« Un matin, au sortir d'un rêve agité, Grégoire Samsa s'éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine ». Cette phrase mémorable qui ouvre le roman « La Métamorphose » de Franz Kafka peut s'appliquer à mon état d'esprit, ce petit matin au réveil. Je m'extirpai d'un songe tendu et angoissé. Je me rappelai distinctement les différents épisodes et j'avais de plus l'intuition globale de leur signification. Je notai le rêve afin de ne pas l'oublier et j'en profitai pour terminer l'interprétation, laquelle me renvoya la plus laide image de moi-même.
Il ne me semble pas un hasard de citer Franz Kafka. Il est l'auteur qui s'est le plus profondément impliqué dans la description du labyrinthe glauque de l'âme humaine. Dostoïevski, pourtant le fondateur du roman psychologique, s'en tient au tableau des perplexités de la part raisonnable de celle-ci. Mais la raison n'est qu'une des marionnettes de notre théâtre intérieur, celle qui devant le rideau rouge, retombé à la fin de chaque acte, récapitule les scènes que l'on a vues, ergote et justifie le comportement de Scaramouche, de Polichinelle et de Colombine. Pauvres marionnettes dont le manipulateur a malencontreusement enchevêtré les fils, vos mouvements entremêlés peinent à faire croire qu'ils sont le fruit d'un travail prémédité de l'artiste !
Je ne peux me vanter d'être un modèle de simplicité psychologique. Il existe peut-être quelques rares personnes dont les actions et les pensées simples convergent vers le même but - et si ces personnes existent, elles ne sont certainement pas celles que l'on croit ; car comme l'avait pressenti Freud, le moteur principal de nos actions est la censure et la motivation de la plupart d'entre nous, en conséquence, la lâcheté et le conformisme - comme le montrent les impératifs de sécurité qui fondent toute société. Dans le fond, tout le monde fonctionne à peu près pareil ; et c'est ce qui permet l'effet Barnum - le fait que chacun se reconnaît dans une description psychologique contradictoire. Nous agissons tous de la même manière, avide, craintive et moutonnière, et si nous sommes capables de discerner des différences entre telle ou telle personnalité, dont nous connaissons intuitivement les mécanismes puisqu'ils sont présents en instance dans la nôtre, ces différences sont aussi superficielles. Et les généralités de comportement qu'il est si simple de mettre en l'évidence lorsqu'il s'agit d'un objet éloigné, par exemple le sexe opposé, ne semblent pas s'appliquer à nous seuls. De la même manière, il nous est aisé de différencier deux visages et cette faculté s'estompe quand ils sont d'un pays lointain. Seules les illusions de notre identité et de notre précieuse unicité nous cachent que nous ne sommes pas plus différents que deux moutons dans le troupeau.
Mais le pire dans l'affaire est la relativité qui s'exerce sur l'ambiguïté de ces sentiments. Toutes ces tendances internes se réfrènent mutuellement au point que la satisfaction de l'une engendre nécessairement la souffrance de l'autre. De plus, leur identification est floue car elle est affaire de société, puisque c'est la société qui décide de la dénomination et juge arbitrairement de la valeur accordée à telle ou telle tendance ; de telle sorte que, comme le myope qui a perdu ses lunettes et pour les retrouver, demande à un autre de lui prêter les siennes, nous ne voyons qu'une image troublée de nous-mêmes. Pour toutes ces raisons, il n'est pas de qualité qui ne possède en germe son défaut contraire ; et chacune de ces tendances observe et reflète l'autre, de telle manière que notre âme ressemble à un labyrinthe de miroirs déformants. Devant ce constat, il n'est pas possible à mon avis, ni en se positionnant comme un observateur extérieur d'arriver à fournir une description froide et scientifique de ce chaos ; ni par un ressenti intérieur appuyé d'une philosophie quelconque, de s'en sortir indemne.
Puppets in a store, Prague, Czech Republic
Photographs courtesy Tudor Hulubei
3 commentaires:
Bonjour,
Issu de l'univers de John Warsen, me permettez-vous de déposer mon vaisseau internautique sur Songes de la Raison?
Le texte ci-dessus me rappelle une formule à la Pierre Dac que j'avais trouvée (attention: copyright KlöD):
"Tout homme a des motivations qui le poussent à s'opposer à celles qui l'empêchent d'aller dans le bon sens"
Je ne pensais faire que de l'humour, mais je m'aperçois qu'il se cache derrière tout cela un sérieux problème, décrit notamment dans la formule:
"Toutes ces tendances internes se réfrènent mutuellement au point que la satisfaction de l'une engendre nécessairement la souffrance de l'autre"
ou encore:
"il n'est pas de qualité qui ne possède en germe son défaut contraire ; et chacune de ces tendances observe et reflète l'autre, de telle manière que notre âme ressemble à un labyrinthe de miroirs déformants"
Etonnante ressemblance avec ma formule perso qu'elle est à moi.
Alors voilà, je voulais simplement en témoigner.
Bon, je mets en route les rétrofusées et je repars.
Bye!
Bonjour KlöD,
En effet, c'est une excellente formule ! :)))
Mais encore faudrait-il savoir quel est le bon sens... ;)
Bye!
"j'en profitai pour terminer l'interprétation, laquelle me renvoya la plus laide image de moi-même."
malgré les effluves de sagesse gréco-latine qui se dégagent de la suite du post, c'est cette phrase qui, bien des années plus tard, retient mon attention.
Une amie dit que le problème, c'est aussi d'arriver à gérer l'orgueil bien réel qui résulte du sentiment de sa propre nullité, car plus une personne se trouve nulle, plus en général est aura développé de l'orgueil par-dessus pour arriver à survivre. Et que faire aussi de cette énorme tendance à la distraction qui est la fuite de tout cela ? lol
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