vendredi, novembre 25, 2005

Le Seigneur des Anneaux

>> Flo : Je ne suis pas d'accord sur le souffle héroïque des batailles. Au contraire je trouve que c'est super bien rendu. Je ne sais pas ce que tu avais imaginé, mais pour moi, tout y est.

Aïe ! Je constate avec horreur que la locution "souffle héroïque" est de moi... Ce que cela sonne mal ! J'ai beau jeu de critiquer un film quand ma capacité d’expression ne s'élève pas au dessus de celle de la Dépêche du Midi. Ma réponse à cette remarque serait trop longue dans un commentaire, j’en fait donc un article.

Le Seigneur des Anneaux est un roman unique dans l'heroic fantasy, tant par sa qualité littéraire que poétique. Aussi ne puis-je comparer les impressions que j'ai retirées du livre et du film : le livre vise à la beauté ; on ne peut compter les instants forts et envoûtants. Le film est tout au plus prenant et l'intrigue se déploie dans des décors parfois réussis. Il n'était pas possible de tout rendre d'un ouvrage long de plus de deux mille pages. Peter Jackson s'est contenté de résumer l'essentiel des actions et chacun de ses épisodes dure pourtant entre trois et quatre heures ! C'était déjà une gageure que de maintenir l'attention du spectateur tout ce temps.

En conséquence de quoi, tout l'arrière-plan mythique et historique évoqué dans le roman disparaît. Chez Tolkien, les événements se déroulent dans une nature imprégnée de légendes. Vieilles de plus de mille ans, elles sont cependant toujours vivaces et on peut en croiser les héros au détour d'un chemin. Les actions des personnages sont la conséquence et le reflet des actes du passé. Ainsi lorsqu'Aragorn voit Arwen pour la première fois sous le feuillage doré de la Lothlorien, il l'appelle du nom de Tinúviel, empruntant l'image qu'utilisa son ancêtre Beren lors de sa légendaire rencontre avec Lúthien, la plus belle des enfants d'Ilúvatar ; car Aragorn, émerveillé par la beauté d'Arwen, ne doute pas un moment qu'elle ne soit le fantôme de celle-ci. Sa première parole donne le ton à leur triste histoire d'amour, miroir décevant de celle de leurs aïeuls. Ces légendes omniprésentes sont chantées par les héros, lors des haltes, près du feu de camp. Il est quasiment impossible de rendre l'effet de ces redondances purement littéraires dans un film ; et montrer brièvement Elrond dans une des batailles du Premier Age ne suffit pas à restituer la profondeur historique du roman. Aussi est-ce tout un plan du récit qui disparaît, ce qui concourt de manière nécessaire à son appauvrissement.

D'autre part, Peter Jackson semble s'être heurté à un problème avec la poésie - et c'est sans doute la réticence du spectateur contemporain qui le paralysa. Il la traite comme une chose honteuse à laquelle un personnage se laisse aller quand il n'est pas au mieux de sa forme. Or elle est un élément essentiel de la culture des Terres du Milieu et chaque peuple développe son style, bucolique et grotesque pour les hobbits, céleste pour les elfes, nostalgique pour les humains. Seuls les orques n'ont pas de poésie. Cela signifie que dans ce monde essentiellement contemplatif, les êtres recherchent avant toute chose la beauté et l'harmonie à travers les valeurs qui leur sont propres. Mais si dans Tolkien, la poésie s'intègre naturellement à l'univers décrit, ce n'est pas le cas du film de Jackson où elle dépare comme une verrue.

Quant au souffle épique - et non héroïque, car il y a bien de l'héroïsme dans le film - il est difficile à définir car c'est un sentiment qui a presque entièrement disparu avec la guerre de masse. Le Seigneur des Anneaux est le seul ouvrage contemporain où il soit présent et cela est du à l'influence probable sur l'auteur des sagas nordiques et des romans de chevalerie. Or déjà l'historien Froissart, au quatorzième siècle, se rendait compte que la guerre est rien moins que chevaleresque ! Le sentiment épique est issu d'un système de valeurs fondées sur la reconnaissance de la guerre comme une des principales activités humaines, tout en admettant la présence d'un élément non-humain - disons divin - en celle-ci ; en conséquence, sur la primauté accordée à la caste guerrière et la nécessité pour elle d'adopter une attitude idéale incluant le respect, le côtoiement de la mort et la noblesse du coeur. Toutes ces choses désuètes ont rarement existé dans la pratique mais c'est le seul point de vue poétique et raffiné possible sur le carnage commun. Dans l'ouvrage, il est traité à travers la grandeur des attitudes et des dialogues des guerriers et des rois. Il est absent du film.

