lundi, juillet 10, 2006

Voyage au coeur de la métaphore



Puisque l'occasion m'en est fournie par les précédents articles, je développerai un exposé commencé il y a neuf mois.

Comme je le disais alors, notre compréhension du monde, notre faculté de dériver d'une expérience ancienne les fondements nécessaires à l'appréhension d'une nouvelle et de produire ainsi une représentation plus complexe découle essentiellement de la métaphore. Elle n’est pas un charmant artifice de rhétorique inventé par les poètes mais un des principes structurant notre raisonnement et par conséquent notre vision de l'univers.

Dans certains domaines, il est impossible d'établir une classification sans recourir à elle. L'oenologue, pour définir les qualités ou les défauts d'un vin, le compare à l'être humain ; il utilise des termes comme robe, corps, jambe, charnu, charpenté, gaillard, maigre ou opulent.

Le langage scientifique est nécessairement métaphorique car c'est le seul moyen d'agencer des vues abstraites ; et la mathématique, sur laquelle toutes les autres sciences sont fondées, est considérée - à fort juste titre, je trouve - par le mathématicien Bronowski comme « la plus colossale des métaphores imaginables ». On ne peut d'ailleurs que s'étonner de son succès.

Il serait sans doute prématuré, dans l'état actuel de nos connaissances, de vouloir circonscrire l'activité métaphorique à une zone donnée du cerveau. Toutefois, plusieurs expériences menées l'année dernière par le Pr Ramachandran de l'Université de Californie à San Diego ont mis en relief le rôle du gyrus angulaire. Situé à la jonction des lobes temporal, pariétal et occipital, soit à proximité de zones spécialisées dans le traitement de la vue, du toucher et de l'ouïe, il effectuerait la synthèse des impressions sensorielles afin de construire une perception évoluée et, selon les dires du professeur, « contribuerait fortement à [...] la pensée métaphorique et aux autres formes de pensée abstraite ».

Ces expériences montrent que des patients présentant une lésion au niveau du gyrus angulaire gauche interprètent les métaphores au pied de la lettre, sans parvenir à saisir le sens de l'image (1) ; ils échoueront aussi au test Kiki et Bouba, contrairement à 95% de la population. Ils ne peuvent associer spontanément deux sensations- ce que l'on appelle synesthésie - ni relier deux termes en établissant un parallèle entre leurs champs sémantiques respectifs - le rôle de la métaphore. Il leur est donc impossible de se transporter d'un plan à un autre - car c'est le sens du verbe grec metaphorein : transporter, porter au delà. Et puisque nous parlons de la faculté d'atteindre d'autres plans, il semble que, singulièrement, cette propriété de la métaphore soit à prendre au pied de la lettre...

Il existe en effet un domaine sans rapport évident avec le langage où l'on peut avoir l'impression d'être transporté dans d'autres niveaux de réalité : je veux parler de ces rêves lucides durant lesquels on flotte au dessus de son corps endormi. Ces expériences de "dédoublement", aussi vieilles que le chamanisme, sont sans doute à l'origine de l'idée de l'âme (2) et de monde spirituels juxtaposés au monde des hommes. Or, il y a quelques années, une équipe de chercheurs suisses provoqua involontairement une telle expérience chez sa patiente : après avoir éprouvé des sensations de chute ou de balancement, elle se vit de dessus allongée dans son lit. Quel rapport, me direz-vous, entre ce changement de plan visuel et celui, purement conceptuel, de la métaphore ? Eh bien c'est qu'ils avaient stimulé, justement, le centre de cette dernière, le gyrus angulaire. (3)

J'avance l'hypothèse que la métaphore n'est pas « purement conceptuelle » mais qu'elle associe, de même que la synesthésie, des qualités de l'environnement sensible. Si cela s'avérait, il serait justifié d'envisager le rêve lucide comme l'exploration d'un monde concret, celui de la métaphore. Et de même que le mathématicien ne privilégie pas la racine réelle sur la racine imaginaire du nombre complexe, il nous faudrait considérer ce monde comme aussi vrai que la réalité.

(1) Par exemple, ils comprendront par « tout ce qui brille n'est pas or » le fait que la prudence est de mise lors d'achats d'orfèvrerie.

(2) Au IIème siècle avant J.C., le philosophe Lucien affirmait que l'âme d'Hermotime de Clazomène « quittait son corps, voyageait toute seule, puis revenait et l'occupait de nouveau ».

(3) Le gyrus angulaire droit. C'est une des rares parties du cerveau droit à être impliquée dans des fonctions relatives au langage, très probablement dans les métaphores spatiales.

Sources:
Scientific American - Brain Region Linked to Metaphor Comprehension.
New Scientist - Brain probe triggers out-of-body experiences.

Illustration : Pieta, William Blake

3 commentaires:

l'écrivaillonnne a dit…

Question qui n'a rien à voir : je peux mettre ton blog en lien sue le mien ?

Dado a dit…

Pas de problème. Et vice versa ?

l'écrivaillonnne a dit…

oui s'tu veux, les trolls, c'est rien que des nains (pas) puissants...