mardi, novembre 21, 2006

Fiabilité de la compréhension

Je profiterai des réponses à l'article précédent pour ouvrir une petite parenthèse à l'intérieur de l'exposé du point de vue d'Umberto Eco (1).

Je tenais à signaler dans ces lignes une idée qui me semble particulièrement importante pour la suite de ma présentation : une des illusions les plus remarquablement ancrées est celle de la fiabilité de la compréhension. S'il est évident à tout un chacun, par expérience, qu'autrui puisse comprendre de travers, il mettra rarement - pour ne pas dire jamais - en doute sa propre compréhension des choses ; et surtout lorsqu'elle vient juste de se produire : car c'est justement le déclic de la compréhension qui lui assure qu'une vérité vient de lui être révélée. Il lui semble que pour lui même, la compréhension est fondamentalement fiable, qu'il ne s'agit même pas d'un mécanisme mais d'une sorte de don mystérieux faisant partie de la nature extérieure du monde et qu'une fois la chose comprise, sa véracité est définitivement assurée. L'ordre est apparu sous la confusion, le secret est devenu évidence, l'obscur est devenu lumière ; il en éprouve une telle satisfaction qu'il est hors de question de remettre la nouvelle conviction en doute, encore moins le phénomène qui l'a engendrée (2).

C'est ainsi qu'on aura peut-être remarqué que l'interprétation de l'article de Flo, une fois formulée, semble plus satisfaisante que le contenu initial ; qu'elle en devient tellement évidente qu'on se demande pourquoi on ne l'avait pas vue avant ; qu'elle remplace complètement la signification d'origine, laquelle passe alors pour une métaphore poétique quand c'est justement l'explication fausse qui est la métaphore du véritable contenu ; et qu'une fois cette compréhension opérée, il est difficile de l'effacer et de revenir en arrière.

Celui qui se confronte quotidiennement à l'exposition de ses idées se rend vite compte de ce problème. Ce qu'il croyait avoir compris, ce qui lui semblait clair et limpide devient singulièrement opaque et touffu au moment de l'expliquer. De nombreuses objections sont toujours possibles selon la perspective choisie. Il découvre que certaines de ses démonstrations reposent exclusivement sur des convictions sans fondement dans son expérience. Il aperçoit des lacunes dans son raisonnement ; certains arguments scintillent de l'éclat de faux or du sophisme mais il ne peut mettre exactement le doigt sur l'origine de ce mirage. En bref, il avait le fantasme qu'il comprenait bien mieux les choses que ce n'est le cas en réalité : les nécessités de l'explication se chargent de le détromper.

La plupart du temps, nous ne nous confrontons jamais aux contraintes d'expliquer les choses ni de mettre notre vue d'elles en pratique ; ainsi nous restons convaincus que notre compréhension est sans faille. Dans de nombreux articles, j'ai cherché à mettre en valeur ce phénomène : certaines notions communes, tellement évidentes tant que nous ne cherchons pas à les clarifier, comme la raison, l'intelligence, la conscience, le libre-arbitre, la mémoire, l'impression de réalité même ne résistent pas à une tentative d'approfondissement. En vérité, personne ne s'accorde sur ce que c'est et, comme l'horizon, leur définition semble s'éloigner au fur et à mesure qu'on s'en approche.

Mais nous avons l'impression de les comprendre, ces notions ; mieux, de les avoir toujours sues de manière naturelle. Nous rêvons que nous sommes des spécialistes de la vie et du monde, que les explications que nous fournirions seraient profondes, que notre aperçu couvrirait le moindre détail. Cette profondeur illusoire se dissipe comme celle d'un ruisseau quand, trompés par les reflets changeants de sa surface, nous plongeons le pied dans l'eau et ne rencontrons pas la profondeur que nous avions escomptée. C'est que nous ne nous sommes pas penchés sur notre compréhension ; nous n'avons pas cherché à savoir d'où nous venaient ces convictions et cette assurance.

Tout ceci pourrait encore sembler des paroles en l'air, aussi je vous renvoie à cette très récente et intéressante expérience de neurobiologie sur l'illusion de la profondeur explicative (3).

