C'est en ôtant ses vêtements que le jeune chimiste Jack Griffin, dans le roman d’H.G. Wells, devenait invisible. Une anecdote amusante, trouvée sur le site de Jean-Pierre Petit, prouve que cette bonne vieille méthode fonctionne toujours :
«Nous avons dans la tête un lot d'expected signals (signaux auxquels nous nous attendons). Quand une perception, un concept, une idée sort de ce que nous sommes capables d'imaginer, tout cela n'accède même pas au niveau de notre conscience, étant inconsciemment classé au niveau des illusions d'optique. Nous sommes l'objet en permanence d'une censure mentale très active.
Il y a pas mal d'années j'étais à Aix en Provence avec une femme que j'ai beaucoup aimée. [...] Un soir je lui ai proposé une expérience : aller de son domicile au mien, nus. Carrément. On a mis nos vêtements dans un cabas et on est sortis de son studio, situé au dernier étage. Il devait être près de minuit. Nous avons cheminé à pas vifs. Ainsi nous n'étions visibles par les gens que nous croisions que pendant un laps de temps assez bref.
Immédiatement, nous avons croisé dans l'escalier un couple de voisins qui rentraient d'un dîner.
- Bonsoir Marie Dominique...
- Bonsoir Madame....
Pas de cri de surprise, rien. Nous avions l'air si naturels que ces braves gens ont du penser qu'ils avaient sans doute mangé ou bu quelque chose qui avait créé cette hallucination et il est très probable qu'il n'en n'ont même pas parlé entre eux après avoir eu cette brève vision, de peur de passer pour des gens atteints d'un début de maladie mentale. [...]
Le même phénomène s'est reproduit pendant toute la traversée de la ville qui, à cette époque et dans ce quartier, était peu fréquentée. Cela me rappelait une scène du film Little Big Man où Dustin Hoffman emmène son père adoptif Indien. Ils traversent un champ où les soldats Yankees se livrent à un massacre abominable. Mais, fait étange, ceux-ci ne semblent pas les voir. Et le père d'adoptif de Dustin, qui est aveugle, dit : « C'est normal, nous sommes devenus invisibles ».
Marie-Do et moi étions devenus "invisibles" parce que nous avions adopté un comportement inconcevable ( du moins à l'époque ). Il existe un phénomène de "cécité intellectuelle". Si un évènement est par trop inconcevable, nous le rejetons, tout simplement. »
Bien que la théorie des expected signals présente un fond indéniable de réalité, je ne suis pas satisfait de cette explication - non plus d'ailleurs qu'une grande part de celles que l'on lira sur la même page. Une nuit glaciale d'hiver, j'ai croisé sur la place d'un lotissement bourgeois un groupe de jeunes gens en slip de bain, les filles les seins nus, posant pour une photo de groupe. J'ai fait comme si de rien n'était mais, rentré chez moi, j'ai rigolé comme une baleine pendant un bon quart d'heure. J'imagine que telle fut aussi la réaction des deux braves voisins de l'histoire.
Quiz : saurez-vous trouver le nu dissimulé dans le "Paysage avec image cachée du David de Michel-Ange" de Salvador Dali ?
7 commentaires:
Je suis absolument d'accord avec toi. Quand je vois quelqu'un faire quelque chose de trop bizarre, je prends l'air de rien, pour ne pas le gêner, et pour ne pas créer de conversation embarrassante - sans compter qu'il y a aussi la peur du fou. Quelqu'un qui est assez cionglé pour faire ça, de quoi sera-t-il capable si je fais une remarque déplacée ? Va-t-il se jeter sur moi ? Mieux vaut ne courir aucun risque. En fait, j'aurais fait exactement comme les voisins. Comme quand on rencontre qqn qui a ses chaussures à l'envers ou un slip sur la tête. On lui dit bonjour comme d'hab' et on passe son chemin. Je pense que JPP a manqué de clarté en l'occurrence, car en y regardant de plus près, il aurait sûrement vu ce que la mine de ces gens avait de convenu.
Il y a ça et il y a aussi autre chose, une sorte de beauté magique qui vient de l'incongruité de l'instant. Voir des jeunes filles aux seins nus n'a rien d'extraordinaire sur un bord de mer en été, non plus qu'une personne entièrement dévêtue sur une plage prévue à cet effet. Dans ces conditions, c'est vulgaire, à cause de l'amassement des corps et de la répétition. Mais dans un contexte urbain en plein hiver, ça a quelque chose de tout à fait extraordinaire. C'est l'intrusion de la nature dans la culture - contrairement à un camp de naturistes où la culture est justement de se déshabiller. Quand je me rappelle de cet instant, j'ai comme le souvenir d'avoir vu des elfes dans les bois. C'est un peu la même impression étrange que le "Concert Champêtre" de Giorgione et Titien. On ne peut que rester coi.
