lundi, février 13, 2006

Blogia Americana

Je découvre ce commentaire sur le blog Lulu's Life in Cornland - or quel pressentiment étrange m'incite à interrompre, à peine entamé, le cours de mon propos ? Je regarde droit dans les yeux mon lecteur et vois l'effroi poindre déjà dans sa pupille dilatée ; son coeur s'emballe et sans qu'il s'en fut aperçu, une fine sueur perle le long de son échine refroidie : rassérène ton âme effarouchée, ami lecteur, le blog de Lulu est écrit en français !

Qu'étais sur le point de dire ? Oui, sur Lulu's life, on lit cette note récente :

« Ce qu’il me semble, c’est qu’au Canada on ne s’enfonce pas dans la déprime comme en France. A force de voir l’enthousiasme qui se dégage des blogues Canadiens par rapport aux français, j’aurais moi aussi envie de partir chez eux. »

C'est une remarque que je me suis faite - je parlais de l'enthousiasme, non pas vraiment de me geler les miches parmi les caribous ; quoique cette idée, à dire vrai, me soit plusieurs fois venue à l'esprit. Les blogs français - et de manière plus vaste des trois Gaules, l'aquitaine, la celtique et la belge - sont pauvres. Une fois écartés ceux rédigés en SMS ( "L m fé tro kifé 7 meuf mdr !" ) et ceux qui présentent des poèmes et des chats, on rencontre des blogs consacrés soit exclusivement à une activité spécialisée, le plus souvent un hobby répandu ( photographie, graphisme, informatique, littérature, cuisine, musique, oenologie, etc. ) soit à une réflexion ronchonne sur l'actualité télévisuelle ou bloguesque, soit enfin à l'introspection d'un coeur perdu versant une bile baudelairienne sur le mur gris d'une prison ordinaire.

Par contre, une étonnante quantité de blogs canadiens - et américains - me paraissent riches autant par leur contenu que par leur forme d'expression. Il semble que sur cette terre lointaine, le blog y pousse comme une fleur naturelle, épanouie, colorée, odoriférante alors qu'elle perd ici ses teintes et son parfum, pauvre fleur exotique que l'on cultive en serre. L'essentiel me semble être que, contrairement à nous, les américains ne se posent pas la question de savoir si ce qu'ils écrivent est intéressant : leur vie leur suffit.

J'en tiens pour exemple le Journal de bord d'une camionneuse dont voici la description :

« Je suis camionneuse. Le camion, c’est mon bureau, les routes de l’Amérique, mon territoire. Je travaille avec 5 millions de collègues qui sillonnent ces couloirs le jour, comme la nuit. Ma vie de tous les jours n’a rien d’ordinaire. Quand je me lève, je suis toujours ailleurs. Je me réveille dans une autre ville, un autre climat, un autre pays, un autre paysage. Je suis rarement au même endroit le matin, le midi, ou le soir. Il fait cinq degrés sous zéro le jour, le lendemain à la même heure, il en fait 20. La neige couvre le sol un matin, les cactus s’étirent au soleil le jour suivant. »

Il y a ici un bel article. Combien de routiers seraient-ils capables de voir et de décrire leur métier sous cet angle ?

7 commentaires:

Anonyme a dit…

La rumination baudelairienne constitue la pierre d'angle du rayonnement intellectuel de la patrie, pour m'exprimer comme le maire de Champignac. La langueur dépressive postmoderne est-elle la fille naturelle de Chateaubriand et de l'adsl ? Je croyais benoitement que ça faisait partie de notre charme, et il aura fallu Houellebecq pour en démontrer les travers (de porc) : autant cette attitude pouvait s'expliquer jusqu'au XXème après les déconvenues du positivisme et les promesses non tenues du "progrès" (le technique précédant le social comme rantanplan suggère l'irruption prochaine de lucky luke) autant elle confine aujourd'hui au ridicule et à un narcissisme morbide et mystificateur qui contraint ceux qui s'en découvrent atteints à s'en défaire, tabernacle.

Dado a dit…

Crisse de calice John, comme tzu dzit bian la chôse, tabarnak !

J'ai oublié de préciser que mon blog s'inscrit tout à fait dans ce courant, puisque c'est un blog thématique de réflexions ronchonnes sur les limites de notre prison. ;)

Est-ce que ce ton général est du à l'atmosphère donnée par deux ou trois prédécesseurs isolés, ou bien est-ce du au terrain sur lequel nous poussons comme des plantes, je me pose encore la question...

Anonyme a dit…

J'aime l'image du terrain sur lequel on pousse. Dans ce cas, nous poussons effectivement dans un jardinet entouré de murs. Notre vue porte rarement loin. Ce qui n'est pas le cas du Canada ou des Etats unis, ou encore de certains pays d'Asie. La bas, les grands espaces forcent à la contemplation, l'exaltation. Il m'est arrivé de rester supéfait devant certains paysages immenses, d'en être tout engourdi. D'avoir une autre perception du monde et de moi même.

Anonyme a dit…

Si ton blog se retrouve auto-inclus dans ta catégorisation, c'est parce qu'elle est bien faite, quoique nécessairement parcellaire : il t'aurait fallu recenser un nombre impossible de blogs pour t'assurer que ta classification ne tombait pas sous le coup des généralisations abusives. Louons aussi tes efforts méritoires pour s'extirper des ornières autogènes le plus souvent. On a connu des lignes éditoriales plus navrantes.
Cultivons aussi l'élégance de ne point nous lamenter de nos contributions à l'accumulation de ce rayonnement intellectuel qu'on dira gentiment "fossile" : écrire ou lire un blog, quelle que soit sa nature ou son objet d'étude, c 'est comme traverser l'Egypte sans descendre du bus, ce que proposent déjà bon nombre de drogues. On y croise de nouvelles peuplades, de nouveaux rituels, mais on rentre toujours les mains dans les poches et les poches pleines de rien, au contraire des voyages que je suis contraint d'appeler "corporels" - bien qu'il nous arrive aussi de voyager dans l'idée qu'on se fait du pays !
ah là là c'est pas simple !
Evidemment quand on lit un blog de camionneuse, on a l'impression de partager sa cabine à peu de frais. Ne manquent que les vibrations, le bruit et les caribous collés sur le pare-brise, mais je suis sûr que nos ingénieurs sont sur le coup, car le marché est prometteur.
Une autre des vraies questions que suggère ton post, c'est quid de notre appétence envers la chose écrite au détriment du réel ? il s'agit là d'une tradition culturelle bien de chez nous, qui a trouvé dans le terreau numérique un formidable second souffle.

camionneuse a dit…

Contente de savoir que vous partagez tous ma cabine!

Je reviendrai voir ce blogue de littérature qui comble si richement mon temps dans ma couchette à vribrer au diapason de l'autoroute. Je vais le mettre disponible hors connexion, comme ça je vous lirai en roulant dans tous les recoins de l'Amérique.

Sandra

Dado a dit…

Merci beaucoup de ta visite Sandra ! Ca me fait plaisir que tu soies passée par là. Je trouve ton blog excellent, autant pour les textes que le point de vue ou encore les photos.

Bonne route ! :)

Anonyme a dit…

je crois que ce qui pousse mieux aux etats unis et au canada c'est le rêve. c'est peut-être grâce aux grands espaces, peut-être à cause de l'histoire de ce continent... je ne sais pas...