(1) Coïncidence. Je vois qu'ingirum vient de publier une critique de son dernier roman.
(2) Il semble que le phénomène de la compréhension soit associé dans le cerveau au circuit de la récompense ; c'est sans doute inné, dans le but d'accélérer l'apprentissage du réseau neuronal, mais c'est sans doute aussi renforcé par notre système d'éducation. Ainsi on peut devenir dépendant à la compréhension, quelque soit son contenu et la véracité de celui-ci, car elle provoque un plaisir.
(3) Pour ceux qui ne parlent pas anglais, en voilà le résumé succinct : on demande aux participants d'évaluer a priori leur compréhension d'un problème ou d'un mécanisme. Ils ont bonne opinion d'eux. On leur demande alors de l'expliquer. Une fois l'explication faite, on leur redemande d'estimer leur compréhension : cette nouvelle évaluation chute drastiquement, car ils se rendent compte enfin qu'ils n'avaient pas compris grand'chose. Pour illustrer l'article, l'auteur prend deux exemples amusants : le parent auquel son enfant pose une question et qui, après un premier sentiment de fierté car il se prépare à éclaircir le monde, se rend compte soudain qu'il ne sait pas vraiment y répondre et bafouille quelques approximations mal ficelées ; le scientifique qui traite d'un domaine hors de sa prédilection, persuadé que son statut de savant le rend omniscient, et dont la thèse est aux yeux des spécialistes un tissu d'âneries.

13 commentaires:

dsl a dit…

Il y a peut être une différence à faire entre compréhension et savoir, ou un autre terme qui conviendrait mieux. La compréhension semble bien souvent une sorte d'illusion de l'esprit qui se réflechit, il ne voit que sa propre lumière. Le savoir serait plutôt une expérience qui survient à l'issu d'un certain chemin, la perspective que l'on peut avoir après avoir gravi un sommet, le regard peut se poser sur le chemin parcouru. Une fois le chemin parcouru, il est possible d'expliquer à quelqun le chemin, les obstacles, les parties faciles...

Anonyme a dit…

lds pourquoi est-ce que tu cherches systématiquement à améliorer le blog de Dado ? Ce besoin est tellement désespéré que tu en viens à faire des remarques qui n'ont rien à voir avec le sujet. Ce que tu suggères est l'objet d'un autre article, pas de celui-là.

Anonyme a dit…

lds, puisque tu as l'impression qu'il existe un savoir qui différe de la compréhension, peut-être devrais-tu écrire un article sur ce "savoir" ? Tu aurais alors l'occasion de tester ce que je dis dans cet article, que derrière le lyrisme qui accompagne ces jolis mots, une fois qu'on creuse un peu (et pourvu qu'on se donne la peine de creuser un peu) soit on se rend compte qu'on n'a rien compris, soit on découvre une conviction, soit on se rend compte qu'il n'y a pas grand'chose de bien extraordinaire derrière.

dsl a dit…

A voir vos réponses, je me demande si vous avez bien lu l'article en lien.

Anonyme a dit…

A quelle partie de l'article en lien fais-tu référence et en quoi nos réponses ne collent pas avec ?

dsl a dit…

Dans le graphe il est noté en ordonnée self rating of knowledge, knowledge que l'on pourrait traduire par connaissance, savoir. De plus, en T5 on voit que la notation remonte justement après qu'on ait appris à nos cobayes un certain nombre de choses sur le sujet qu'il croyait connaître. Le "self rating of knowledge" illustre une certaine confiance en soi mais pas forcément un savoir réel.

Anonyme a dit…

OK. Je crois comprendre mieux ce que tu voulais dire au début. J'utilise le mot "compréhension" alors que l'expérience parle de "knowledge" (savoir, connaissance). Toutefois, dans ce cas, il me semble que ce sont des synonymes. En effet, je ne pense pas que le sens de mon article contredise le contenu de l'expérience : on croit avoir compris beaucoup plus et beaucoup plus profondément que ce qu'on a compris réellement. Mais quand on nous demande d'expliquer ce qu'on a compris, de passer du fantasme à la réalité, ou quand on est confronté à une explication plus nette, on se rend compte que notre première impression était illusoire. Comme tu le dis, cette impression, le "self rating of knowledge", "illustre une certaine confiance en soi". C'est aussi ma manière de décrire l'expérience : "ils ont bonne opinion d'eux".

