Comme le disait Hitchcock à Truffaut, "plus le méchant est réussi, plus le film l'est aussi". Cette sentence n'a pas valeur de règle absolue : dans son splendide "les Enchaînés" ( Notorious ), le méchant, Sebastian ( Claude Rains ) ne fait pas forte impression, ce qui permet d'ailleurs la simplicité extraordinaire du dénouement. A l'inverse, le chasseur de primes joué par Lance Henriksen dans Dead Man, aussi sinistre et macabre soit il, n'ajoute pas réellement à l'intensité dramatique du film puisque le héros n'a rien à craindre : il est déjà à moitié mort.
En fait, le rôle du méchant diffère selon le type de film envisagé et cela implique qu'il faille d'abord classer les "films à méchants". Pour simplifier, je distinguerai trois grandes catégories : les films d'aventure et d'action où le héros entreprend une quête qui l'amène dans la gueule du loup ; les films de poursuite ( thrillers ) où le héros, traqué tout au long du récit, se sauve d'une cachette à une autre ; les films de revanche, fondés sur l'élimination successive des nuisibles afin de fonder un nouvel ordre social. La narratologie n'est pas une science exacte, loin s'en faut, et l'on ne m'en voudra pas si cette taxonomie est bâtarde : certains films peuvent aussi bien se classer dans une typologie que dans une autre ; enfin, la plupart des films d'action comprennent en latence ces trois épisodes ( départ en quête, poursuite et élimination ). Toutefois j'espère que cette classification nous sera momentanément utile.
Quelques exemples aideront sans doute à sa compréhension. Dans la première classe, on trouvera les l'Aventuriers de l'Arche perdue, l'épisode IV de la Guerre des Etoiles, Psychose, Legend, Conan, etc. Dans la seconde se rangeront les Terminator I et II, Duel ( de Spielberg ), La Mort aux Trousses ou l'épisode V de Star Wars ; dans la troisième, pas mal de films de Clint Eastwood dont l'Homme des Hautes Plaines et Pale Rider, mais aussi Blade Runner, Mars Attacks et Kill Bill.
De manière plus ou moins parallèle à cette classification, le méchant tiendra un rôle différent. On peut, je crois, discerner trois sortes de méchants : le despote, le maître des ombres et l'alter ego encombrant. Le despote, dans une position sociale ou familiale dominante, se caractérise par l'abus de pouvoir ( le Prince Jean dans Robin des Bois ) : à la fin du récit, il est remplacé par un meilleur choix ; le maître des ombres se définira par des dons mystérieux et terribles ( le T2000 ). Il peut s'agir d'un monstre, d'un démon ou d'un animal ( un dragon ) et il n'a pas de rôle social - il incarne d'ailleurs le monde informe, non socialisé - donc il n'est pas remplacé lorsque tué. L'alter ego encombrant est un personnage de rang identique à celui du héros, mais pourvu de caractéristiques négatives ( ainsi l'archéologue Belloc dans l'Arche Perdue ) : le héros prend ou retrouve son statut à sa disparition.
Ces différents méchants n'incarnent pas les mêmes symboles, ne revêtent pas la même vilenie et donnent donc l'impression d'être plus ou moins mauvais. Parfois ils sont bien distincts, parfois ce n'est pas le cas. En vérité, on se rendra compte que leurs rôles sont divisibles et interchangeables, leurs diverses caractéristiques pouvant aussi s'entremêler. Ainsi, Darth Vader cumule les fonctions de despote familial ( le père essayant d'éliminer ses enfants ), de maître des ombres pourvu de pouvoirs maléfiques et, à la longue, d'alter ego de Luke susceptible d'être remplacé auprès de l'Empereur. Lorsqu'une caractéristique d'un méchant disparaît, elle donne naissance à un nouveau méchant ( ainsi le rôle croissant de l'Empereur dans Star Wars compense celui diminuant de Darth Vader ). C'est particulièrement visible dans les séries télévisées, comme Flo l'avait déjà remarqué.
A la mort d'un personnage bénéfique répond la perte de la fonction correspondante du méchant. Ainsi, la mort de Obiwan fait passer Vader du statut de maître des ombres à celui d'alter ego encombrant. Un sort similaire advient à Tom dans le dernier tome d'Harry Potter ; et l'on découvre que le terrible Voldemort n'est finalement qu'un Harry Potter qui, parce qu'il déconsidérait ses parents et cherchait à se forger un nom, a mal tourné.
