Entre deux valises, je me risque à glisser une critique cinématographique. A noter aussi : bientôt la sortie en salles de Nausicaä de la Vallée du Vent, un des premiers dessins animés (1984) de Hayao Miyazaki !
Dans toute l'histoire du cinéma, peu d'aventuriers posèrent le pied sur les terres mouvantes du rêve. Je ne vois que quatre films à citer : le romanesque Peter Ibbetson de Henry Hathaway, le somptueux Rêves d'Akira Kurosawa, l'énigmatique Mulholland Drive de David Lynch et, plus accessoirement, la Clinique du Dr Edwards d'Hitchcock et Dali. En conséquence, la Science des Rêves de Michel Gondry mérite déjà par son sujet qu'on y jette un oeil intéressé.
Malheureusement, je crains que ce film n'ait jamais l'occasion de rencontrer son public. La raison principale en est que, sorti en Août, il peut ne pas correspondre aux attentes de l'estivant. La seconde est que le public le plus apte à l'apprécier est, à mon avis, celui qui se déplace pour les Klapisch, les Jeunet et les Almodovar. Or la bande-annonce française fait preuve d'un exécrable ciblage en misant sur le rôle grotesque et secondaire d'Alain Chabat, ce qui est sans doute plus propre que toute autre chose à les rebuter. La troisième enfin, qu'un des deux thèmes, le retour vers la mère par absence de modèle paternel viable - bien que très contemporain comme on le constate en politique française - ne me semble pas résolu d'une manière qui satisfasse le spectateur actuel. En bref, l'oeuvre n'est pas parfaitement synchrone, peut-être à quelques mois près, avec l'époque. Cet inconvénient est souvent synonyme d'insuccès mais jamais d'absence de qualités.
La Science des Rêves est assez peu classifiable : quant au sujet, ce n'est ni juste une histoire d'amour, ni juste un délire onirique, ni juste une discrète comédie de moeurs mais le mélange baroque des trois ; quant au ton adopté, j'aurais bien du mal à le définir : quelque part au beau milieu entre les Scorsese et Godard des débuts et les Wallace et Grommit... Ce saut périlleux invraisemblable est honnêtement exécuté par l'acrobate qui parvient tant bien que mal à retomber sur ses pieds malgré la difficulté imposée. Au cheval d'arçon, rien que cela vaudrait les applaudissements.
Je trouverai de petites choses à redire à la Science des Rêves mais il me semble qu'elles relèvent surtout du goût personnel. Je n'ai pas vraiment aimé les deux personnages centraux et leurs marottes. Je ne peux sincèrement en faire le reproche car d'une part, elles sont en corrélation avec le thème infantile, d'autre part j'ai un fort a priori négatif sur ce motif récurrent du jeune cinéma français. La description du milieu professionnel me fait penser aux caricatures de Caméra Café. J'ai aussi trouvé le jeu des acteurs un peu inégal entre eux - mais en contrepartie Charlotte Gainsbourg est vibrante d'émotion intériorisée et Emma de Caunes impressionnante de naturel. Or il peut s'agir d'un part pris de Gondry d'effectuer un collage de références disparates, dans le but, comme il le fait dire au personnage de Stéphanie, de recréer le hasard. Cet effet n'est toutefois pas explicite dans le style. Si je devais donc faire une seule critique réellement fondée sur l'esthétique, je remarquerai surtout que la bande musicale ne me paraît pas nettement correspondre au sujet.
Les deux thèmes principaux, la régression vers la mère et l'histoire d'amour, lesquels sont entremêlés, sont - je trouve - écrits avec suffisamment de brio pour que je puisse supposer leur traitement conscient de la part de l'auteur. La description des psychologies est fine, l'ensemble des dialogues précis, de nombreuses situations excellentes. Plusieurs scènes sont mémorables et quelques unes approchent de la même beauté magique que l'on trouve dans la lyrosophie d'Epstein ou le réalisme poétique de Carné-Prévert.
En ce qui concerne le sujet à proprement parler, Gondry s'attache à décrire le chaos des perceptions et l'entretissement du rêve (1), des états hypnagogiques, du dialogue intérieur et de la réalité. A ce propos, je remarque que nombre de personnes n'ont pas compris certaines situations ; on peut lire partout sur le net : "devant des caméras en carton, il s'invente une émission de télévision sur le rêve". C'est un malentendu. Le plateau de télévision en carton représente le théâtre intérieur de la pensée du héros, sur lequel il se met lui-même en scène. Il est aussi utilisé de manière rhétorique pour faire passer une base d'information. Je préfère préciser ce point. Je le crois important pour une meilleure compréhension du film.
A cause des thèmes et de leur résolution, la Science des Rêves n'est pas propre à déclencher l'enthousiasme. Mais le spectateur averti en ressortira certainement avec une très favorable impression.
(1) La Science des Rêves n'est pas un film sur le rêve lucide comme la bande-annonce me l'avait laissé supposer : la machine à détecter le sommeil REM sert en fait à induire des rêves. Le contenu onirique porte donc sur une interprétation de type analytique et ce type de rêves passifs convient plus à la mollesse et au caractère d'enfant gâté du personnage central.
4 commentaires:
J'espère que tu as posté ça sur un forum d'Allocine. Il y a des gens intelligents qui les lisent, et parfois des discussions intéressantes. Je pense que ton article y serait apprécié au moins par quelques personnes.
rien qu'à lire ton billet, on imagine qu'il s'agit d'une resucée de son film précédent "eternal sunshine of the spotless mind". Le spectateur averti se demande s'il a envie de le revoir ou s'il ne serait pas plus judicieux de bosser sur le rêve lucide.
Moi,j'ai vraiment bien aimé... plus que le rêve, c'est la capacité de quelqu'un à appréhender Sa réalité qui m'a interessée... Il ne rêve pas tant que ça, il interprète...
Coucou me revoilou!
John, je sais pas, je n'ai pas vu Eternal Sunshine of the Spotless Mind. C'est curieux car pour ce film, le scénariste était celui de "Dans la peau de John Malkowitch", alors que là, c'est Gondry lui-même qui a fait le scénar.
Flo, non, je ne l'ai pas publié sur Allociné. C'est vrai que je pourrais essayer de publier mes critiques là aussi.
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