Par contre, si tu traduis par "savoir" le mot "knowledge" de l'expérience, alors je ne comprends plus la fin de ta phrase : "Le savoir serait plutôt une expérience qui survient à l'issu d'un certain chemin, la perspective que l'on peut avoir après avoir gravi un sommet, le regard peut se poser sur le chemin parcouru. Une fois le chemin parcouru, il est possible d'expliquer à quelqun le chemin, les obstacles, les parties faciles..."

En quoi cette description plutôt flatteuse du savoir se rapporte-t-elle à l'illusion assez lamentable décrite dans l'expérimentation ?

Anonyme a dit…

En plus je ne vois pas le rapport entre le sujet de l'article de Dado et ce savoir (si flatteusement décrit) qu'invoque lds.

dsl a dit…

Eh bien, ensuite (T5) on apprend aux cobayes un certain nombre de choses sur le sujet qu'ils pensaient connaître : en quelque sorte on parcoure le chemin avec eux. Puis de nouveau on leur demande de noter leur "knowledge" et cette fois le résultat est supérieur même au résultat initial (T1). La description que je fais du savoir n'est qu'une image, l'image d'un chemin.

Anonyme a dit…

Oui, mais là on n'a plus affaire à une compréhension en forme d'eurêka. Or c'était cela le sujet : le déclic. Dans ce que tu racontes, on n'est plus vraiment dans le déclic, l'intuition illuminatrice qui vous fait sortir de la salle de bains à poil...

dsl a dit…

L'article vient en fin de développement pour appuyer la réflexion d'une sorte de caution scientifique miraculeuse. Or il se trouve que l'article ne correspond pas vraiment au sujet traité, et les conclusions de l'article ne collent pas non plus avec la vision développée. En effet les expériences relatées ne testent pas l'évidence devant certaines notions abstraites, mais plutôt la connaissance de l'utilisation concrète de certains outils (speedometer, sewing machine).
A aucun moment, l'article n'évoque cette illumination qui survient quand on prend un menhir sur la tête par exemple (ùh ùh ùh), ce qui confirme le fait qu'aucun de vous deux n'a lu cet article, se contentant d'une compréhension superficielle.

Dado a dit…

lds, ce sera mon premier et dernier avertissement. La teneur de ton dernier message ne me laisse plus aucun doute sur tes intentions manifestes, à savoir essayer d'insulter dès que l'occasion s'en présente l'auteur et les lecteurs de ce blog. Comme je te l'ai déjà dit par deux fois, tu ne supportes pas ce blog, au point que tu ne cherches même pas à saisir le sens des articles ou des commentaires d'autrui.

Ton point de vue, lorsqu'on essaie de clarifier le point de désaccord, n'est jamais très différent de celui de mes articles. Ainsi, je ne compte plus les fois où j'ai du te dire: "je suis tout à fait d'accord", "c'est bien ce que je dis dans l'article, etc." Pourtant, bien qu'il tu ne dises jamais vraiment autre chose que ce que j'écris, selon toi tout ce que je dis est mal dit, tout ce que je fais est mal fait.

Ce qui ne t'empêche pas de continuer à lire un blog aussi inintéressant.

En bref, pour toi, tous mes articles sont prétexte à insulte, à pique, à provocation et à récrimination. Si je ne présente pas d'argument scientifique, tu me reproches mon manque d'objectivité, de rigueur, d'exemples, etc. Si j'en donne, alors j'"appuie ma reflexion d'une sorte de caution scientifique miraculeuse".

Ce comportement extrêmement désagréable, qui vise seulement à énerver autrui, à provoquer des disputes stériles, à cacher des insultes derrière une apparence de discussion, est la seule chose que tu laisses apparaître de toi sur mon blog. C'en est venu au point que le mot "lds" est maintenant associé dans mon esprit au mot "troll" (et dans celui de flo, à son synonyme : chenille). Si tu ne fais rien pour modifier ce comportement, je ne vois aucune raison pour laquelle je continuerai à te laisser poster sur le blog.

dsl a dit…

Je ne crois pas t'avoir insulté ni toi ni les lecteurs de ce blog. Maintenant si tu te sens aggressé je peux le comprendre. Mes commentaires ont pour but essentiel de m'aider à clarifier les concepts que tu développes dans ton blog, par la reformulation, l'approbation, la contradiction, j'essaye ainsi de trouver une vérité derrière les mots.