dimanche, septembre 24, 2006

Plages sous la pluie (2)

Le cerveau ne traite pas toutes les informations de la même manière. Certaines d'entre elles ont plus de poids ; certaines réminiscences, certaines idées vont être immanquablement associées à d'autres. Ce qui fait que deux souvenirs vont être stockés ensemble et s'évoqueront mutuellement est certainement l'émotion commune qui leur est rattachée. Ainsi Marcel Proust découvre que l'odeur de la madeleine, qui lui provoquait un sentiment inexplicable, lui rappelle certaines journées passées chez sa tante puis certaines matinées où il était malade. Ces souvenirs, comme des astres dans le ciel, tendent à déformer l'espace mental et attirer les autres idées dans leur gravitation. On pourrait dire, en plagiant Einstein, que l'émotion distord l'espace-temps de la pensée.

Durant la journée, notre cerveau est en mode "résolution de problèmes". L'essentiel est de trouver une solution aux situations qui se présentent à lui. Notons bien que quand je parle de cerveau, cela ne signifie pas nécessairement pensée ou conscience. La plupart des situations qui se présentent, comme se saisir d'une tasse de thé, aborder un virage en voiture, reconnaître votre voisin de palier ou tapoter sur le clavier de l'ordinateur, ne requièrent pas la moindre réflexion et s'effectuent sans que l'on s'en rende compte. N'empêche, c'est le cerveau qui traite cette information.

Dans certains cas - que j'espère rares - il s'avère que le cerveau débloque. Toute sensation va être ramenée à la même pensée ou à la même action. Elle attirera comme un trou noir tout ce qui passe en deçà de ses frontières. C'est par exemple le cas des névroses obsessionnelles ou phobiques mais aussi de la dépression. Tout est contaminé progressivement par le sujet qui fâche. On pourrait comparer cela à un plancher en entonnoir qui attirerait des billes posées sur lui vers son centre. En fait, le cerveau sain fonctionne aussi de la même manière, mis à part qu'il existe de très nombreuses concavités et que chaque trou n'attire que les billes tombées à proximité. Ces trous sont appelés dans la science des réseaux de neurones des "bassins attracteurs".

C'est à partir d'une constatation semblable bien qu'empirique que la psychanalyse développa la méthode dite de "libre association". Une idée en amène une autre et ainsi de suite jusqu'à un bassin attracteur. L'analyste, s'il est assez malin et si sa folie diffère suffisamment de celle de son patient, peut se rendre compte que certaines associations sont aberrantes ou bien remarquer que toutes les idées convergent vers une seule direction.

Durant le sommeil paradoxal, les neurones du cortex cérébral sont activés aléatoirement. Selon Hobson et McCarley, c'est ce qui produit le rêve. La question du pourquoi n'est pas entièrement résolue, mais on peut supposer que c'est en rapport avec la consolidation de la mémoire, l'apprentissage et la réparation d'éventuelles erreurs.

C'est là qu'intervient ma métaphore de la plage sous la pluie. J'espère qu'elle rendra la conception précédente plus claire. Imaginons une plage formant de légères dénivellations ( les bassins attracteurs ). Les pas des derniers promeneurs sont aussi imprimés sur le sable. Il se met à pleuvoir et les gouttes, tombant au hasard, remplissent les creux, aplanissent les bosses et forment de petits ruisseaux qui se rejoignent et coulent vers la mer. Les traces les plus récentes, les petites vallées vont attirer vers elles les gouttes qui suivront ces directions privilégiées. Si à chaque averse, l'eau prend toujours le même chemin, cela signifie qu'un bassin attracteur présente une trop grande importance. Chaque nuit, le bombardement pourtant aléatoire du cortex cérébral provoquera systématiquement un rêve ou un cauchemar récurrent.

Je pense qu'il est possible ainsi de découvrir quels sont ses "bassins attracteurs". Je suppose qu'ils correspondent aux idées-clefs, aux convictions et aux fantasmes dont je parlais précédemment.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Salut Dado!

