Ce voyage en Toscane aura eu quelques conséquences étranges qui n'ont à première vue rien à voir avec la joliesse du pays ni la courtoisie de ses habitants. Il serait sans doute exagéré de dire que ce fut un voyage mystique mais je pense qu'il a eu plus d'effet sur ma manière de voir les choses que ne l'eut sur ma mère son pèlerinage à Medjugorje (1). Je ne saurais attribuer à cela aucune explication rationnelle. Je ne crois non plus pas que ce soit du au régime à base de tagliatelles, de pizzas et de vin de chianti.
Hélas ! Comme dans toute recherche sur la nature de la conscience, il serait vain de se féliciter du point où l'on en est arrivé. Il n'y a rien de plus fugitif qu'une découverte. Je viens de relire une des rares et petites révélations que j'eus en rêve lucide et je ne comprends plus un traître mot de ce qui m'a paru une évidence au moment où je la rédigeai.
Mais si je décrivais d'abord ce qui m'arriva ? Or c'est là que la chose devient difficile car justement il n'y a rien à décrire ; aucun événement ne s'est déroulé : ce n'est que du sentiment. J'ai déjà donné mon impression sur la nuit en Toscane mais cela n'est rien comparé à celle que j'eus de jour. Tout n'était que fantomatique, depuis la brume diaphane qui enveloppe le paysage, depuis les collines trop mauves et les nuages trop roses qui paraissaient dus au pinceau de quelque peintre médiocre en mal de romantisme, depuis le labyrinthe de la ville de Sienne qui était, comme la Samaris (2) de Peeters, un trompe-l'oeil piranésien de carton-pâte, jusqu'aux gens dont je me demandais s'ils n'étaient pas des rencontres féeriques et même mes amis. Tout semblait faux, tout semblait un décor destiné au spectateur de quelque coté qu'il se tourne, tout semblait un masque décoré de dentelles cachant quelque visage terrible, superbe et inconnu.
Dans cet état quasi nervalien où il serait désastreux de faire la moindre projection personnelle sous peine de partir en vrille - et qui est peut-être décrit par le nom de syndrome du voyageur - je ne faisais rien d'autre que de m'agripper aux branches. On ne m'en voudra donc pas de mon manque d'enthousiasme pour ce périple, ce que vous avez peut-être ressenti au travers de mes précédents billets : j'étais proprement terrifié.
C'est là que je me suis rendu compte, comme à travers une eau limpide, de la nature de mes convictions. Aussi drolatique, aussi invraisemblable, aussi stupide que cela puisse paraître, ma vision profonde, ma vision métaphysique du monde est un mélange de jeux de rôles médiévaux-fantastiques, de romans de Lovecraft ou de son digne successeur, Carlos Castaneda. C'est une mythologie fondée sur les exploits de la conscience que purent faire, en des temps reculés, des personnages fictifs et remarquables ; sur la présence d'autres univers incompréhensibles à portée de la main. Chaque ligne que je lis de la nouvelle cosmologie scientifique me conforte dans ces prémisses et je puis même identifier et reconnaître avec précision dans mon expérience les signes décrits par mes augustes et imaginaires prédécesseurs. Je tiens ce système de croyances absurdes pour précieux et remarquable, car il explique exactement - exactement puisque ma compréhension et ma recherche ne vont pas bien loin - le fonctionnement de l'univers. Ce qui me semble douteux, je l'arrange à ma manière, à l'instar de tout honorable théologien ; car il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre. Et je trouve toujours une bonne justification.
Ainsi ce qui pourrait sembler à autrui une pure folie est pour moi l'apanage même, le fondement, l'ancrage de ma raison. Mais en quoi cela pourrait-il nous étonner finalement ? Certaines gens tiennent pour vraies absolument les divagations poétiques consignées dans les pages poussiéreuses de deux ou trois ouvrages qu'écrivit une peuplade de barbares, il y a quelques centaines d'années, au milieu des mirages d'un désert lointain.
(1) si j'en juge à son comportement.
(2) voir illustration en encart.
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