dimanche, septembre 10, 2006

Un an de blog : le bilan

Peut-être avez vous entendu parler de cette coutume ancestrale, commune dans les sociétés industrielles, qui consiste à remercier la divinité solaire, chaque fois qu'elle revient dans une initiale constellation, pour les bienfaits qu'elle daigna octroyer à l'entreprise. Les grands prêtres de cette religion appellent cette cérémonie traditionnelle la "réunion de kick-off". Devant l'ensemble des membres de la tribu, chaque chef à plumes se félicite soi-même et tour à tour d'avoir reçu les pouvoirs de nombres favorables et révèle aux yeux des mortels ébahis les sceaux magiques de protection nommés "graphiques PowerPoint".

Visiteurs durant l'année 2006

Puis les vaillants employés festoient dans la liesse lors d'un grand banquet où ils sont autorisés à danser avec les secrétaires...

"And söhte ich kümmen wülle
To mine kineriche
And wühnien mid Brütten
Mid müchelere wühne."


"Et bientôt, je reviendrai dans mon royaume et je festoierai parmi les Bretons dans une grande liesse."

Aujourd'hui est venu le jour faste de sacrifier à cette bienfaisante tradition et de faire le bilan d'un an de blog. Je profiterai aussi de l'occasion pour répondre aux questions de mes nombreuses lectrices... (1)

Comme je le disais hier, les articles des trois premiers mois me paraissent meilleurs que les suivants. A cela, je trouve plusieurs raisons : ils me semblent plus inspirés ; je cherchais systématiquement une manière originale pour en présenter le contenu ; il y a donc plus d'effets de style, ce qui rend leur lecture agréable. Ils participaient d'une forme d'introduction et je n'étais pas encore entré dans le vif du sujet. De même, les premières semaines durant lesquelles Christophe Colomb, penché à l'avant de sa blanche caravelle, regardait "monter en un ciel ignoré du fond de l'océan des étoiles nouvelles", furent sans doute les plus exaltantes de son long voyage.

Les idées présentées au tout début étaient des convictions. A partir du moment où l'on affirme, comme le petit grillon, que "l'intelligence dont nous nous enorgueillissons n'est qu'une forme spéciale de l'imbécillité, grâce à laquelle nous prenons constamment des vessies pour des lanternes", tout est dit. Après cela, il reste à fournir des exemples et à étayer des démonstrations, ce qui est la part la plus fastidieuse du travail. Dans les articles qui ont suivi, le raisonnement est souvent ardu - j'éprouve des difficultés à me relire ! aussi sur le moment ai-je pensé ne pas pouvoir me permettre des fioritures qui rendraient plus pénible encore leur compréhension. C'est pourquoi de nombreux textes, même si leur contenu est intéressant, donnent l'impression d'un pur intellect coupé des sources de l'affection.

Ma préférence pour les articles des premiers mois est donc sans rapport avec l'évolution de ma pensée. Bien au contraire, durant cette année, à force de creuser pour trouver une base saine afin de planter les étais de ma réflexion, j'ai fini par trouer le plancher. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est totalement creux dessous !

En effet, il est impossible de circonscrire la différence entre le sujet et l'objet, chacun des deux se dissolvant dans l'autre. L'univers et la matière, lorsqu'on cherche à les saisir, se changent en une poignée de vecteurs mathématiques complètement mentaux ; l'impression de leur réalité est une construction de la conscience ; or elle-même et ses résidus, tous impossibles à définir, semblent s'expliquer par le fonctionnement du cerveau, lequel est fait de matière, donc de la poignée d'abstractions qui paraissaient avoir été imaginées par lui. Tout ceci fait penser à un labyrinthe de reflets de miroirs dont il est impossible de trouver la sortie autrement que par un hasard heureux.

Ce paradoxe tend à remettre en doute l'outil qui nous donne une vue si aberrante : la raison. Et de fait, celle-ci est fondée à la fois sur une représentation qui, bien qu'elle paraisse évidente, est résolument fausse ; sur un langage nécessairement incomplet fournissant de cette représentation une perspective floue et imparfaite ; sur des liens de cause à effet particulièrement douteux ; et pour finir, sur des bases - dont l'équivalent mathématique est le postulat - qui ne se révèlent en dernier lieu n'être que des croyances, des convictions, des fantasmes ou d'autres idées fascinatoires TM (2) qui engendrent une inconditionnelle quoique éphémère adhésion.

Mais cela, dont je me doutais un peu, n'est rien comparé à certains problèmes inattendus. Je ne me les formulai plus ou moins clairement qu'à partir de Février 2006.

