considérer que la projection n'a lieu que dans le cerveau, il est clair que l'on vit avec tout le corps, pourquoi ce dernier n'aurait pas de souvenirs. [...] Rien ne prouve que cette mémoire ne s'imprime pas aussi sur le corps physique.

>> Flo : Ce qui a une mémoire, c'est le corps énergétique, pas le corps physique.


Tout d'abord, pour clarifier, le fait que le corps physique ait une mémoire (dans le sens souvenir mentalisé) ne me semble pas compatible avec les connaissances actuelles.

Je pense que souvent ceux qui disent que le corps se souvient parlent plutôt du corps comme d'un corps d'énergie ou bien du corps comme la manifestation d'un corps d'énergie. Mais je n'ai pas d'autres connaissances que livresques dans ce domaine : j'ai entendu parler du yoga cellulaire d'Aurobindo et Mère mais je ne sais pas s'ils mentionnent une mémoire cellulaire. Enfin, les types qui travaillent sur les énergies parlent souvent de noeuds au niveau des canaux, liés à des traumatismes, qui peuvent engendrer des blocages physiques ou émotionnels. Mais la question est toujours de savoir si on parle bien de la même mémoire.

Après ça, je suis largué. Je n'ai pas d'expérience personnelle de tout celà, donc je préfère ne pas fonder mon raisonnement dessus. Si j'en avais, j'en ferais sans doute part. ;)

>> Flo : Prends un rugbyman qui pendant 10 ans s'est pris des coups sur les flancs dès qu'il avait les bras levés, tu peux être sûr que 30 ans plus tard la mémoire est encore là et qu'il aura toujours peur de lever les bras.

Tu prends un exemple qui serait typiquement expliqué par un réflexe conditionné à base de satisfaction/punition, c'est à dire explicable - et même sans doute expliqué - matérialistement par une association cérébrale. Comme je pense que tu le sais parfaitement, ça correspond à ce que j'appelais plus haut une "option métaphysique", c'est-à-dire quelque chose qui dépend de postulats (idéalistes dans ce cas) et donc qui n'est pas discutable. Comme je le disais un peu plus haut, je n'ai pas d'expériences relatives à ce sujet.

Parmi les expériences personnelles que je trouve bizarres dans le domaine de la mémoire, il y a :
- des rêves dont on se souvient tout à coup plusieurs heures après le réveil, à cause d'un événement coïncident. Théoriquement, il semblerait que ça ne soit pas possible, parce que les rêves ne passeraient pas dans la mémoire à long terme, sauf si on fait exprès de s'en souvenir au réveil. Mais il se peut tout bêtement que les neurobiologistes se soient plantés.
- des faux souvenirs (voir articles plus bas). C'est explicable si on considère que la mémoire ne fonctionne pas du tout comme Monsieur Tout-le-monde le croit, mais ça fout sérieusement en l'air l'idée de la continuité temporelle commune.
- et bien sûr la réflexion de cet article sur le stockage de la mémoire (qui revient dans le fond à l'idée des faux souvenirs) mais aussi d'autres réfléxions sur la notion même d'événement, fondamentale à mon avis pour le stockage, et qui me semble bigrement douteuse !

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit…

La mémoire? je dirais plutôt "les memoires", sinon, comment ce fait (et aussi si elles ne seraient pas localisés) qu'en devenant très vieux, vers la fin, on perd la mémore du présent et la mémoire de l'enfance et jeunesse reste encore plus vive qu'avant?

En tout cas, nous avons aussi la mémoire des goûts et des odeurs, quelque part très profondément stockés et associées avec ce qui se passait quand...

Mais le texte, qui nous donne à réfléchir est écrit dans une language lourd à lire, hélas. Serait-tu un universitaire?

En tout cas, tu nous a fait réfléchir.

ps merci pour l'obseration très juste sur deux visages de mes blogs, quelquefois il faut une autre regard pour nous attirer l'attention sur ce que nous avons fait.

Dado a dit…

Bonjour julie70, :)

>> La mémoire? je dirais plutôt "les memoires". [...] nous avons aussi la mémoire des goûts et des odeurs, quelque part très profondément stockés et associées avec ce qui se passait quand...

C'est une excellente remarque. En disant que la mémoire n'est pas localisée, je voulais dire qu'elle ne se trouve pas dans un endroit précis du cerveau (comme le disque dur sur un PC), et que les autres fonctions feraient appel à cette zone lorsqu'elles ont besoin d'une information ancienne. Ce que je suppose ici, c'est que toutes les parties du cerveau font office de mémoire. Et comme en effet certaines parties sont utilisées pour reconnaître les formes, d'autre pour communiquer, d'autre pour s'orienter dans l'environnement, d'autres pour le goût, etc. il existe plusieurs mémoires.

>> En devenant très vieux, vers la fin, on perd la mémore du présent et la mémoire de l'enfance et jeunesse reste encore plus vive qu'avant.

Je crois constater que la mémoire s'active ou se perd en fonction de l'utilité qu'on en a. Par exemple, je doute que je puisse me souvenir de tout ce que j'avais appris en géographie pour le bac. En devenant vieux, j'imagine qu'on a moins d'intérêt pour le présent et pour l'avenir - je serais bientôt fixé sur ce sujet ;) - la perte de la mémoire du présent peut, à mon avis, soit s'expliquer par un mauvais fonctionnement de la partie du cerveau qui met les informations récentes dans la mémoire à long terme ; ou alors elle fonctionne bien, mais elle estime, vu le manque d'intérêt, que ce n'est vraiment pas la peine de stocker de nouvelles informations. Idem, on remarque que les personnes agées sont orientées vers leur passé et se souviennent de plus de souvenirs d'enfance. Là encore, est-ce à cause d'un fonctionnement particulier du cerveau, lié à l'âge, ou parce qu'elles se détournent du futur ? Je ne sais pas.

La question qu'on peut se poser, c'est : est-ce que ces souvenirs étaient stockés "tout au fond" de la mémoire, quasiment oubliés, et qu'ils ressurgissent intacts ? Est-ce que leur détail, leur contenu sont "vraiment réels" ? Comme la moitié des membres de ma famille a été rapatriée d'Algérie, j'ai souvent remarqué qu'il n'arrivaient pas à se mettre d'accord sur leurs souvenirs d'il y a 50 ans.

>> Mais le texte, qui nous donne à réfléchir est écrit dans une language lourd à lire, hélas. Serait-tu un universitaire?

Je suis confus. J'ai eu l'occasion, pour mon travail, de m'intéresser à l'intelligence artificielle et aux programmes de réseaux de neurones qui imitent le fonctionnement du cerveau. Je voulais essayer de rapprocher cette connaissance de mes réflexions sur la mémoire humaine et de faire un peu de vulgarisation. Mais c'est très dur de faire rentrer tout ça dans le cadre d'un petit article sur un blog, c'est vraiment du condensé. De plus, ma vision de l'écriture s'oppose à celle de la photographie - je crois. En photo - du moins comme je vois la chose - on essaie de supprimer les détails parasites pour conserver l'essentiel de l'idée, c'est-à-dire qu'on fait un vide au milieu duquel se dégage l'idée principale. En écriture, il me semble que je fais le contraire : j'essaie de charger chaque mot du maximum de sens possible, mais toujours orienté vers la même conclusion. Or la présence de termes techniques et cette façon de faire rend le tout très dense, lourd, voire indigeste. :(