9 commentaires:
D'ailleurs je trouve qu'il y a une "confusion" courante, c'est la confusion entre le despote et le maître des ombres, alors qu'à mon avis ces 2 caractéristiques sont assez incompatibles. En effet, le statut de maître des ombres réclame un certain talent de sociopathe (le modèle c'est le "sorcier maléfique" de tous les romans d'héroic fantasy), alors que pour régner, il faut pouvoir se faire des alliés à défaut de pouvoir se faire des amis... Raistlin Majere est un bon exemple (de la saga Dragonlance). Au départ, c'est un sale égoïste qui rechercher le pouvoir par la connaissance de la magie, il s'enferme dans une tour où il fait des choses bizarres qui terrifient tout le pays. Et puis il jour, il se dit qu'il pourrait devenir un dieu et régner sur le monde. Mais on lui prouve que vu son tempérament, s'il fait ça, tout le monde va crever et il restera tout seul. C'est comme Voldemort. Je ne vois pas qui peut vouloir s'allier à un mec pareil. Tout ce qu'on peut espérer avec lui, c'est des ennuis. Idem pour Sauron. Si tu as le choix entre vivre dans un endroit normal avec une jolie maison, un jardin et de quoi manger, ou vivre à Mordor, où il fait tout noir, où il faut te battre pour avoir à bouffer, et où t'as pas de quoi prendre un bain, franchement, qu'est-ce qui peut te convaincre d'aller vivre à Mordor ? Il faut avoir une vision politique, pour régner, et les maîtres des ombres n'ont en général aucune vision politique, parce qu'ils n'en ont rien à foutre de personne. Même Staline, ou Hitler, croyaient qu'ils oeuvraient pour le bien de l'humanité, et c'est ce qui leur a permis de convaincre tant de gens de les suivre - gens sans lesquels ils n'auraient pas eu ce pouvoir. Voldemort, ou Sauron, n'oeuvrent que pour leur propre intérêt. C'est là où on voit leur caractère totalement irréaliste - d'ailleurs on ne les imagine ni allant aux chiottes, ni se tapant un coup de déprime. Il s'agit de purs archétypes, des "fonctions", il leur manque 9/10è de ce qu'on peut trouver chez un "individu". Un jour je m'étais demandé "qu'est-ce qu'un mec comme ça peut faire quand il n'est pas en train de faire chier le monde ?". Rien. C'est sa raison d'être. On ne peut pas appeler ça une "vie", ni "quelqu'un".
>> D'ailleurs je trouve qu'il y a une "confusion" courante, c'est la confusion entre le despote et le maître des ombres.
Exact, il y a une projection populaire entre les dirigeants politiques et les divers personnages des contes. D'ailleurs, le conte est très souvent porteur d'une signification politique, je crois.
>> Voldemort, ou Sauron, n'oeuvrent que pour leur propre intérêt. C'est là où on voit leur caractère totalement irréaliste.
Je ne partage pas ton optimisme quant à l'altruisme et la "vision" de nos dirigeants, qu'il s'agisse de politiques ou de patrons.
>> Il s'agit de purs archétypes, des "fonctions", il leur manque 9/10è de ce qu'on peut trouver chez un "individu". [...] On ne peut pas appeler ça une "vie", ni "quelqu'un".
Tout à fait d'accord.
Contente d'être tombée sur cet article, parce qu'il est très pertinent et qu'il éclaire assez bien des persos qu'on aurait un peu trop tendance à mettre sur un piédestal!
Quant au commentaire sur les politiciens et les grands patrons, c'est vrai que certains seraient à leur place dans le rôle de maître des ombres! Sinon, pour Voldemort, il est souvent considéré comme un père symbolique très très encombrant de Harry P.
Qui a envie de se taper un égoïste bestial qui t'envoie trucider à gauche et à droite à sa place? Personne, mais je suppose que comme tout bon Maître des Ombres, et donc sociopathe en manque de sens moral de base, Voldemort peut terroriser et embrigader de force ceux qui lui seraient utiles...Ce qui serait intéressant, c'est qu'un gars comme lui pète les plombs: crise de nerfs, panique totale, angoisse...D'ailleurs, même s'ils sont tous les deux des tueurs psychopates irréversibles, je pense que Sauron et Voldemort n'ont pas la même envergure (ce qui ne change rien à leur capacité de nuisance ^^").
>> Ce qui serait intéressant, c'est qu'un gars comme lui pète les plombs: crise de nerfs, panique totale, angoisse...