Primo, quelle que soit la valeur de mes exemples et de mes démonstrations, ils n'attirent que des personnes partageant dès l'origine le même type de convictions. Les autres vont éprouver - je fonde surtout cette supposition sur ma réaction à la lecture d'autres blogs - une répulsion instinctive vis-à-vis du contenu. Je prêche donc en terrain conquis et ces efforts me paraissent pour le moins sans intérêt.

Secundo, si j'avais vu que le style est une personnalité indépendante, séparée de celle de l'écrivain, il arrive cependant un point où la créature dévore son créateur : il ne voit plus que par elle, ne pense plus que par elle et n'agit plus que par elle. Bien que, de toutes manières, cette maladie mentale ne soit pas différente de celle que l'on connaît communément sous le nom de "déformation professionnelle", je n'éprouve que peu de sympathie à me voir réduire à un philosophaillon grincheux ne suspectant que mensonge en deçà comme au-delà des Pyrénées.

Je ne concourrai donc pas avec Flo pour la palme du blog le plus déprimant de l'année 2007. Par contre il se pourrait bien que, comme la seiche livide, je lâche bientôt mon encre obscure tout d'un coup et, au grand dam du lecteur aveuglé, m'enfuie en zigzaguant vers les eaux bleutées des mers plus hauturières.

(1) Je préfère dire "les questions de mes nombreuses lectrices" que "les questions de Kiki et Flopinette" parce que, je ne sais pas si vous l'avez remarqué, ça fait beaucoup plus sérieux. On m'objectera sans doute l'utilisation du qualificatif "nombreuses". Or à partir de quel chiffre peut-on commencer à estimer que des lectrices sont nombreuses ? Celui qui oserait prétendre que ce n'est pas à partir de 2 serait certes de mauvaise foi !
(2) Fascinatoire TM est une marque déposée sous copyright John Warsen 2006.

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Attention, une de tes nombreuses lectrices te parle. Oui, je peux toujours me prétendre l'une d'entre elles, car après tout, à partir de combien d'articles lus (et compris ? Aïe !) devient-on lectrice attitrée ? :-)
Pa-tien-ce !
Voilà, c'était mon message. Je fais pour le mieux, hein, je suis femme d'image. ;-)

Dado a dit…

Je parlais de Kiki (l'écrivaillonne) et de Flopinette parce qu'elles m'avaient posé des questions sur le post précédent.

Mais il me semble bien que tu deviennes une lectrice attitrée - faisant exploser mes statistiques PowerPoint de 50% ! quel résultat fabuleux sur la fin de l'année ! - ce qui me surprend d'autant plus que nos convictions sont à première vue particulièrement différentes. O_o

Anonyme a dit…

La vie d'un blog n'a vraiment rien de commun avec tout ce que je connais, c'est un miroir exigeant qui montre une certaine ingratitude, je te l'accorde; je remarque que c'est aussi une école de patience et de vérité pour qui le désire : garder son cap, croire en ce que l'on fait, composer son bouquet.
Au début (et le début peut être long) c'est un peu comme prêcher dans le désert, et puis, tu ne sais pas pourquoi, un jour, au détour d'un mot, d'une image, la machine s'emballe et se met à clignoter de tous côtés, c'est un peu tout ou rien !
Euh non ! je n'en suis pas là sur mon blog, j'extrapole un peu ;-)
A propos de lectrice attitrée, ça m'a fait réfléchir (comme quoi il n'y a pas de plaisanterie innocente !)je me dis que si j'ai eu le coup de foudre pour ton blog, maintenant, j'apprends à l'aimer...

l'écrivaillonnne a dit…

"Par contre il se pourrait bien que, comme la seiche livide, je lâche bientôt mon encre obscure tout d'un coup et, au grand dam du lecteur aveuglé, m'enfuie en zigzaguant vers les eaux bleutées des mers plus hauturières"

Cela signifie que tu vas arrêter ton blog ?
Si un de ces quatre tu as envie de dire ce que tu penses sur ce sujet : faire un blog, pour qui, pourquoi, pourquoi tenir, pourquoi l'arrêter..(il me semble que tu as déjà évoqué ces thèmes- panne d'inspiration-), ça me dirait bien.
C'est intéressant parce que je n'ai jamais pensé que ton blog pouvait être déprimant. En fait, j'ai toujours été assez frappée par son apparente neutralité. Parfois, j'avoue que j'aurais aimé que tu en dises plus, au delà de la démarche de lancer la réflexion...

Dado a dit…

>> sensorie: je me dis que si j'ai eu le coup de foudre pour ton blog, maintenant, j'apprends à l'aimer...

Eh ben c'est gentil comme tout, ça! Ca fait toujours plaisir de recevoir un bouquet de fleurs. :)

>> l'écrivaillonnne : cela signifie que tu vas arrêter ton blog ?