Enorme cette histoire de bassins attracteurs...
Si tu as des références là-dessus (et pour les réseaux de neurones artificiels et pour le cerveau) ça m'intéresse... à double titre : en tant qu'hydrologue -- et donc spécialiste des gouttes d'eau qui créent des chemins préférentiels-- et en tant qu'observatrice (et propriétaire, malgré tout) du cerveau humain.

Anonyme a dit…

bassins attracteurs = empreintes karmiques non?

Dado a dit…

@ laeti: C'est marrant, j'avais des personnes qui travaillaient avec moi en hydrologie et aussi en réseaux de neurones artificiels. :)

Je ne mets pas les liens entre anchors car si on clique dessus, ça va lancer la page dans la fenêtre de commentaires et on ne peut pas revenir en arrière. :(

Je venais juste de monter ma petite théorie du "cerveau sous la pluie" ;) quand j'ai découvert ce topic sur le forum l'Onirolabe:

http://onirolabe.bbfr.net/viewtopic.forum?t=146&postdays=0&postorder=asc&start=0

Il y a dedans une interview de Jean-Pol Tassin sur le rêve et il expose entre autres sa théorie des bassins attracteurs. Ca a l'air de coller avec ma métaphore. Par contre, je tiens à préciser que je ne suis pas du tout d'accord avec la théorie de Maury que Tassin ressuscite lorsqu'il affirme que le rêve est créé au réveil.

Le lien direct vers la conférence est là :

http://www.oasis-tv.net/jsp/fiche_video.jsp?STNAV=&RUBNAV=&CODE=1095176191238&LANGUE=0#

On peut trouver aussi quelques infos en googlant: "jean-pol tassin" attracteurs.

J'ai pas trop cherché d'informations coté réseaux de neurones artificiels sur le web. Il faut googler en anglais :attractor basin neural network ; ou en français: réseaux neurones bassins attracteurs. On trouve alors quelques infos.

Voilà quelques citations de Tassin qui me semblent extraites, soit de la conférence, soit de pages trouvées sur le web:
"Les souvenirs sont stockés selon la «règle de Hebb» : quand deux neurones sont activés simultanément lors de l'entrée d'une information, la force de leur liaison, encore nommée «poids synaptique», augmente. Inversement, quand l'activité d'un des deux neurones augmente alors que celle de l'autre diminue, le poids synaptique qui les relie diminue. [...]

C'est l'entrée répétée de la même information qui donne naissance à une mémoire, la quantité d'informations n'étant limitée que par le nombre de neurones du système. Une fois le souvenir enregistré, une partie quelconque du souvenir suffit à faire converger le système vers un état stable : la mémoire est restituée dans sa totalité. Selon J. Hopfield, chaque mémoire correspond à un état d'énergie minimal, état qualifié de bassin attracteur. Ce bassin «attire»vers une mémoire commune des informations qui ont été acquises en même temps (certaines composantes d'un visage ou des événements simultanés). Ainsi, en me promenant sur l'Acropole, à Athènes, alors qu'il venait de pleuvoir et qu'il y avait un arc-en-ciel, j'ai vu un colley. Dans le même bassin attracteur sont stockés le chien, l'arc-en-ciel et l'Acropole. N'importe lequel de ces éléments activera les autres : la vue d'un arc-en-ciel évoquera l'Acropole et le chien. [...]

Ces bassins attracteurs ne contiennent pas que des informations objectives comme peuvent l'être une forme, une couleur ou une texture. Ils contiennent aussi des «affects» : en revoyant une personne que nous n'avons pas rencontrée depuis plusieurs années, nous ne savons plus qui elle est, ni à quelle occasion nous l'avons connue, mais nous nous souvenons qu'elle nous est sympathique ou antipathique."

@ nofab : si on considère les "empreintes karmiques" comme étant, soit des déformations fortement ancrées durant l'enfance, soit comme des structures mentales héritées, je pense qu'on peut sans doute appeler ça comme ça.