Peut-être avez vous entendu parler de cette coutume ancestrale, commune dans les sociétés industrielles, qui consiste à remercier la divinité solaire, chaque fois qu'elle revient dans une initiale constellation, pour les bienfaits qu'elle daigna octroyer à l'entreprise. Les grands prêtres de cette religion appellent cette cérémonie traditionnelle la "réunion de kick-off". Devant l'ensemble des membres de la tribu, chaque chef à plumes se félicite soi-même et tour à tour d'avoir reçu les pouvoirs de nombres favorables et révèle aux yeux des mortels ébahis les sceaux magiques de protection nommés "graphiques PowerPoint".

Puis les vaillants employés festoient dans la liesse lors d'un grand banquet où ils sont autorisés à danser avec les secrétaires...
"And söhte ich kümmen wülle
To mine kineriche
And wühnien mid Brütten
Mid müchelere wühne.""Et bientôt, je reviendrai dans mon royaume et je festoierai parmi les Bretons dans une grande liesse."
Aujourd'hui est venu le jour faste de sacrifier à cette bienfaisante tradition et de faire le bilan d'un an de blog. Je profiterai aussi de l'occasion pour répondre aux questions de mes nombreuses lectrices...
(1)Comme je le disais hier, les articles des trois premiers mois me paraissent meilleurs que les suivants. A cela, je trouve plusieurs raisons : ils me semblent plus inspirés ; je cherchais systématiquement une manière originale pour en présenter le contenu ; il y a donc plus d'effets de style, ce qui rend leur lecture agréable. Ils participaient d'une forme d'introduction et je n'étais pas encore entré dans le vif du sujet. De même, les premières semaines durant lesquelles Christophe Colomb, penché à l'avant de sa blanche caravelle, regardait "monter en un ciel ignoré du fond de l'océan des étoiles nouvelles", furent sans doute les plus exaltantes de son long voyage.
Les idées présentées au tout début étaient des convictions. A partir du moment où l'on affirme, comme le
petit grillon, que "l'intelligence dont nous nous enorgueillissons n'est qu'une forme spéciale de l'imbécillité, grâce à laquelle nous prenons constamment des vessies pour des lanternes", tout est dit. Après cela, il reste à fournir des exemples et à étayer des démonstrations, ce qui est la part la plus fastidieuse du travail. Dans les articles qui ont suivi, le raisonnement est souvent ardu - j'éprouve des difficultés à me relire ! aussi sur le moment ai-je pensé ne pas pouvoir me permettre des fioritures qui rendraient plus pénible encore leur compréhension. C'est pourquoi de nombreux textes, même si leur contenu est intéressant, donnent l'impression d'un pur intellect coupé des sources de l'affection.
Ma préférence pour les articles des premiers mois est donc sans rapport avec l'évolution de ma pensée. Bien au contraire, durant cette année, à force de creuser pour trouver une base saine afin de planter les étais de ma réflexion, j'ai fini par trouer le plancher. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est totalement creux dessous !
En effet, il est impossible de circonscrire la différence entre le sujet et l'objet, chacun des deux se dissolvant dans l'autre. L'univers et la matière, lorsqu'on cherche à les saisir, se changent en une
poignée de vecteurs mathématiques complètement mentaux ; l'impression de leur réalité est une construction de la conscience ; or elle-même et ses résidus,
tous impossibles à définir, semblent s'expliquer par le fonctionnement du cerveau, lequel est fait de matière, donc de la poignée d'abstractions qui paraissaient avoir été imaginées par lui. Tout ceci fait penser à un labyrinthe de reflets de miroirs dont il est impossible de trouver la sortie autrement que par un hasard heureux.
Ce paradoxe tend à remettre en doute l'outil qui nous donne une vue si aberrante :
la raison. Et de fait, celle-ci est fondée à la fois sur une représentation qui, bien qu'elle paraisse évidente, est résolument fausse ; sur un langage nécessairement incomplet fournissant de cette représentation une perspective floue et imparfaite ; sur des liens de cause à effet particulièrement douteux ; et pour finir, sur des bases - dont l'équivalent mathématique est le postulat - qui ne se révèlent en dernier lieu n'être que des croyances, des convictions, des fantasmes ou d'autres idées fascinatoires
TM (2) qui engendrent une inconditionnelle quoique éphémère adhésion.
Mais cela, dont je me doutais un peu, n'est rien comparé à certains problèmes inattendus. Je ne me les formulai plus ou moins clairement qu'à partir de Février 2006.
Primo, quelle que soit la valeur de mes exemples et de mes démonstrations, ils n'attirent que des personnes partageant dès l'origine le même type de convictions. Les autres vont éprouver - je fonde surtout cette supposition sur ma réaction à la lecture d'autres blogs - une répulsion instinctive vis-à-vis du contenu. Je prêche donc en terrain conquis et ces efforts me paraissent pour le moins sans intérêt.
Secundo, si j'avais vu que le style est une personnalité indépendante,
séparée de celle de l'écrivain, il arrive cependant un point où la créature dévore son créateur : il ne voit plus que par elle, ne pense plus que par elle et n'agit plus que par elle. Bien que, de toutes manières, cette maladie mentale ne soit pas différente de celle que l'on connaît communément sous le nom de "déformation professionnelle", je n'éprouve que peu de sympathie à me voir réduire à un philosophaillon grincheux ne suspectant que mensonge en deçà comme au-delà des Pyrénées.
Je ne concourrai donc pas avec Flo pour la palme du
blog le plus déprimant de l'année 2007. Par contre il se pourrait bien que, comme la seiche livide, je lâche bientôt mon encre obscure tout d'un coup et, au grand dam du lecteur aveuglé, m'enfuie en zigzaguant vers les eaux bleutées des mers plus hauturières.
(1) Je préfère dire "les questions de mes nombreuses lectrices" que "les questions de Kiki et Flopinette" parce que, je ne sais pas si vous l'avez remarqué, ça fait beaucoup plus sérieux. On m'objectera sans doute l'utilisation du qualificatif "nombreuses". Or à partir de quel chiffre peut-on commencer à estimer que des lectrices sont nombreuses ? Celui qui oserait prétendre que ce n'est pas à partir de 2 serait certes de mauvaise foi !
(2) Fascinatoire TM est une marque déposée sous copyright John Warsen 2006.