Ecrire permet de se rend compte d'un phénomène singulier que je vais m'efforcer d'exposer ici. Il s'agit de la confusion entre l'auteur, le narrateur, éventuellement ses personnages, et son style.
Je me rappelle avoir parcouru un blog romancé où étaient racontés les déboires ménagers d'une jeune femme nommée Tulipe. L'auteur recevait tels et tels commentaires sur les péripéties de son héroïne : "Moi aussi, j'ai le même problème que vous avec mes deux enfants". Elle avait beau répondre : "Mais je n'ai pas d'enfants, c'est un roman !" les mêmes remarques se perpétuaient d'un jour sur l'autre. C'est un cas assez exceptionnel dans le sens où le personnage principal menait une vie différente de celle sa créatrice.
La confusion entre auteur et narrateur est beaucoup plus courante. Le premier exemple qui me vient à l'esprit est celui où il utilise l'ironie pour exprimer son point de vue. Il emprunte temporairement la peau d'un autre lui-même, avec qui il est en désaccord, pour ridiculiser une certaine façon de voir les choses. Il se trouvera toujours un lecteur inattentif, pas familiarisé avec les vues habituelles du prosateur, pour croire qu'il dit réellement ce qu'il pense et s'élever d'autant plus violemment contre ces idées qu'elles sont grotesques. Mais certes, bien d'autres possibilités existent pour ce type d'amalgame.
Assez proche de cette confusion est celle qui assimile l'auteur à son style. Celui qui écrit s'aperçoit bien qu'il effectue un tri plus ou moins volontaire dans les idées, les sentiments qu'il choisit d'exprimer et la manière de les exposer. Il se rend compte que ces sélections - ou ces tics - donnent l'impression d'une personnalité autre que la sienne, d'un masque qu'il endosse dans la vie de tous les jours quoique fugitivement. Il se peut aussi qu'il écrive seulement lorsqu'il se sente en verve, plein d'humour ou au contraire d'humeur massacrante. Le lecteur ne voit à travers le style qu'une facette de sa personnalité. Pour lui, l'auteur n'existe pas autrement que de la manière dont il se présente.
Toutefois, la confusion la plus curieuse est celle de l'auteur avec ce que j'appellerai, faute de mieux, son inspiration. Il nous est arrivé à tous, je suppose, de relire un texte, un poème, une lettre d'amour rédigée il y a longtemps, depuis longtemps oubliée et de s'étonner : "C'est moi qui ai écrit ça ?" Aucune des métaphores, aucune des tournures, aucune des idées ne nous est familière. Il semble que réellement quelqu'un d'autre ce jour-là ait emprunté la plume. Les Romains, les Grecs distinguaient clairement l'auteur de sa Muse. Mais de nos jours, l'auteur ingrat préfère penser que lui seul a posé les mots sur le papier...
Illustration : Gustave Moreau, Hésiode et sa Muse
8 commentaires:
Merci beaucoup. Les compliments que tu as choisis ne sauraient me faire plus plaisir, bien que je ne suis pas sûr de les mériter vraiment. En particulier, je pense qu'on doit pouvoir trouver assez facilement quelques bons exemples de cucuterie. ;)
A propos de la muse. Juste après avoir rédigé cet article, j'ai retrouvé sur mon PC quelques textes datant d'un an ou deux. Ils sont assez typiques de ce que je décris. La plupart du temps, ce sont des textes que j'avais totalement oubliés. Il m'est presque impossible de dire d'où me sont venues les idées. Certaines tournures d'esprit sont extraordinairement curieuses. Certaines pensées dont je peux reconnaître la source dans une préoccupation récurrente sont à l'opposé de ce que je pense habituellement. C'est comme si j'avais atteint, je ne sais comment, un point de l'autre coté du miroir où elle est vue à l'envers, ou comme si quelqu'un avait fourni à mes questions une réponse que je me suis empressée d'oublier. C'est encore plus frappant en poésie ou en peinture. Il y a parfois des traits que l'on serait bien en peine de reproduire.
je te donne mon adresse de blog, mais rien que pour toi, hein ?
http://lecrivaillonnne.skyblog.com/
oui, tu sais, c'est comme quand tu es au lycée et tu assistes à une analyse d'un texte littéraire. tu te demandes : " mais, il l'a fait exprès, le ptit père Corneille, de mettre tout ça là dedans ?"
Probablement pas. Mais c'est ça, la puissance de l'artiste, non ? De voir les choses échapper à sa maîtrise, devenir des entités à part entière, universelles, le créateur devient spectateur. Et puis, il y a la part de l'inconscient, qui est un bavard impénitent !
>> je te donne mon adresse de blog, mais rien que pour toi, hein ?
Heu... tu veux dire que je supprime le commentaire où on voit ton lien ? (ainsi que ma réponse et ta réponse à ma réponse?)
Meuh non ! tant pis...Tu s'ras le premier "pas vrai copain" qui l'auras, mon adresse de blog... Et advienne que pourra...
>> Tu s'ras le premier "pas vrai copain" qui l'auras, mon adresse de blog...
Ah ! :) C'est gentil !
>> Tant pis... [...] Et advienne que pourra...
J'essaierai de rester sage, promis ! :p
Rhoooo ! Te fâche pas, mon p'tit canard ! Quand tu auras vu la tête que j'ai, peut-être que tu ne seras pas mécontent de cette légère distance ...
Mais voyons Madame Kiki, quelle familiarité ! Je ne vous permets pas ! Et que dirait d'ailleurs Monsieur Kiki s'il savait que vous m'appelez "mon p'tit canard"...
J'ai feuilleté en vitesse ton blog. J'ai bien aimé certains articles, comme par exemple ton premier article sur la méchanceté. Je le trouve plus intéressant que le second, qui si j'ai bien compris est un copier-coller d'un livre.
Cette semaine, je n'aurai pas trop le temps d'allumer mon ordi, je fais un tournoi d'échecs (comme je l'ai annoncé plus haut).
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