mardi, novembre 14, 2006

Les Amis du Jurançon Sec et du Dessein Intelligent

Entre Mazerolles et Larreule, au détour d'un chemin creux que balafrent les traces des tracteurs, le promeneur isolé remarquera une petite stèle de pierre envahie d'orties et de ronces. Elle porte cette inscription à moitié effacée par le temps : "Ici, le 14 Novembre 1965, Léon Barifousse découvrit le Dessein Intelligent."

Hélas ! Qui se souvient aujourd'hui de ce nom ? Qui se souvient que la brillante théorie du Dessein Intelligent fut conçue, il y a à peine plus de quarante ans, par le non moins brillant Léon Barifousse, philosophe et agriculteur dans les Basses-Pyrénées ? Encore une fois les Américains s'attribuent l’origine de cette invention, tout comme ils dépossédèrent notre Clément Ader national de celle de l'aéroplane. Mais dans ces lignes, la vérité historique sera enfin rétablie.

Pas très loin de Mazerolles donc, s'étend un champ de maïs un peu en pente ; il appartient toujours à la famille Barifousse. Tous les soirs, Léon Barifousse, que chacun dans le village connaissait pour ses vues profondes, surtout lorsqu'il les étayait d'un petit verre de Jurançon sec, avait pour saine habitude d'y épancher sa vessie près du buisson d'aubépines - au fond à droite. Or ce soir du 14 Novembre 1965, ses méditations furent interrompues par le vol d'une bécasse, comme celles du curé de la chanson. Il épaule son fusil - le père Barifousse portait toujours son deux coups en prévision d'une occasion semblable - lorsqu'au moment de faire feu, il est arrêté net par une subite inspiration :

"Crénom de Dieu, se dit-il, faut-y z'être pas foutrement intelligent pour met' des ailes aux zoziaux, sans quoi qu'ils pourraient pas voler, les bougres ?"

Nous connaissons maintenant l'énoncé exact et originel de la théorie grâce à l'ouvrage remarquablement documenté : "Mon père, sa vie, son oeuvre" publié en trois exemplaires par Jules Barifousse en 1983 sur la photocopieuse de la mairie de Mazerolles. Selon ce document précieux, c'est ainsi que la bécasse eut la vie sauve et que naquit l'idée du Dessein Intelligent.

Le père Barifousse eut immédiatement l'intuition qu'il tenait là une découverte scientifique majeure. Il préféra toutefois vérifier la solidité de ses arguments avant de les présenter, une semaine plus tard, à une congrégation des philosophes les plus renommés de la commune ; elle était constituée de son proche ami Hippolyte Gargouet, du charcutier Francis Capdebosc, bien connu pour son fameux estomac de porc en gelée, et du déjà vieux mais réputé Gaspard Marquehosse, postier à la retraite. Cette nuit même, à la suite de discussions sans fin au coin du feu - dont nous ne saurons malheureusement rien - agrémentées de quelques bouteilles de Jurançon sec, les quatre savants décidèrent de fonder la Société des Amis du Jurançon Sec et du Dessein Intelligent.

Or cette grande avancée s’acheva deux ans plus tard, en Juillet 1967, le soir même de la fête nationale... En sortant dans la basse cour, le père Barifousse se fit emporter sous ses yeux un gros poulet par le renard. Comme Archimède lorsqu'il s'écria eurêka, il ne put s'empêcher de s'exclamer :

"Crénom de Dieu, faut-y z'être pas foutrement con pour met' des ailes aux poulets, pisqu'ils peuvent pas voler, les bougres ?"

Cette seconde illumination lui chamboule l'esprit ; elle lui tord aussi les tripes. Après un détour derrière le buisson, il court faire part de cette intuition à ses amis scientifiques. Mais le dogmatisme avait déjà fait son chemin dans la Société des Amis du Jurançon Sec et du Dessein Intelligent. De nouveaux membres, influents, jaloux et envieux (1) en profitent pour le discréditer ; son dernier point de vue est considéré comme une hérésie. Humilié, son axiome décrié, il se voit contraint de démissionner de la Société.

Contrarié par l'acharnement de ses ennemis, déçu par l'immobilisme de ses amis et aussi par le fait qu'il est obligé de boire son jurançon seul, Léon Barifousse persiste crânement dans ses idées. Il se met à poser les bases de sa nouvelle théorie scientifique : le Dessein à moitié Con, à moitié Intelligent.

Ce devait être là la clef de voûte de son oeuvre. Malheureusement, nous ne saurons rien de ce développement. Il restera inachevé : Léon Barifousse fut arrêté net dans ses travaux par une cirrhose du foie.

(1) Nous préférons ne pas nous étendre ici sur le rôle perfide que joua dans cette tragédie l'adjoint au maire d'une commune voisine. La postérité s'en chargera.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Décidément, il y a de drôles de flux qui circulent sur le net. Je tournais autour d'un brouillon sur ce sujet (où je développais même la petite note ;-).

Ce jésuite de Teillhard de Chardin avait largement traité de la question du dessein bien avant les amerloques ... et M. Barifousse.