Or ce n'est pas seulement la subtilité des sentiments qui est affectée par l'adaptation mais aussi leur intensité. Je me rappelle avoir pleuré à chaudes larmes la mort de Boromir - chose improbable dans le film où il est assez antipathique ; et on a tendance à confondre ses traits de personnalité et l'influence délétère de l'anneau. Quelques mois plus tard, mon petit frère se plongea à son tour dans le roman. Un midi, on le vit se mettre à table les yeux rougis. Je supposai qu'il venait de lire ce passage et il me répondit que oui.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

On ne doit pas avoir les mêmes valeurs, moi j'ai pleuré la chute de Barad-dûr... bon, je rigole, mais pas tant que ça finalement. Les ennemis de taille sont absolument nécessaires pour que tout puisse se déployer, sans compter que, fortement idéalisés, ils n'apparaissent que sous leur meilleur jour. Point de centrales nucléaires ni de dioxine dans le SDA. On voit bien quelques arbres abattus, ce qui est bien triste, mais on peut toujours mettre ça sur le compte de cet imbécile de Saroumane. Bref, la grande qualité de l'ennemi est vraiment de faire ressortir les qualités, ou absences de qualités, des héros, et de mettre un peu d'animation, ce dont nous avons grand besoin. Comme le disait si bien Rumi, sans Pharaon, point de Moïse. Une fois que l'ennemi est mort, les héros vont rentrer tranquillement dans leurs petites maisons, et ils vont se faire chier à mort, et nous aussi. Il n'a jamais été souhaitable que Sauron devienne maitre des terres du milieu, ce qui aurait rendu la vie tout aussi chiante (sinon plus), mais il était vraiment souhaitable qu'il reste, afin que personne ne s'imagine pouvoir vivre tranquillement. Il n'y a rien de plus mortel qu'une petite vie tranquille (il n'y a qu'à voir Madame Bovary), mais le plus étrange, c'est que personne ne semble s'en apercevoir. Pourtant, ce qu'on aime le plus, c'est voir les héros dans la merde, et c'est grâce à qui ? Mm ?

Dado a dit…

>>Point de centrales nucléaires ni de dioxine dans le SDA. On voit bien quelques arbres abattus...

C'est marrant que tu fasses cette remarque parce que lorsque j'ai relu le livre, j'ai pensé qu'il contenait entre autres un message contre l'industrialisation.

Sur l'ensemble de ton message, voici une citation d'Ernst Jünger que je comptais utiliser un jour :

"Et l'épouvante fait irruption quand l'on était encore assis aux tables du festin. Les convives, dans un sursaut, reconnaissent, à la lueur des flammes, le mensonge et l'illusion dont la vie tranquille enveloppe l'homme."

Mon amie astrologue m'a dit que depuis ces derniers mois, les gens ont l'impression que ça va vraiment mal hors de chez eux (réchauffement de la planète, grippe aviaire, augmentation du chomage, du coût de la vie, emeutes, etc.), du coup ils ne se soucient plus de leurs petits problèmes dans leur tête et consultent moins (il faut dire aussi que c'est une astrologue psychologique ; si son travail consistait surtout à prédire les événements, elle aurait peut-être au contraire plus de clients).

>> Les ennemis de taille sont absolument nécessaires pour que tout puisse se déployer.

Pas absolument nécessaires. La Nouvelle Héloïse de Rousseau est absolument géniale parce que tout le monde il est beau et il est gentil (pire que Candy). Mais l'ennemi est présent tout de même, bien que virtuel : c'est la différence de caste. Aussi je-ne-sais-plus-qui a dit que ce roman avait plus fait pour la révolution française que l'oeuvre de tous les philosophes des Lumières.

Mais dans l'ensemble, c'est bien sûr vrai. Je pense que cela participe de la méthode interne, l'algorithme en quelque sorte, qui nous permet d'appréhender les événements et de résoudre les problèmes.

Anonyme a dit…

Tu as raison, le SDA est contre l'industrialisation, avec toutes leurs forges souterraines, leurs orcs transgéniques, et le ciel plein de fumée, c'est aussi ce que j'avais perçu. D'ailleurs, Mordor n'est pas joli à voir (la partie qu'on nous montre, du moins), et Isengard devient une vraie ZI, digne du Creusot. Mais bon, on ne voit pas le pire de l'industrialisation, juste le début.