jeudi, novembre 03, 2005

Les fantômes du lac



"Quelle ne fut pas ma terreur lorsque je me mirai dans une eau claire ! Je reculai d'abord, ne pouvant croire que ce fut moi que le miroir reflétât." Frankenstein ~ Mary Shelley.

La Suisse est réputée pour la sereine somptuosité de ses paysages, la placidité de ses moeurs et l'indolence de son accent. Le pays, avec sa longue tradition de paix, est sans doute le seul endroit où, malgré quatre langues nationales et deux religions officielles, ses habitants ne songent pas en premier lieu à s'entretuer. Maints philosophes y ont trouvé refuge. A première vue, il paraîtrait qu'en cet endroit idyllique rien ne prédispose au cauchemar si ce n'est une indigestion de raclette. Or parmi les rares peintres suisses célèbres se comptent les fantastiques Johann Heinrich Füssli, Arnold Böcklin et Hans Rudi Giger.

C'est aussi sur les berges du Lac Léman que furent imaginés en 1816 Frankenstein et la première histoire de vampire. Quant au tranquille paysage de Montreux que l'on découvre sur la photographie ci-dessus, il a inspiré vers 1860 à Hans Christian Andersen un de ses tristes contes, la Fille des Glaces. Est-ce la vue d'un lieu tellement calme qui, comme un miroir intime, reflète les âmes agitées ?

Quand Mary Shelley écrivit à l'âge de 19 ans la terrible histoire de Frankenstein, roman vengeur où elle élimine symboliquement les membres de son entourage, elle n'avait pas l'âme au repos ; et la citation en épigraphe peut passer à juste titre pour autobiographique. Malgré tous mes efforts, je n'ai pas réussi à mettre de l'ordre dans le chaos qu'était sa vie - peut-être parviendrai-je un autre jour à la résumer.

Mais la chose étrange est la trame qui transparaît derrière le roman, sans avoir réellement de rapport avec celui-ci. En vérité, la créature de Frankenstein est un être des glaces. Insensible au froid, il habite aux cimes des montagnes et des glaciers. C'est sur la Mer de Glace que son auteur a une première entrevue avec lui. C'est au Pôle Nord, où se finit leur poursuite, que le héros mourra de froid et d'épuisement. Entre temps, la fiancée du héros aura été tuée par le monstre la nuit même de ses noces, après une promenade en barque sur le lac.

Faut-il y voir une réminiscence ? Dans la Fille des Glaces d'Andersen, le héros rencontre l'esprit féminin des glaciers. Elle tente de s'emparer de lui chaque fois qu'il s'aventure en montagne et y parviendra la nuit même de ses noces, après une promenade en barque avec sa fiancée. Les contextes dans lesquels les deux auteurs ont découvert ce paysage et dans lesquels ils ont rédigé leurs histoires respectives étaient différents. Pourtant, on y retrouve la même structure dramatique. Est-ce ce paysage, malgré son calme apparent, qui leur a imposée ?

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Il faut noter que les lacs savoyards et Suisses sont des lacs morèniques. Ils ont été creusés par des glaciers, et ça ne m'étonnerait pas qu'ils en portent la marque "énergétique". Pour ma part, quand je pense à eux, j'ai un frisson dans le dos, ils ont quelques chose de vraiment "froid". Sanc compter que les glaciers ne sont pas loin quand on y réfléchit.

Anonyme a dit…

Oups... ça s'écrit "moraine". J'ai dû confondre avec une vision de murène...

Dado a dit…

L'idée d'eau glacée doit bien mal s'accorder avec celle du mariage. D'où peut-être l'origine de ces histoires. Tous les lacs pyrénéens ont une légende disant qu'ils sont habités par des fées, des diables, que si l'on jette un caillou dedans, on attire un terrible orage, etc.

Et à l'opposé, il y a un mort par noyade tous les deux ans dans le lac qui se trouve dans la zone de loisirs près de chez moi. Comme ce n'est pas un lac de montagne, on n'en fait pas tout un flan...