Il est certaines oeuvres littéraires qui sont justement si... littéraires qu'il est impossible de les adapter au cinéma. J'estime que le Seigneur des Anneaux en est une ; et pour se lancer dans cette entreprise il a fallu à Peter Jackson une grande dose de folie ainsi que d'inconscience quant à ses propres capacités - ou d'incompréhension quant aux mécanismes internes du roman. Personnellement, j'imaginais très mal comment le réalisateur de Bad Taste, Brain Dead et Meet the Feebles allait pouvoir se tirer de ce mauvais pas - ceci malgré l'Oscar du meilleur scénario et le Lion d'Argent obtenus pour Heavenly Creatures - et ce fut plutôt une bonne surprise. Mais son film contient tant de scories que je ne donne pas dix ans aux deux derniers épisodes pour atteindre la date de péremption.
L'ouvrage de Tolkien était à plusieurs égards un véritable piège. Depuis le départ en quête jusqu'à la destruction de l'Anneau, il n'y a pas une seule ellipse temporelle : dans ce livre de bord, chaque journée est relatée même si elle ne comporte aucun événement marquant. Ce choix singulier produit deux impressions, une mauvaise et une bonne. Il y a des longueurs insoutenables - plus d'un abandonna la lecture, soit durant les trente pages d'introduction à la vie des hobbits, soit durant la première moitié du second tome, horriblement ennuyeuse. Mais le lecteur découvre peu à peu, comme au cours d'une fatigante randonnée, les changements insensibles de somptueux paysages et cela donne une richesse et une densité de sensations incroyables aux pays traversés et aux peuples rencontrés. Cet effet contemplatif ne pouvait être rendu qu’au prix de la lenteur du récit, intolérable au spectateur de cinéma qui attend de l'action.
Autre problème : il n'y a pas vraiment trois tomes bien définis dans l'oeuvre de Tolkien. Ils forment un bloc et la scission semble plus être due à des raisons d'édition qu'autre chose. Le film ne suit pas ce découpage. Le premier épisode évite le détour par la vieille forêt de Mirkwood et la rencontre avec Tom Bombadil - une digression hors sujet. Il déborde sur le tome II et se clôt sur la mort de Boromir et le départ solitaire de Frodon et Sam, ce qui est aussi bienvenu - chose curieuse, cela suit le résumé du tome précédent sur ma vieille édition ; on y apprend la mort de Boromir au lecteur qui ne le sait pas encore ! Le second épisode du film s'arrête avant la fin du tome correspondant, le passage de l'araignée. Il était très bien vu de le déplacer au troisième épisode puisque c'est la porte qui ouvre sur le royaume du Mordor. Enfin, il fallait supprimer la rencontre finale avec Saroumane, devenu le patron minable et tyrannique d'une usine de tabac dans la Comté. Cela nuit à l'impression d'épopée. En bref, le découpage de l'histoire est sans doute le point fort du travail de Peter Jackson.
Par contre, le livre possède une profondeur lyrique et épique dont le film - un film d'aventures dans le style hollywoodien, est dépourvu. L'essentiel de la poésie, de l'ampleur de sentiment qu'évoquent ces paysages enrichis de légendes des Terres du Milieu a disparu. On ne retrouve pas le souffle héroïque des grandes batailles du gouffre de Helm et de la plaine de Minas Tirith, non plus que la grandeur d'âme ni la puissance tragique des déclamations des héros. Les personnages principaux d'Aragorn et de Boromir sont faibles comparés à la noblesse des personnages secondaires de Théoden et d'Eomer. La traversée du Chemin des Morts et l'alliance lugubre de l'armée des spectres perd tout son effroi. Mais le pire de tout, ce sont les Elfes : frisant le ridicule, ils font penser à des surfeurs californiens en robe de chambre (1) et je dois avouer que j'ai été terriblement déçu.
Certains passages sont toutefois mieux rendus dans le film, comme le village de Cul-de-Sac ou les mines de Khazad-Dûm. Il m'étonne de voir que Tolkien, qui a si intensément imaginé les Elfes, n'a pas su trouver la beauté des petits êtres, Hobbits et Nains, alors que le contraire se produit pour Peter Jackson. Il doit y avoir une question de conformation physique et psychique dans tout cela car le réalisateur, qui ressemble d'ailleurs à un Nain, a dans le fond accompli un travail de longue haleine digne de ses ancêtres de la Moria.
(1) à ce propos, comparer les coiffures de Légolas et de Brice de Nice est très instructif.
Peter Jackson, le descendant des Nains de la Moria
1 commentaire:
Je ne suis pas d'accord sur le souffle héroïque des batailles. Au contraire je trouve que c'est super bien rendu. Je ne sais pas ce que tu avais imaginé, mais pour moi, tout y est. Par contre c'est vrai que les elfes sont minables, mais je ne sais pas si Tolkien les aimait tant que ça, quand on le lit le Silmarillion on a l'impression qu'ils sont fous. Globalement j'ai bien mieux aimé que le roman, où j'ai dû m'arrêter au milieu du Tome 3 d'ailleurs.
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