Mais la chose la plus extraordinaire dans mon cas, je crois, c'est qu'il y ait eu un spectateur. La placette est un cul-de-sac dans un petit lotissement à l'écart. A cette heure il paraissait impossible que quelqu'un passe par là à l'instant où ils prendraient la photo de groupe. Or je sortais d'une des maisons. Si de mon coté, j'ai ce souvenir étrange, je pense que de leur point de vue, leur souvenir de cet instant a du être magnifié par le fait qu'il y ait eu un observateur extérieur pour attester de cette seconde surnaturelle.
Pour en revenir aux "expected signals", je dois tout de même reconnaître qu'il m'est arrivé un truc peu banal qui vérifie l'idée de JPP. Il y a un mois, je passais de nuit en voiture dans un lotissement pour aller au réveillon de Noël chez mes parents. Je vois une femme avec un gros animal noir en laisse, qui reniflait le bas d'un arbre, près d'un lampadaire. L'animal me semble invraisemblable. Un gros labrador ? Non, ça ressemblait pas du tout à un chien. Plutôt à un petit ours. Au rond point suivant, je fais demi-tour et je repasse à vitesse plus réduite. Un cochon ? Je refais demi-tour et je passe une dernière fois. Je ne sais toujours pas ce qu'était cet animal !
Je comprend tout à fait ce que tu veux dire Dado.
En fait il n'est pas vraiment question du comportement social que nous pourrions adopter si nous étions réellement témoins et conscients de ce genre de situation(prendre l'air de rien pour éviter de géner...)
Si j'ai bien compris, il est question de quelque chose d'inconscient, de magique, d'extraordinaire, heuuu... de bizarre.
Quelque chose d'onirique ai je envie de dire.
Dado, l'impression associée aux souvenirs que tu as de ces expériences (y compris celle ou tu es la source du décallage) ne ressemble t'elle pas à celle que te laisse le souvenir de tes rêves ?
Cela ne m'étonnerai pas que ce genre d'expérience soit traitée par le corps humain, comme le serait un rêves
(D'un point de vue Castanédien, cela pourrait probablement correspondre dans un cas comme dans l'autre à un mouvement du famous point d'assemblage)
>> L'impression associée aux souvenirs que tu as de ces expériences [...] ne ressemble t'elle pas à celle que te laisse le souvenir de tes rêves ?
C'est exact, mais dans le fond j'ai l'impression qu'il n'y a pas une très grande différence entre le souvenir de rêves (lucides ou assez vifs) et le souvenir de veille.
Sur les autres points, je dois dire que je n'ai pas d'idée très nette...
J'ai reçu un mail me signalant que Mathieu a posté quelque part ce commentaire intéressant :
"Pour revenir sur le concept d'"expected signals", je me souviens avoir lu un article relatant une expérience scientifique sur ce sujet : un homme portant un costume le faisant ressembler à chewbacca déambule près d'un groupe x en gesticulant... La majorité des sujets ne le remarquaient pas et étaient extrêmement surpris lorsqu'on leur montrait une vidéo où un "singe" passait à quelques centimètres d'eux à plusieurs reprises.
La conclusion de l'étude était double :
- théorie des "expected signals" : on ne voit que ce que l'on s'attend à voir (dans une certaine mesure, naturellement)
- importance du groupe : si un membre du groupe remarque le phénomène inhabituel, les autres suivent quasi instantanément même si l'information ne leur est pas communiqué verbalement.
J'ai cherché sur le net pour retrouver des infos sur cette expérience mais n'ai hélas encore rien trouvé."
J'ai farfouillé de ci de là et je n'ai pas trouvé à la suite de quel article il l'a ajouté. A moins que ce ne soit un bug de Blogger... :(
Je le recopie ici en complément d'information.
C'est clair que notre cerveau censure à tout va, en fonction de ce qu'il a appris comme réel ou non.
Pour le quiz, le nu est debout, à l'envers, le bras gauche replié vers le visage, le bras droit le long du corps
>> Pour le quiz, le nu est debout, à l'envers, le bras gauche replié vers le visage, le bras droit le long du corps.
Bonne réponse ! :)
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