Je dois m'avouer que je rechigne à rédiger les articles que je m'étais proposés d’écrire et je me fais souvent l'impression d'une mule refusant de traîner sa charrette. Je ne dois pas avoir atteint le quart de l'objectif que je m'étais donné. La plupart du temps, comme aujourd'hui, je m'arrête sur le bord du chemin et je broute bleuets et coquelicots. Si je dois m'appesantir sur les raisons pour lesquelles je fais preuve d'autant de mauvaise volonté, c'est que mon but me paraît douteux et j'éprouve de la culpabilité à le remplir. Or ce sentiment découle seulement de la trop grande importance que je prête à mes propos et à leur éventuel impact.
Depuis quelques années, on ne peut pas dire que je sois très heureux. Le monde s'est effondré autour de moi et cette chose que j'avais ardemment souhaité s'avère être une malédiction. Tout ce qui était réel, beau, vrai, juste me paraît aujourd'hui un décor de carton pâte. Il en est peut-être de même du décorateur de théâtre qui ne peut plus jouir de la même illusion que le spectateur. La vie humaine est pour moi une mascarade tragique et insensée et tout en sachant qu'il ne s'agit que d'un point de vue, je ne suis pas capable de le modifier. L'unique et pénible solution me semble être d'attendre avec patience la fin de tout cela, la terrifiante - oui, disons le franchement : terrifiante - mort. Heureux Shakespeare qui parvenait à écrire des comédies !
Comment en suis-je arrivé à ce cul-de-sac ? Il serait de mauvaise foi d'affirmer que je ne l'ai pas intensément voulu. J'étais un idéaliste. Peut-être le suis-je encore ; il est difficile de se refaire. Ma jeunesse tendait surtout vers l'idéal mais à travers les ustensiles que fourguent les camelots aux coins des rues : l'amour, le bien-être, la reconnaissance d'autrui, la noblesse des sentiments, la liberté, l'égalité, la fraternité, etc. Force m'a été de reconnaître que ces bidules de foire ne s'utilisaient pas ; ou tout du moins pas de la manière indiquée dans le mode d'emploi. J'ai donc essayé d'en retrouver le bon usage par moi-même.
J'ai voulu écarter les croyances qui obstruaient évidemment mon chemin. Peine perdue ! Tous les systèmes d'intelligence qui fonctionnent sur la base d'un réseau neuronal n'ont pas d'autre but que de les fabriquer. Les fleurs éclosent au printemps ? C'est une croyance. Regardez les chrysanthèmes. Au fait, les croyances remodèlent aussi les souvenirs. Il est faux de penser que ceux-ci sont enregistrés comme une bande magnétique. Deux vieux qui se rappellent leur jeunesse ne seront jamais d'accord. Leur passé a évolué différemment. Enfin les croyances construisent non seulement l'univers dont nous nous souvenons mais celui que nous voyons ; et une guerre de religion a une portée bien autre qu'une simple lutte d'idées : c'est un orage magnétique entre deux univers. C'est une guerre des mondes.
Ainsi comme le poète, « nel mezzo del cammin di nostra vita mi ritrovai per una selva oscura, ché la diritta via era smarrita », me retrouvant au mitan de ma vie au coeur d'une sylve obscure, la voie droite étant perdue, j'éprouve quelque réticence à égarer mon lecteur avec moi.
Illustration : Gustave Doré, l'Enfer de Dante, chant I
5 commentaires:
Tiens, hier il manquait l'illustration... Pour le reste c'est normal que les illusions de la jeunesse s'envolent, sauf à rester un gamin qui joue encore aux jeux de rôles à 50 ans... Il n'y a que la pratique qui puisse tirer quelqu'un de là, et en plus il faut s'y prendre à l'avance parce qu'il faut des années.
Si j'étais un psy je dirais que c'est la crise de la quarantaine.
Je pense que c'est relativement normal à notre époque étant donné l'environnement et les évènements qu'on voit partout. Difficile de rester dans la félicité permanente quand on croise des tronches de cake toute la journée dans le métro ou dans la rue.
Moins efficace j'imagine, sur le long terme, que la "pratique" mais qui remet bien en place quand même pour quelque temps, c'est de s'accorder un break et de voyager un peu. Loin.
Perso, même sans "pratiquer" quoi que ce soit ( ou en tout cas pas intentionnellemnt ) , je pense qu'il ya plein de chose à faire, dans plein de domaine... Et même quand je passe trois jours à comater en me disant que la vie c'est nul et chiant, je me dis quand même qu'à travers mon inactivité, Dieu ou peu importe comment tu l'appelles expérimente qqchose et donc se trouve un tout petit peu...
C'est normal d'avoir le moteur qui chauffe quand on tient un blog. Surtout quand on se rend compte qu'on ne sait pas où il va aller. Le marin shadok disait "dans la marine il vaut mieux regarder là où l'on ne va pas que là où l'on va, parce que là où l'on va il sera toujours temps d'y regarder quand on y sera. Mais c'était le marin shadok, il n'était pas tenu de vivre dans l'espace intersillogystique de ses aphorismes. Si tu n'atteins pas tes objectifs, il faut peut-être réduire la voilure de tes ambitions, ou remettre du charbon dans la chaudière. "mon but me paraît douteux (n'aie pas peur ! il l'est ! ) "et j'éprouve de la culpabilité à le remplir." allons bon, ne s'agissait-il pas d'animer une tribune libre à base d'interrogations futiles sur la nature ultime du monde et de la conscience ? "Or ce sentiment découle seulement de la trop grande importance que je prête à mes propos et à leur éventuel impact." ah ben voilà, on commence à sortir son linge sale !
"j'éprouve quelque réticence à égarer mon lecteur avec moi." norbert wiener, papa de la cybernétique, disait "je ne sais ce que j'ai dit que lorsque j'entends la réponse". J'en suis à me demander si j'écoute les réponses ou si c'est pour le plaisir de poser des questions. Le blog est quand même une discipline solitaire, c'est peut-être de là que nait la culpabilité. D'accord avec jul' : les voyages donnent une bonne claque aux remugles, même si c'est parfois pire après.
Jul et john ont tout dit..
moi quand je lis : "J'ai voulu écarter les croyances qui obstruaient évidemment mon chemin. Peine perdue ! Tous les systèmes d'intelligence qui fonctionnent sur la base d'un réseau neuronal n'ont pas d'autre but que de les fabriquer." je suis bien content d'être passé par ton blog. Ca m'amène à cogitater plutôt qu'à m'égarer. Cogitation qui me dit qu'il existe peut être des croyances qui reviennent quelque soit la construction neuronale
@ Flo:
>> Tiens, hier il manquait l'illustration...
C'est peut-être parce que l'image utilisée comme lien est un peu plus grosse que d'habitude...
@ John Warsen aka Baygon vert:
Bravo! Tu as réussi à m'embrouiller les neurones tout à fait! :p C'est une nouvelle technique pour lutter contre les connexions neuronales encombrantes?
@ Jul:
>> je dirais que c'est la crise de la quarantaine.
J'espère que ça s'arrêtera avant les cinquante ans alors. :)
Merci à vous trois et à roujsend pour vos gentils commentaires, vos remarques pratiques et vos petits conseils. C'est quand même extraordinaire comment je me fais encore avoir par ces moments où je vois tout en gris foncé (c'était pas encore noir-noir, là...)
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