Je pensais écrire quelques articles pour clore les sujets à propos desquels j'en avais gros sur la patate, avant de passer à autre chose. Mais une succession de petits signes et finalement une conversation par mail avec John m'ont laissé entendre que c'était une très mauvaise idée. Il faut donc que je trouve autre chose tout de suite, si j'en suis capable, ou que je prenne mes sujets avec un autre angle de vision.

>> je n'ai jamais pensé que ton blog pouvait être déprimant.

Je suis loin d'en être certain. Je pense que mon type de pensée est délétère et que dans le fond, bien que je me contienne - d'où l' "apparente" neutralité, c'est pire que Flo car elle propose une solution alors que je n'en propose aucune.

>> Si un de ces quatre tu as envie de dire ce que tu penses sur ce sujet : faire un blog, pour qui, pourquoi, pourquoi tenir, pourquoi l'arrêter..(il me semble que tu as déjà évoqué ces thèmes- panne d'inspiration-), ça me dirait bien.

Pourquoi pas ? Mais je ne peux parler que pour moi. Dans mon cas, il est certain que c'était fondé sur une conviction et plusieurs fantasmes qui se sont effrités avec l'expérience pratique du blog.

Anonyme a dit…

Ben tu vas rire, mais effectivement, ton blog me fait penser à ces châteaux ou plus personne ne vit, avec des tentures, des tapis, et les portraits des ancêtres sur les murs. La seule chose qui peut arriver à toutes ces oeuvres d'art, c'est de se dégrader peu à peu. Il y a un léger parfum de fleur fanée, et effectivement, de dépression larvée.
Cela tient au fait, à mon avis, que tu ne proposes effectivement aucune porte de sortie. Il y a là comme un inventaire de la bêtise humaine, des curiosités de l'esprit et de divers autres phénomènes, mais finalement tu n'en fais rien, à part les constater. Il n'y a pas de projet, à part celui de dresser un inventaire (me semble-t-il).

Anonyme a dit…

J'ai un léger doute là, tu ne ferais pas dans l'autoflagellation tout de même (encore qu'un homme "Cancer" maîtrise parfaitement l'exercice ! -> Un peu d'astro, c'est toujours rigolo !).
Si toutefois, c'était le cas, ce n'est pas mon problème, n'est-ce pas ;-)

Pas de malentendu entre nous : des fleurs, certes, parce que c'est très agréable de sourire au talent, certainement pas de la pommade ! Je suis quelque peu maternante mais j'aime les rapports sains, alors je te souhaite de tout cœur de devenir un conquérant de toi-même.

Petite précision sur cette notion de talent : mon appréciation est terriblement subjective mais compte tenu de ma capacité à renifler ce qui est faisandé, suranné et. à des Kms, et ma réputation d'incarnation de l'exigence, je m'estime à la hauteur pour exprimer un avis, na.
Nous sommes de la même génération, peut-être est-ce aussi pour cette raison que je me fais quelque peu familière, et insiste pour te dire ce qu'à mon avis tu sais parfaitement : si tu parviens à ne pas t'ensabler dans tes scrupules, tu pourrais bien te surprendre toi-même ! Lorsque l'on a du cœur, mieux vaut avoir de l'estomac, pas vrai ?!
Etre honnête vis à vis de soi-même est à double facette : savoir reconnaître ses failles et aussi son talent.
Fin de mon coaching sauvage ;-)
Bonne journée à tous :-)

Dado a dit…

@ sensorie : euh... je ne vois pas d'autoflagellation dans ce que j'ai dit répondu à Kiki. O_o Essayer d'avoir un point de vue détaché sur ce qu'on fait, ça me semble souhaitable.

L'autoflagellation, c'est quand on fait exprès de se faire mal. Si je vois un problème dans mon blog - qui de plus n'est pas rêvé puisque Flo voit le même - que je continue mon blog sans le corriger et qu'en plus je crie partout : "mon blog est nul à cause de ce problème donc je suis un gros nase" ! alors là ça sera de l'autoflagellation. Mais ce n'est pas du tout le cas actuellement, en tout cas je ne perçois pas chez moi ce comportement.

>> Pas de malentendu entre nous : des fleurs, [...] certainement pas de la pommade !

C'est bien comme ça que je l'entendais. Comme recevoir un compliment agréable. Il n'y avait pas de second sens dans ma phrase. Mais je me rends compte que j'ai oublié de formuler les remerciements. :/ Donc : merci beaucoup! :)

@ Flo : je crois que le choix d'articles y fait pour beaucoup. Tu parles de château, or l'article s'appelle "château Dado" et sur la bouteille on voit un château en ruines. Tu parles de "fleurs fanées" et il y a l'article "fleurs brisées". Le choix m'a semblé aussi nostalgique ou triste, apparemment c'est une des rares émotions que je suis capable d'exploiter littérairement. Donc le tri des meilleurs articles accentue cette impression.