Je ne souhaite pas faire la critique négative de Match Point de Woody Allen. C'est tout de même un travail propre où l'on sent la touche de l'artiste et il ne mérite pas un tel traitement. Je m'attacherai donc à faire celle de certains critiques qui eux, font profession de ne pas savoir juger un film.
Les articles publiés dans les journaux, pour la plupart des dithyrambes, décrivirent une « comédie », « servie avec la part de drôlerie qui appartient à la vie », « balayant les clichés de l'ambition et de l'adultère d'un magistral revers » ; d'un «monument de cynisme », d'une « amoralité » et « d'une exceptionnelle noirceur métaphysique » ; d'une oeuvre dont la «virtuosité scénaristique » montre « l'évolution de la société devenue mondialiste et consumériste » - sur ce dernier point, notons que le film adapte un roman publié vers 1930 !
Revenons maintenant au film tel qu'il est. Ce n'est pas une comédie : il n'est pas le moins du monde drôle ; et à l'exclusion d'un seul dialogue le spectateur n'a pas ri. Les clichés n'y sont pas exploités ni renversés virtuosement, comme le pratiquent par exemple les frères Cohen, et le scénario reproduit un poncif prévisible. Il ne peut être sombre puisqu'il n'y a pas de contraste. En comparaison, la noirceur de Million Dollar Baby de Clint Eastwood est due à la pureté idéale de l'héroïne. Or le principal personnage de Match Point est dès sa présentation un tricheur qui se complaît dans ses mensonges ; et il gagne son ticket d'entrée dans la haute société en commettant un meurtre. Le film donne ainsi la leçon que « pour être riche, il faut être un criminel » et cette morale - car il s'agit bien d'une morale - pourrait paraître cynique si elle n'était amoindrie par un discours sur la chance. Mais le point de vue cynique nécessite une référence extérieure qui n'est pas proposée, la seule perspective étant l'optique biaisée du héros.
Evidemment, on peut faire une bonne histoire de ce sujet. Le premier exemple qui me vient à l'esprit est The Talented Mr. Ripley de Patricia Highsmith : un escroc minable s'immisce dans la vie d'un couple jeune, riche et désoeuvré et s'empare de leur fortune grâce à un meurtre. Par hasard, il est disculpé et dépouille la petite amie de l'héritage. Mais Patricia Highsmith, et ceci bien que l'histoire soit narrée - si mon souvenir est bon - à la première personne, s'attache à établir une distanciation entre le personnage principal et le lecteur. Elle ne lui demande pas de participer à la mentalité mesquine de Mr. Ripley ; il est au contraire amené à la disséquer à travers son journal et à défaire le noeud des sordides motivations et des piètres justifications du narrateur. Woody Allen n'y parvient pas car il continue, sur un sujet qui lui est étranger, à utiliser sa mise en scène ordinaire - plans proches montés en un enchaînement rapide - laquelle incite le spectateur à s'identifier au héros et à s'impliquer dans ses choix.
Comment comprendre alors le succès de ce film ? Je crois que, comme dans le conte d'Andersen Les Habits Neufs de l'Empereur, tous les courtisans se sont observés et personne n'a osé prendre sur soi de dire : « Mais il n'a pas d'habit du tout ! »
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