Anonyme a dit…

Proclamer Française l'invention du dessein intelligent relève très honnêtement du chauvinisme.
Pourquoi critiquer en effet, nos amis américains quand depuis longtemps, de nombreuses voix européennes crient au plagiat, au vol, au crime.
Pourquoi ne pas croire, comme nos amis trans-rhénaniens, le Baron Oderfort à l'origine de cela. Mais dans cette histoire prusienne, la bécasse est un lagopède.
en Toscane, Paolo di Lazaro dans ces nobles cépages de Chianti.
Raoul Luis Solevino l'andalou, n'a t'il pas eu cette même illumination, sur le plateau de Ronda, au même moment, à la même heure ?
Alors de grâce, revenons en au vrai sujet.
Si le temps donne le ton comme l'art l'heure, il nous faudra admettre que rien ne nous appartient.

l'écrivaillonnne a dit…

Eclat de rire du matin, pfiuuu, ça fait du bien ! Mais ousse qu'i va chercher tout ça, eul' Dado, ce bougre d'toulousain ?

Dado a dit…

@ ricercar :

J'espère qu'il en était arrivé à la conclusion que c'était une idée débile. Quoiqu'il avait sans doute plus de difficultés à s'en rendre compte à son époque, puisque la science se vantait de découvrir sous peu l'ordre exact de l'univers.

@ l'écrivaillonnne:

Merci. Ca fait plaisir de voir que j'ai pu faire partager les fous rires que j'ai eus en écrivant l'article.

@ otto oderfort:

Cher baron et ami - ou puis-je vous appeler frère ?

En ces temps de confusion des valeurs européennes, le nationalisme est une idée à ne pas négliger, comme nous avons pu le vérifier il y a un peu plus d'un demi-siècle et comme nous le rappelera bientôt le bon sens qu'exprimera dans son vote le citoyen Français. Le choix sera certes difficile entre trois personnalités politiques d'une telle envergure qu'elles prônent des idées presque identiques, ce qui permet d'estimer l'intelligence et la profondeur de celles-ci. Je souhaitais exprimer en passant dans ces lignes tout le respect que j'éprouve pour cette invention romantique que je tiens pour aussi sublime que celle du Dessein Intelligent.

Je reste cependant ouvert à vos opinions, tout autant que je respecte le talent de venerie de votre fameux arrière-grand-oncle Wilhelm Otto Sigismund, troisième du nom. La perdrix lagopède est un gibier rare et goûteux. Vous dîtes que Raoul Luis Solevino fit le même jour à la même heure la même découverte. Je vois en cet argument irréfutable la preuve même du Dessein Intelligent. Quant à Paolo di Lazaro, n'était-il pas un ami du poète provençal Romain Pallori dont nous admirons tous deux l'agencement impeccable des strophes ?

Tout en attendant de votre part plus de références sur ces pionniers de la pensée méditerranéenne, je vous remercie de tout coeur pour cette admirable évocation de la citation de Judas de Kastamp sur les rapports entre le hasard et l'heure, qui me permet de ne pas trop douter de l'origine ni de la teneur de vos propos, et je demeure

Votre humble et dévoué serviteur,
Dado

Anonyme a dit…

Très cher Dado,
je suis agréablement touché de vous voir ainsi citer De Kastamp dans vos lignes, mais au combien surpris par vos dire ? Je n'ai pas souvenir en effet, d'un texte de cet auteur, traitant du rapport entre le hasard et l'heure. Certes, j'ai bien retrouver "Le hasard est il aléatoire? " et "L'art donne t il l'heure?" sur les étagères du garage... mais rien d'autre ? je m'interroge.

quand à Romain Palori, il sera, même défunt, le vaillant moteur de notre projet. Vous n'êtes pas sans savoir qu'avec l'aide des quelques spirites, nous allons ouvrir un site voué à devenir le webportail de la poésie provençale d'avant guerre.
Mais actuellement, notre projet est ralenti par son aspect technique. Il nous faudra certainement monté un nouveau récepteur sur la Sainte Victoire, plus puissant. Certains auteurs morts, tel Jean Fernand Jauze, n'ont toujours pas répondu à notre appel.
Romain lui se porte bien et s'est montré passioné par notre démarche.
Il s'est amouraché depuis quelques de nos jours à Marie de France... bon... bref, passons.
Il t'envoie un bisou.
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« Du désir à l'amour » L’écueil des pensées, Post Mortem de Romain Palori.

S’il y avait une recette infaillible…
Ainsi commence le récit qu’un vieil homme entreprend.
En ce temps là, l'amour était de chasser ses enfants
et la femme d'un aristocrate blessé à la guerre
se laissa troubler par son garde-chasse.
En cel tens tint hoilas la tere,
Sovent en peis, sovent en guere.
Li reis aveit un sun barun
Ki esteit sire de lïun;
Oridials esteit apelez,
De sun seignur fu mult privez.
Les chasseurs recherchent toujours les plus beaux spécimens.
Pour la chasse et l’amour, les deux novices eurent recours à Rousseau
Et sa main tremblait et battait,
Battait et tremblait,
Contre la poignée de son couteau de chasse.
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Dado a dit…

C'est en effet une confusion regrettable de ma part.

Je vous remercie pour cet inédit, tellement touchant, de Romain Pallori. En ce qui concerne notre projet commun, je suis moi-même en relation avec Jean-Fernand Jauze - vous allez rire - par l'intermédiaire d'une vieille cafetière italienne hors d'usage que j'ai trouvée dans le poulailler, et qui me sert de contacteur médiumnique pourvue que je l'approche d'un appareil radio branché sur Durance FM. Il me semble qu'avec quelques améliorations dont une bobine de fil de fer, il serait aisé de relier le tout au futur récepteur de la Sainte Victoire.

Bises à toi aussi. ;)