samedi, juillet 29, 2006

Cogito ergo sum

Après avoir évoqué l'image du Malin Génie pour la rejeter dans les limbes sans plus trop de façons, René Descartes espéra pouvoir s'en tirer à bon compte en édictant deux formules qui le protégeraient contre un tel doute et un tel égarement : il rédigea d'abord la seconde des « Règles pour la conduite de l'esprit humain », qui consiste à « diviser chacune des difficultés [...] en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre » ; puis pour sceller le tout, il apposa sur les cendres fumantes de la démoniaque apparition le mystérieux « Cogito ergo sum » : je pense, donc je suis.

Hélas ! On ne fait pas se lever impunément les esprits, comme le pauvre pêcheur des Mille et Une Nuits ou le docteur Faustus l'apprirent à leurs dépends ; et désormais la philosophie occidentale sera nuitamment hantée de ce spectre hideux qui ressurgira de son ombre au moment le plus inattendu. Par exemple, dans cette déclaration du physicien David Bohm :

« Il existe un postulat généralement admis, de manière tacite, selon lequel la pensée nous décrirait seulement comment sont les choses et ne ferait rien d'autre - selon lequel c'est "vous" qui êtes derrière tout cela et qui décidez quoi faire de cette information. En vérité, vous ne décidez nullement quoi faire de cette information. La pensée le fait pour vous. Elle vous fournit toutefois l'information fallacieuse que vous êtes aux commandes, que vous êtes celui qui la contrôle alors qu'en réalité, c'est la pensée qui est la seule à contrôler chacun de nous.

La pensée crée des divisions en dehors d'elle-même, à la suite de quoi elle soutient que ces divisions étaient là naturellement. [...] Ainsi est-elle constamment en train de créer des problèmes puis de tenter de les résoudre. Or ce faisant, elle rend les choses pires si c'est possible car elle ne remarque pas que plus elle pense, plus elle divise, plus elle crée de problèmes.

C'est pourquoi je dirais que le système comporte une faille - une faille systémique : ce n'est pas une erreur qui réside ici ou là ; elle est à la base de tout le mécanisme ; elle est partout et nulle part. Vous pouvez toujours vous dire : « Voici un problème. Je vais porter ma pensée dessus et le résoudre ». Mais "ma pensée" fait partie du système. Elle est d'une nature similaire à la faille que je suis en train de considérer.
»

Cet argument réfute la Méthode de Descartes. Il affirme que le problème vient justement de la pensée et qu'il réside précisément en la division du problème en détails plus petits. Selon Bohm, le Malin Génie évoqué par Descartes aurait réussi à se glisser à l'intérieur même des deux talismans qui devaient le protéger de lui.

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