vendredi, octobre 07, 2005

La raison à l'état sauvage

Il me semble comprendre, d'après ce que j'ai pu lire des psychologues et des cogniticiens, qu'ils considèrent l'activité métaphorique comme une sorte de sous-produit ou, pour être plus précis, une sorte de produit dérivé du langage. Comme si le langage était rationnel par nature et que les poètes et leur confuse Muse, le Rêve, rajoutaient une couche d'abstraction incompréhensible sur ce qui était suffisamment clair auparavant.

Cette vue rationaliste paraphrase en fait le texte de Maupassant cité dans l'article précédent. Je ne pense pas me tromper en affirmant que c'est aussi le sentiment de Freud, pour lequel la symbolique du rêve est le résultat des processus du refoulement. Quant aux neurobiologistes, s'ils ont tendance de nos jours à refuser la description freudienne, la plupart d'entre eux semblent tenir la métaphore pour une figure de style dont ils ne se soucieront qu'une fois résolus les mécanismes du langage "naturel".

Autant dire que je ne souscris pas à cette opinion. Pour tout dire, elle me semble conduire à une impasse, de la même manière que créer des intelligences artificielles sans leur fournir les moyens de la perception de l'univers qu'elles étaient censées décrire a abouti à un échec. Pour moi, ce jugement est la conséquence d'incroyables surestimation des capacités de la raison et méconnaissance de l'intelligence, considérées a priori comme infaillibles - sauf erreur ; et ce reliquat médiéval d'une parenté entre la souveraine intelligence divine et celle humaine me semble très douteux, comme un indice sur les connivences entre les croyances de la science et de la religion chrétienne... mais c'est là un autre sujet !

Revenons donc à nos moutons métaphoriques. La métaphore n'est pas une simple tournure d'esprit. C'est une des manières d'appréhender ce qui nous entoure, en réduisant des éléments inconnus à des éléments connus, en établissant un transfert de signification entre deux codes, deux champs sémantiques. Si la poésie use souvent de la métaphore, en vérité la métaphore affecte tous les domaines de la pensée, depuis le rêve jusqu'à la description scientifique. Ainsi, la représentation de l'atome sous la forme d'un système solaire, avec de minuscules électrons tourbillonnant autour d'un noyau comme des planètes, est une métaphore.

Le type de raisonnement métaphorique, qui se résume à « A est à B comme A' est à B' », est ce que les ethnologues ont appelé la pensée magique. Contrairement à ce que l'on veut bien croire, ce n'est pas une sous-pensée - ou bien c'est une sous-pensée dans le sens précis où elle est la base sous-jacente à la pensée, à l'intelligence et à la raison.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Personnellement, j'ai plutôt l'impression que la base sous-jacente est la clarté, et que tout le reste est à mettre au même niveau. Autrement dit, l'état de veille et l'état de rêve sont deux états qui "valent" la même chose quoique différents, la source commune étant rigpa. Que ce soit une pensée organisée ou une métaphore, au vu de la clarté, ça apparaît de la même façon, c'est une émergence, il y en a une rouge et bleue, et une autre avec des mots, mais c'est pareil.
Si cependant on voulait trouver une matérialisation de cette clarté, on trouverait les visions de thögal, qui se présentent sous formes de couleurs et qui ne ressemblent pas davantage à des métaphores qu'à des mathématiques.
Dans ma déconstruction de l'esprit, je n'ai pas vu d'ordre, ou de hiérarchie, entre métaphore et raison... et en fait je dirais même que la mathématique est première car les visions de thôgal ressemblent plus à des maths qu'à des poèmes. Elles ont l'air construites comme la nature, qui est très géométrique.

Dado a dit…

"Que ce soit une pensée organisée ou une métaphore, au vu de la clarté, ça apparaît de la même façon, c'est une émergence, il y en a une rouge et bleue, et une autre avec des mots, mais c'est pareil. [...] Dans ma déconstruction de l'esprit, je n'ai pas vu d'ordre, ou de hiérarchie, entre métaphore et raison..."

Je pense qu'on est plus ou moins d'accord. Dans le fond, ce que je signale dans cet article, c'est qu'une pensée "raisonnable" n'est qu'une métaphore poétique, incluse dans un système un peu plus organisé. Il ne m'étonne donc pas que dans la méditation, on ne fasse pas la différence entre l'une et l'autre. Ma dernière phrase prête à confusion dans le sens où il existe en effet des pensées "brutes", comme les hallucinations hypnagogiques, qui ne semblent pas être liées à une activité métaphorique - quoi que ça reste à prouver, puisque on doit pouvoir sans doute trouver des "associations".

"Je dirais même que la mathématique est première car les visions de thôgal ressemblent plus à des maths qu'à des poèmes."

Je suis d'accord, les maths décrivent une structure première sur laquelle les pensées viendront se coller comme par aimantation. Lorsque plusieurs pensées sont accolées, elles créent une association. La métaphore se situe encore a un niveau au dessus, puisqu'elle a besoin de deux champs sémantiques déjà constitués pour prendre de la force. Ceci dit, bien que la métaphore est le plus souvent associée à la forme poétique, donc verbale, je pense qu'elle peut s'exprimer à travers des pensées visuelles. Mais pour quelqu'un qui pratique la méditation, j'imagine tout ceci est de peu d'importance, puisqu'il s'agit seulement d'émergences.

Anonyme a dit…

En fait les hallucinations hypnagogiques ne sont pas brutes, c'est ça qui est incroyable. Elles sont telles parce qu'elles sont saisies, l'esprit y trouve un "sens". Ce sens n'est pas verbalisable, ni explicable, c'est souvent un sens kinesthésique, voire énergétique, quoi qu'il en soit ce n'est pas brut de pomme.

Dado a dit…

LOL ! Apparemment, j'aurais donc choisi pile le mauvais exemple ! Ceci dit, je ne vois pas trop comment les images hypnagogiques ont un sens. Je pense que je ne comprends pas ta notion de sens "non verbalisable", en fait...