C'est possible, mais cela fait entrer des éléments de parodie du genre. De grand méchant, il deviendrait un petit tyran ridicule. C'est là où on voit qu'il y a dans la figure du grand méchant, toujours fort et égal à lui-même, une part de projection paternelle. Pour l'enfant, le père sait toujours ce qu'il fait, même si son comportement est incohérent et incompréhensible. Cette projection existe aussi sur les dirigeants politiques et d'entreprise qui essaient de donner, autant que possible, l'impression qu'ils maîtrisent, qu'il gèrent toujours la situation, qu'ils connaissent les tenants et les aboutissants ; et on remarque d'ailleurs qu'il serait très destabilisant de les imaginer aussi dépourvus de ressource, paniqués, angoissés et incapables de savoir s'ils ont pris ou non la bonne décision que le pékin moyen.
A mes yeux, Voldemort est un "tyran ridicule"...mais doté d'une force destructrice énorme, ce qui fait qu'il passe pour le mage noir le plus "classe", le plus "ultra" de l'histoire.
Voldemort refuse sa part d'humanité: toutes les analyses le démontre, c'est un type qui rejete, vomit sa sensibilité, ses faiblesses...mais il est ridicule de nier sa véritable nature. Même si dans les faits, c'est un monstre absolu, j'ai parfois l'impression que c'est un sale gosse qui a (très) mal grandi: capricieux, égoïste, impulsif. J'en ai parfois pitié, parce que ce mec a autant de jugeote et de maturité qu'un môme de quatre ans (pensons à ses fameuses colères...crises de rage d'un petit caractériel qui exige une satisfaction immédiate!). A ce titre, une perte soudaine de son statut de maître du mal, perte due à lui-même, me semble plausible.
ps: m'enfin, j'essaye de m'expliquer, désolée si c'est pas très clair ou très profond! ^^"
>> j'ai parfois l'impression que c'est un sale gosse qui a (très) mal grandi: capricieux, égoïste, impulsif. [...] ce mec a autant de jugeote et de maturité qu'un môme de quatre ans [...] j'essaye de m'expliquer, désolée si c'est pas très clair ou très profond.
Non non, ça me semble très bien observé. Et comme tu le remarques, c'est ce qui fait aussi que Voldemort paraît assez "friable" comme grand méchant. Ce n'est ni un grand méchant métaphysique comme Sauron, ni un grand méchant politique comme Palpatine, c'est un grand méchant pubertaire, aussi redoutable et éternel qu'une crise d'acné. :)
Bon, c'est un peu normal, le livre est un roman d'apprentissage pour adolescents, qui devrait se terminer sur une forme d'intégration sociale.
Merci de ne pas me flinguer pour mes commentaires! ^^" Je voulais demander s'il était possible -avec ta permission*- de mettre un lien vers cette page sur un site que je fréquente: on a un topic Harry Potter 6 et je pensais faire bouger le tout avec une sorte de débat, voili voilou...
Ouille! Si c'est dans le but de faire remuer les opinions, ça veut dire que c'est moi qui vais me faire flinguer pour mon article et mes commentaires. ;)
Mais pas de problème pour le lien. Je viens de corriger une faute d'orthographe dans l'article sur le nom de Voldemort - que j'avais écrit sans le t final - au moins ça fera plus sérieux. :)))
(Merci pour l’autorisation !! Maintenant, on va voir si les autres bougent ! ^^) M’enfin, je pense à quelque chose : symboliquement, est-ce que nos super méchants (même pubertaires :)) n’ont pas la fonction de faire bouger les choses ? Ils sont les déclencheurs de décisions, de coalitions (contre eux, les pauvres…) et amènent parfois des sociétés à évoluer en mieux…
Bon, je me souviens vaguement avoir lu un truc dans ce genre dans un livre sur Tolkien. Sauron serait celui qui remue les choses (quoique de façon très trèèès discutable) dans une Terre du Milieu un brin obsolète (regardez ces ringards de Minas Tirith). En venant mettre le barouf, nos Voldemort, Sauron, Vader, Palpatine et autres Cluny (Redwall), tout en se mettant à dos les populations/êtres opprimés, amènent des changements. On se bat contre eux, des alliances se forgent, on remet certaines attitudes, credo, en question…cette opinion est surtout valable dans le cas de despotes déglingués, mais la majorité des méchants –sauf les malins- s’aliènent leurs victimes. Auraient-ils un rôle fédérateur positif ? (Sans exclure les gars qui ne pigent rien et qui bastonne un bad boy pour ne pas se remuer à la menace suivante.)
ps: j'ai beaucoup de mal pour argumenter mes idées *soupire*
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